par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 13 février 2013, 12-11949
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
13 février 2013, 12-11.949

Cette décision est visée dans la définition :
État civil




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 janvier 2011), que M. X... a été déclaré à l'état civil comme étant de sexe masculin ; que, par acte du 17 mars 2009, il a fait assigner le procureur de la République afin de voir remplacer sur son acte de naissance la mention " sexe masculin " par la mention " sexe féminin " et la mention " Emile, Maurice, Jean, Marc " par la mention " Emilie " ; que, par jugement du 9 février 2010, le tribunal de grande instance a rejeté ses demandes ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de confirmer ce jugement alors, selon le moyen :

1°/ que M. X... soulignait que les ordres juridiques national et européen encourageaient la modification des actes de l'état civil dès lors que la personne intéressée invoquait une inadéquation entre le sexe revendiqué et le sexe attribué sur l'acte de naissance, et ajoutait que le suivi d'un traitement hormonal était suffisant pour obtenir une telle modification (conclusions, p. 11 in fine) ; qu'à supposer qu'en affirmant que l'existence et la persistance du « syndrome allégué » n'étaient pas prouvées, elle ait considéré qu'E. X... prétendait qu'il lui fallait présenter un quelconque syndrome pour que sa demande pût aboutir, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que toute personne a le droit au respect de sa vie privée, ce qui implique le droit de définir son appartenance sexuelle et d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, sans devoir présenter un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre, ni devoir préalablement subir un processus irréversible de changement de sexe ; qu'en déboutant E. X... de ses demandes au prétexte qu'il n'était justifié ni d'une « transformation physique ou physiologique définitive et ainsi de l'irréversibilité du processus de changement de sexe sollicité », ni de « l'existence et la persistance du syndrome allégué », la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles 9 et 57 du code civil ;

3°/ que le principe d'indisponibilité de l'état des personnes n'impose pas de présenter un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre ni de subir un processus irréversible de changement de sexe pour obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie ; qu'à supposer qu'elle ait décidé le contraire en énonçant « le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes s'oppose à ce que le droit tienne compte d'un changement volontairement obtenu par un individu », la cour d'appel a violé le principe susmentionné et l'article 57 du code civil ;

4°/ qu'est discriminatoire le fait de subordonner le droit d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, à la preuve d'un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre et à la preuve d'avoir subi un processus irréversible de changement de sexe ; qu'en rejetant les demandes d'E. X... parce que de telles preuves n'étaient pas rapportées, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que le fait de subordonner le droit d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, à la preuve d'avoir subi un processus irréversible de changement de sexe, impose la stérilisation à la personne titulaire de ce droit afin de pouvoir l'exercer, et porte ainsi atteinte à sa dignité comme au respect dû à son corps et à l'intimité de sa vie privée ; qu'en exigeant d'E. X... de rapporter une telle preuve, la cour d'appel a violé les articles 16 et 16-1 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ;

Et attendu qu'ayant relevé que M. X... se bornait à produire un certificat d'un médecin du 23 avril 2009 établi sur papier à entête d'un autre médecin, aux termes duquel le premier certifiait que le second, endocrinologue, suivait M. X... pour une dysphorie de genre et précisait que le patient était sous traitement hormonal féminisant depuis 2004, la cour d'appel a estimé que ce seul certificat médical ne permettait de justifier ni de l'existence et de la persistance d'un syndrome transsexuel, ni de l'irréversibilité du processus de changement de sexe, qui ne constituent pas des conditions discriminatoires ou portant atteinte aux principes posés par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 16 et 16-1 du code civil, dès lors qu'elles se fondent sur un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d'indisponibilité de l'état des personnes d'une part, de protection de la vie privée et de respect dû au corps humain d'autre part ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. Emile X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté E. X... de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « si le principe de l'indisponibilité de l'état s'oppose a ce que le droit tienne compte d'un changement volontairement obtenu par un individu, il n'implique pas, pour autant, l'immutabilité de l'état des personnes ; que, lorsqu'un transsexualisme authentique, syndrome médicalement reconnu, et insusceptible de traitement, est rigoureusement diagnostiqué et que le transsexuel a subi, dans un but thérapeutique, des transformations corporelles irréversibles, il convient de considérer que, même si son nouvel état sexuel est imparfait, la formule chromosomique restant quant à elle inchangée, le sujet se rapproche davantage, par son apparence physique, son psychisme et son insertion sociale, du sexe revendiqué que de son sexe initial ; que, dans ces conditions, et dès lors que l'acte de naissance doit obligatoirement aux termes de l'article 57 du code civil, mentionner le sexe de l'intéressé, il y a lieu d'admettre le principe du changement ; qu'en l'espèce, Emile Maurice Jean Marc X..., né le 1er mai 1958 à Rennes (Ille et Vilaine) a été inscrit sur les registres de l'état civil comme étant de sexe masculin ; qu'il lui appartient de justifier en particulier au vu d'éléments médicaux, qu'il doit être considéré comme de sexe féminin ainsi qu'il le sollicite ; que l'appelant soutient être une personne transgenre assumant depuis plusieurs années son identité de genre féminine et que l'inadéquation entre le genre affiché et le genre attribué à la naissance suffit à justifier son changement d'état civil sans avoir démontrer préalablement une opération de réassignation sexuelle ; qu'il se borne à produire sur le plan médical, ainsi qu'il l'avait fait devant les premiers juges, un certificat du Docteur Emmanuelle Y... du 23 avril 2009 établi sur un papier à entête du docteur Dorian A... , aux termes duquel ce médecin " certifie que le Docteur A... endocrinologue, suit Monsieur Emile (Emilie) X... pour une dysphorie de genre et un diabète de type 2 associé dune hypertension artérielle depuis 2006 " précisant que celui-ci est sous traitement hormonal féminisant depuis 2004, le traitement étant bien supporté et efficace ; que ce seul certificat médical qui établit le suivi d'un traitement hormonal féminisant de 2004 à 2009 ne permet pas de justifier d'une transformation physique ou physiologique définitive et ainsi de l'irréversibilité du processus de changement de sexe sollicité ; qu'une expertise apparaît vaine, puisqu'en effet l'appelant qui se défend d'avoir à subir une opération chirurgicale de transformation des organes génitaux, n'invoque aucune opération de chirurgie plastique associée à une hormonothérapie actuelle et ne produit aucun avis d'un psychiatre de nature à établir l'existence et la persistance du syndrome allégué alors même que l'acte de naissance d'Emile X... mentionne qu'il s'est marié à deux reprises, une première fois le 13 octobre 1978 et une seconde fois le 17 avril 1993 et a divorcé également à deux reprises respectivement les 5 octobre 1992 et 13 avril 1995 ; qu'en conséquence le jugement qui a débouté Emile X... de sa demande de changement de sexe et partant de sa demande de changement de prénoms, est confirmé » ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE : « au regard des très longs développements figurant dans les écritures d'Emile X... quant à la position qui selon lui serait celle du Ministère Public auquel il fait grief de ne pas conclure dans le sens de sa demande, il convient, préalablement à tout examen, de rappeler qu'il appartient au demandeur à l'instance de justifier du bien fondé de son action ; qu'or, en l'espèce, ne sont versés aux débats, outre quelques factures datées de 2008 établies au nom d'Emilie X..., que quatre attestations, émanant de témoins déclarant en 2008 connaître depuis quelques années le requérant, savoir qu'il s'agit d'une personne " transgenre " selon certains, " transsexuelle " selon un autre, et le voir " évoluer dans sa vie de femme sans difficulté apparente ", et un certificat en date du 23. avril 2009 signé du Docteur Emmanuelle Y... qui atteste que " le Docteur A... endocrinologue, suit Monsieur Emile (Emilie) X..., né le 1er mai 1958 pour une dysphorie de genre et un diabète de type 2 associé à une hypertension artérielle depuis 2006. II est sous traitement hormonal féminisant depuis 2004, le traitement est bien supporté et efficace " ; qu'au vu de ces seuls éléments, étant d'ailleurs observe que n'est pas même produit un quelconque document émanant du Docteur B..., psychiatre, dont il se prévaut pourtant tout au long de ses conclusions, il apparaît qu'Emile X... n'établit pas la réalité du transsexualisme qu'il invoque ; que dès lors, faute de démontré le syndrome allégué, il ne saurait qu'être débouté de sa demande tendant à voir, sur le fondement de l'article 99 du code civil, modifier sur son acte de naissance la mention relative au sexe, un tel changement à l'état civil ne pouvant intervenir que pour officialiser tine situation de fait avérée, ce qui n'est pas le cas dans le cadre de la présente instance ; que s'agissant du changement de prénom sollicité, qui n'est en l'espèce que l'accessoire de la demande en modification d'état, si le Tribunal est de ce fait effectivement compétent pour en connaître, il ne peut, pour la même raison, que rejeter la demande présentée par Emile X... de ce chef » ;

ALORS 1°) QUE : E. X... soulignait que les ordres juridiques national et européen encourageaient la modification des actes de l'état civil des lors que la personne intéressée invoquait une inadéquation entre le sexe revendiqué et le sexe attribué sur l'acte de naissance, et ajoutait que le suivi d'un traitement hormonal était suffisant pour obtenir une telle modification (conclusions, p. 11 in fine) ; qu'à supposer qu'en affirmant que l'existence et la persistance du « syndrome allégué » n'étaient pas prouvées, elle ait considéré qu'E. X... prétendait qu'il lui fallait présenter un quelconque syndrome pour que sa demande pût aboutir, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

ALORS 2°) QUE : toute personne a le droit au respect de sa vie privée, ce qui implique le droit de définir son appartenance sexuelle et d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, sans devoir présenter un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre, ni devoir préalablement subir un processus irréversible de changement de sexe ; qu'en déboutant E. X... de ses demandes au prétexte qu'il n'était justifié ni d'une « transformation physique ou physiologique définitive et ainsi de l'irréversibilité du processus de changement de sexe sollicité », ni de « l'existence et la persistance du syndrome allégué », la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles 9 et 57 du code civil ;

ALORS 3°) QUE : le principe d'indisponibilité de l'état des personnes n'impose pas de présenter un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre ni de subir un processus irréversible de changement de sexe pour obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie ; qu'à supposer qu'elle ait décidé le contraire en énonçant « le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes s'oppose à ce que la droit tienne compte d'un changement volontairement obtenu par un individu », la cour d'appel a violé le principe susmentionné et l'article 57 du code civil ;

ALORS 4°) QUE : est discriminatoire le fait de subordonner le droit d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, à la preuve d'un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre et à la preuve d'avoir subi un processus irréversible de changement de sexe ; qu'en rejetant les demandes d'E. X... parce que de telles preuves n'étaient pas rapportées, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

ALORS 5°) QUE : le fait de subordonner le droit d'obtenir la modification des actes de l'état civil de façon qu'ils reflètent l'identité de genre choisie, à la preuve d'avoir subi un processus irréversible de changement de sexe, impose la stérilisation à la personne titulaire de ce droit afin de pouvoir l'exercer, et porte ainsi atteinte à sa dignité comme au respect dû à son corps et à l'intimité de sa vie privée ; qu'en exigeant d'E. X... de rapporter une telle preuve, la cour d'appel a violé les articles 16 et 16-1 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.