par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 18 décembre 2003, 00-22249
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
18 décembre 2003, 00-22.249

Cette décision est visée dans la définition :
Vie privée




AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 17 octobre 2000) et les productions, que dans son numéro 2485 daté du 27 août 1997, l'hebdomadaire Télérama a publié un reportage sous le titre "Femmes gitanes", illustré, dans ses deux premières pages, par deux photographies, la première d'une jeune fille marchant dans la rue en robe de mariée, la seconde d'une jeune fille se trouvant dans un lieu clos, allongée et entourée de femmes, photographie assortie de la légende suivante : "La future mariée est allongée sur la table terrorisée. Une vieille femme examine son sexe. L'hymen est intact. La vieille agite un linge brodé comme un signe de victoire" ; qu'estimant qu'il avait été porté atteinte au respect de la vie privée de la jeune fille ainsi représentée, Mlle X..., alors mineure, ses parents ont, au nom de leur enfant et en leur nom personnel, fait assigner, le 22 septembre 1997, devant le tribunal de grande instance, la société anonyme Télérama (la société Télérama), la SARL Agence Magnum (l'Agence Magnum) et Mme Y..., photographe, en réparation de leur préjudice sur le fondement de l'article 9 du Code civil ; que le Tribunal a condamné la société Télérama, l'Agence Magnum et Mme Y... à payer à Mme X..., devenue majeure, une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la

photographe à remettre à Mme X..., sous astreinte, le négatif de la photographie et débouté les parents de la jeune femme de leur demande ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Télérama, l'Agence Magnum et Mme Y... font grief à l'arrêt confirmatif d'avoir écarté l'exception de nullité de l'assignation, prise de la violation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, et la fin de non-recevoir tirée de la prescription prévue par l'article 65 de la loi précitée, alors, selon le moyen :

1 / que l'action fondée sur l'article 9 du Code civil n'est recevable qu'à la condition que les faits mêmes invoqués à l'appui de cette action soient distincts de ceux qui constituent les infractions prévues et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ; que la cour d'appel ne pouvait se contenter de dire que l'action était fondée sur l'article 9 du Code civil, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les faits mêmes invoqués à l'appui de l'action étaient distincts de ceux constituant le délit de diffamation ; que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2 / que l'acte introductif d'instance invoquait non seulement une photographie (où la jeune fille n'était d'ailleurs pas identifiable), mais également la légende qui l'accompagnait de façon indissociable et permettait seule de comprendre ce dont il s'agissait ; que le même acte fondait les demandes sur le "déshonneur" subi par la jeune fille et sa famille ; que les faits invoqués constituaient donc bien, pour les plaignants eux-mêmes, une diffamation ; qu'en déclarant l'action recevable, sous prétexte que la loi du 29 juillet 1881 n'était pas expressément visée dans l'acte, la cour d'appel a violé les articles 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la publication non autorisée de la photographie de l'hebdomadaire édité par Télérama, constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée de Mme X... ; que celle-ci a exclusivement fondé son action sur l'article 9 du Code civil sans évoquer aucune diffamation ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'action engagée ne relevait pas des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 mais de celles de l'article 9 du Code civil ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Télérama, l'Agence Magnum et Mme Y... font encore grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer des dommages-intérêts à Mme X... et d'avoir condamné Mme Y... remettre à Mme X... le négatif de la photographie, alors selon le moyen :

1 / que le droit à la liberté d'expression, qui inclut la liberté de donner ou de recevoir des informations, est garanti par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que ce droit ne peut faire l'objet de restrictions que si elles sont prévues par une loi qui soit formulée avec un précision telle qu'elle permette au citoyen de régler sa conduite en pouvant prévoir, de manière raisonnable, les conséquences d'un comportement donné ; que les restrictions ainsi prévues par la loi doivent être proportionnés au but légitime poursuivi ; que le texte même de l'article 9 du Code civil, prohibant d'une manière générale et absolue toute atteinte à la vie privée, sans prévoir la moindre réserve du droit à l'information, est totalement incompatible avec le texte conventionnel précité ; que la cour d'appel en en faisant application dans le cas d'espèce, a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2 / qu'il est constant, en l'espèce, que la photographe avait été conviée par le groupe dont elle a pris des images, au vu et au su de tous ses membres et sans avoir jamais caché sa qualité de professionnelle ; qu'en la sanctionnant ainsi que son agence et le périodique ayant publié les photographies, la cour d'appel a, de plus fort, violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3 ) qu'en toute hypothèse, le fait de condamner un artiste à remettre son oeuvre entre les mains de son modèle, sous prétexte de la protection de la vie privée de cette dernière, constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété ; que la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu que le principe de la liberté d'expression consacré par le premier paragraphe de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut comporter des restrictions et sanctions prévues par le paragraphe 2 dudit article, nécessaires dans une société démocratique pour préserver notamment l'ordre public et les droits ou la réputation des individus ; que tel est l'objet de l'article 9 du Code civil qui donne au juge le pouvoir d'ordonner toute mesure propre à empêcher ou faire cesser les atteintes au respect dû à la vie privée ainsi qu'à réparer le préjudice qui en résulte ; que c'est sans méconnaître les exigences de l'article 10 de la Convention précitée et par une mesure en proportion avec l'atteinte qu'il convenait de réparer, que la cour d'appel a prononcé une condamnation au paiement de dommages-intérêts au bénéfice de la victime et ordonné la remise à celle-ci du négatif de la photographie litigieuse ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Agence Magnum et Télerama et Mme Y... aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille trois.



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