par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 8 décembre 2016, 14-29492
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Cour de cassation, chambre sociale
8 décembre 2016, 14-29.492

Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X...a été engagée le 17 février 2003 en qualité de clerc collaborateur par la SCP B... et Y...exerçant la profession d'avoué auprès de la cour d'appel de Lyon ; qu'à la suite de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel et emportant la fusion des professions d'avoué et d'avocat au 1er janvier 2012 et la suppression des offices d'avoués devant les cours d'appel, Mme X...a été licenciée le 27 septembre 2011 au motif de la réorganisation du cabinet ayant entraîné la suppression de son poste par la société B... et Y..., devenue la société Y...et associés exerçant la profession d'avocat ;

Sur la recevabilité examinée d'office, après avis donné aux parties, du premier moyen en ce qu'il porte sur un chef du dispositif de l'arrêt ordonnant à l'employeur de rembourser aux organismes concernés des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois :

Attendu que le moyen qui critique un chef de la décision attaquée ayant prononcé une condamnation au profit d'une partie contre laquelle le pourvoi n'est pas dirigé est irrecevable ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen en ce qu'il porte sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif :

Vu l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, ensemble l'article L. 1233-3 du code du travail ;

Attendu que pour faire droit à la demande de la salariée de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient, par motifs propres, que la présomption de licenciement économique des salariés d'avoués posée par l'article 14 précité, qui dispense l'employeur de justifier du motif économique du licenciement, ne prive pas néanmoins le salarié concerné de contester les conséquences de ce motif sur le poste de travail qu'il occupait ; qu'il ressort des éléments du dossier que la société Y...et associés a, dès avant le départ de Mme X..., recruté une personne suivant le statut d'avocat collaborateur libéral chargé notamment de reprendre les tâches confiées précédemment à celle-ci, seule collaboratrice juriste de l'étude d'avoué, en sorte que son emploi n'avait pas été supprimé puisqu'elle avait été remplacée dans ses fonctions par un collaborateur, peu important que le statut de ce dernier ne soit pas celui de salarié de l'entreprise ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'à la suite de la réorganisation de l'étude consécutive à la suppression des offices d'avoués, les tâches précédemment effectuées par la salariée avaient été reprises au titre du poste d'avocat collaborateur libéral nouvellement créé, ce dont il résultait que l'emploi salarié de clerc collaborateur d'avoué avait bien été supprimé et que le licenciement survenu en conséquence directe de la loi du 25 janvier 2011 était fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'employeur au paiement de la somme de 78 270 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 21 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne Mme X...aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la SCP Y...et associés

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;

D'AVOIR jugé que le licenciement pour motif économique était abusif, condamné l'employeur au paiement de la somme de 78. 270 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et par voie de conséquence ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'article 14 de la loi du 25 janvier 2011, qui prévoit que " tout licenciement survenant en conséquence directe de la présente loi entre (sa) publication et le 31 décembre 2012 (..) est réputé licenciement pour motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail ". Cette présomption, qui dispense l'employeur en l'espèce de justifier du motif économique du licenciement, ne prive pas néanmoins le salarié concerné de contester les conséquences de ce motif sur le poste de travail qu'il occupait. En l'espèce, la SCP Y...et ASSOCIES indique dans la lettre de licenciement que la réorganisation du cabinet a entraîné la suppression du poste de collaborateur de Madame X.... Ce motif suppose que cette dernière n'ait pas été remplacée dans le même emploi ou sur son poste après son départ de l'entreprise. Or en l'espèce il ressort des éléments du dossier que : la SCP Y...et ASSOCIÉS a, dès avant le départ de Madame X..., (cf procès-verbal de séance du Conseil de l'Ordre du 14 décembre 2011 pièce n º 26 de Mme X...) recruté Monsieur Mathieu Z...comme nouveau collaborateur ; ce dernier a commencé ses fonctions dès le 2 janvier 2012 ainsi qu'il en atteste lui-même ; le parcours professionnel de Monsieur Z...(pièces 37 de l'appelante et 26 bis de l'intimée) montre qu'avant d'être recruté par la SCP Y...et ASSOCIES, celui-ci n'avait jamais été avocat mais possédait une solide expérience de collaborateur juriste auprès d'études d'avoués de Paris puis de Versailles ; le licenciement de Madame Véronique X...a entraîné le départ de la seule collaboratrice juriste de l'étude en charge d'effectuer, en plus de Me Y...lui-même, les missions relevant jusqu'alors de l'avoué (rédaction d'actes, de conclusions, représentation à l'audience) ; la période transitoire prévue par l'article 27 de la loi de janvier 2011 impliquait la poursuite, par l'avoué devenu avocat, des attributions qui étaient les siennes dans les affaires en cours jusqu'à l'arrêt sur le fond ; ce contexte confirme l'attestation de Mme A..., secrétaire de l'Etude, au demeurant non contestée par la SCP Y..., selon laquelle Monsieur Z...a, dès le 2 janvier 2012, " repris l'activité jusqu'alors exercée par Mme X..." (sic) ; le choix de la SCP Y...et ASSOCIES d'opter, dans le recrutement de cette personne, pour le statut de collaborateur libéral plutôt que de collaborateur salarié, n'a pas d'incidence sur le fait que les tâches jusqu'alors réalisées par la SCP Y...et ASSOCIES ont bien été confiées, par l'employeur, à une personne jusqu'alors extérieure, recrutée spécialement à cette fin ; à cet égard, le " Recueil des règles applicables en matière de collaboration libérale " du Barreau de Lyon (pièce n º 36 de l'appelante) rappelle que le collaborateur " traite les dossiers et accomplit les missions qui lui sont confiées " même s'il peut aussi développer une clientèle personnelle. L'ensemble de ces éléments révèle qu'en réalité l'emploi de Madame Véronique X...n'a pas été supprimé puisqu'elle a été remplacée dans ses fonctions par Monsieur Z...nouvellement recruté, peu important que le statut de ce dernier ne soit pas celui de salarié de l'entreprise, ce dernier critère n'étant pas déterminant puisqu'il en est ainsi, notamment, lorsque le salarié licencié est remplacé par une personne employée d'une société d'intérim. L'absence de suppression du poste prive le licenciement de Madame Véronique X...de cause réelle et sérieuse, et le jugement doit être confirmé sur ce point. Madame Véronique X...avait une ancienneté de 8 ans et était âgée de 50 ans au moment de son licenciement. Elle percevait un salaire moyen mensuel de 5. 934, 50 € bruts y compris treizième mois au prorata et prime d'ancienneté. Elle expose et justifie qu'elle n'a pas pu retrouver une autre activité rémunérée depuis lors, malgré sa prise en charge par une cellule de reclassement et une tentative de reconversion dans les ressources humaines. Il est vraisemblable que sa compétence et son expérience sont difficilement valorisables, vu son âge et le milieu judiciaire restreint dans lequel elle peut les faire valoir. En outre, les circonstances de son éviction au profit d'un collaborateur plus jeune, et le litige qui l'oppose aujourd'hui de ce fait à un avocat, n'ont certainement pas favorisé son recrutement par d'autres cabinets d'avocats du même Barreau. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer la réparation du préjudice de Madame X...à hauteur des 78. 270 € qui lui ont été alloués à ce titre par les premiers juges ; qu'il y a lieu de confirmer, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues pat Madame Véronique X...; compte-tenu des circonstances de la cause, la limite en a justement été fixée à six mois.

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « la réforme de la profession d'avoué et l'intégration dans la profession d'avocat entraîne bien des conséquences réelles sur les contrats de travail. Madame X...avait le statut de collaborateur clerc et ce statut disparaît c'est une réalité. La SCP Y...et Associés modifiée a besoin d'avocats plaidants pour sécuriser sa clientèle c'est une évidence. Cependant Monsieur Z...vient d'une étude d'avoués, il n'a pas l'expérience d'un avocat plaidant. De plus, il vient de Versailles pour intervenir sur Lyon, dire qu'en l'état, il a une clientèle personnelle existante alors qu'il n'est pas encore avocat est un argument qui ne peut être retenu. Madame X...est dans la même situation ordinale que Monsieur Z.... Elle n'a aucun handicap supplémentaire par rapport à Monsieur Z..., elle a même l'avantage de l'expérience et de la connaissance de la clientèle de la SCP Y...et Associés et du tissus géographique Lyonnais. La SCP Y...et Associés avait pour le moins l'obligation de proposer à Madame X...le poste d'avocat collaborateur non salarié. C'est une obligation de moyen, non de résultat mais l'absence de cette proposition prive Madame X...d'une chance de rebondir professionnellement d'autant qu'elle satisfait à toutes les exigences d'accession à la profession d'avocat. Certes la SCP Y...et Associés a supprimé un poste de clerc collaborateur mais elle a créé une fonction d'avocat collaborateur qui n'a pas été proposé à Madame X...».

ALORS QUE si l'adhésion du salarié, dont le licenciement pour motif économique est envisagé à un contrat de sécurisation professionnelle, ne le prive pas de la possibilité de contester le motif économique de la rupture de son contrat de travail, il ne peut en revanche critiquer le motif économique de cette rupture dès lors qu'une loi spécifique institue un régime dérogatoire et crée une présomption de licenciement pour motif économique ; que l'alinéa 1 de l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel qui a supprimé la profession et les offices d'avoués dispose que « tout licenciement survenant en conséquence directe de la présente loi entre la publication de celle-ci et le 31 décembre 2012, ou le 31 décembre 2014 pour les personnels de la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel, est réputé licenciement pour motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail » ; que cet article a donc institué une présomption légale du caractère économique des licenciements prononcés par suite de la disparition des offices d'avoués en sorte que les juges du fond n'ont pas à vérifier la cause économique du licenciement et son incidence sur l'emploi ; qu'en jugeant que l'absence de suppression de poste de la salariée clerc d'avoué privait le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, ensemble l'article L. 1233-3 du code du travail.

ET ALORS QU'aux termes de l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, l'employeur qui maintient son activité en transformant son étude d'avoués en cabinet d'avocats est dispensé de l'obligation de rechercher un reclassement pour les salariés clercs d'avoués dont l'emploi a disparu ; qu'en jugeant par motifs adoptés, pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'employeur n'a pas respecté son obligation de proposer à la salariée clerc d'avoué un poste d'avocat collaborateur non salarié, quand l'employeur par l'effet même de la loi n'était pas tenu à une obligation de reclassement, la cour d'appel a, à nouveau, violé l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, ensemble l'article L. 1233-3 du code du travail.

ALORS, à titre subsidiaire, QUE la disparition décidée par le législateur de l'emploi salarié de clerc d'avoué consécutive à la suppression de la profession d'avoué constitue une suppression de poste ; que la circonstance que les tâches effectuées dans le cadre de l'emploi de clerc d'avoué définitivement supprimé soient en partie reprises par un avocat libéral non salarié est indifférente à la suppression effective de cet emploi salarié ; qu'en décidant le contraire, bien qu'elle ait relevé, par motifs adoptés, que le statut de clerc salarié avait effectivement disparu, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail.

ET ALORS, à titre également subsidiaire, QUE le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut être prononcé que si son reclassement dans l'entreprise, ou dans le groupe auquel elle appartient, est impossible ; qu'il en résulte que seuls les emplois salariés doivent être proposés dans le cadre du reclassement ; qu'en considérant, par motifs adoptés, que l'employeur n'a pas respecté son obligation de proposer à la salariée clerc d'avoué qui avait accepté un contrat de sécurisation professionnelle un poste d'avocat collaborateur non salarié, ce qui privait le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a, à nouveau, violé l'article L. 1233-4 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;

D'AVOIR condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires et déloyales du licenciement ;

AUX MOTIFS QUE « la SCP Y...et ASSOCIÉS a certes manqué de loyauté dans l'exécution du contrat de travail en menant à bien, dès avant le licenciement, des contacts afin de recruter un nouveau collaborateur plus jeune ayant une expérience comparable à celle de Madame Véronique X..., afin de lui succéder dans son poste, sans lui proposer une nouvelle forme de collaboration et sans en rien l'avertir de ces démarches. Ces circonstances vexatoires ont nécessairement causé un préjudice moral à Madame Véronique X..., ce qui justifie que lui soit allouée la somme supplémentaire de 5. 000 € à titre de dommages-intérêts ».

ALORS QUE l'employeur qui se borne à faire application des dispositions légales en vigueur n'exécute pas de manière déloyale le contrat de travail et n'entoure pas la rupture de ce contrat de circonstances vexatoires ; qu'en jugeant que l'employeur avait manqué à son obligation de loyauté et avait entouré la rupture du contrat de travail de la salariée de circonstances vexatoires quand ce dernier s'est borné à faire application des dispositions de l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel qui a autorisé les licenciements des salariés des avoués causés par la suppression de la profession d'avoué, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.


ET ALORS, en toute hypothèse, QU'il appartient aux juges du fond de caractériser les circonstances brutales et vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail ; que pour condamner l'employeur à verser à la salariée des dommages et intérêts supplémentaires au titre des circonstances vexatoires de la rupture, la cour d'appel a reproché à l'employeur de ne pas avoir proposé à la salariée une nouvelle forme de collaboration et d'avoir, sans l'avertir, entamé des démarches pour recruter un collaborateur avocat libéral ; qu'en statuant par ces motifs impropres à caractériser des circonstances brutales et/ ou vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail, lors même qu'il résultait des éléments de preuve versés aux débats, que l'intéressée avait elle-même sollicité de pouvoir être licenciée pour motif économique en application de l'article 14 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 et qu'elle avait dès l'entretien préalable pris la décision d'adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle, ce dont il résultait qu'elle ne souhaitait pas maintenir une collaboration avec son ancien employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.