par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 8 juin 2016, 15-16696
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
8 juin 2016, 15-16.696

Cette décision est visée dans la définition :
Filiation




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 juin 2014), statuant sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 25 septembre 2013, n° 12-19. 528), que M. X... a assigné en référé Mme Y... pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la réalisation d'un test de paternité sur lui-même et l'enfant de celle-ci, Raphaël Y..., né le 7 janvier 2010 ;

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Attendu que M. X... soutient qu'une déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 16-11 du code civil, à intervenir à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par lui, doit priver l'arrêt de tout fondement juridique ;

Attendu que, par arrêt du 2 décembre 2015 (n° 1485 F-P + B), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoi devant le Conseil constitutionnel ; que le moyen est devenu sans objet ;

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen :

1°/ que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que l'article 16-11, alinéa 5, du code civil, qui prévoit qu'en matière civile l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides, en imposant à celui qui soupçonne sans certitude être le père d'un enfant de le reconnaître préalablement de manière mensongère, pour ensuite introduire en justice une action en contestation de sa reconnaissance à l'occasion de laquelle l'expertise génétique, qui est de droit en matière de filiation, pourra être ordonnée afin de vérifier le lien biologique de filiation, est contraire au droit au respect de la vie privée et familiale, tel que garantit par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant cependant, pour juger que l'article 16-11 du code civil s'opposait à ce qu'une expertise génétique soit ordonnée, qu'aucune action judiciaire relative à la filiation paternelle de l'enfant n'avait été intentée, la cour d'appel a méconnu le droit au respect de la vie privée et familiale de M. X... et a ainsi violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que, selon les termes de l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, l'enfant se voit reconnaître « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux » ; que le juge doit en toutes circonstances en assurer la protection dans ses décisions (article 3 de la CIDE), de sorte que l'intérêt supérieur de l'enfant peut justifier qu'un homme qui se déclare prêt à le reconnaître obtienne, avant tout litige, une expertise en vue de s'assurer de la véracité de sa paternité ; qu'en se bornant à relever que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait de ne pas faire droit à la demande d'expertise génétique formée par M. X..., parce que l'établissement d'une filiation par le père, qui serait une démarche responsable et raisonnée, ne pourrait être lié par principe à la vérification scientifique préalable de sa paternité, quand l'intérêt supérieur de l'enfant commandait, tout au contraire, qu'une expertise soit ordonnée pour que M. X... puisse, en toute connaissance de cause, décider de reconnaître l'éventuel lien de filiation qui pourrait être confirmé par la mesure sollicitée, la cour d'appel a violé les articles 3 et 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ensemble l'article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, qu'il résulte du cinquième alinéa de l'article 16-11 du code civil qu'une mesure d'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être ordonnée en référé mais seulement à l'occasion d'une instance au fond relative à la filiation ;

Et attendu que ces dispositions, qui ne privent pas M. X... de son droit d'établir un lien de filiation avec l'enfant ni de contester une paternité qui pourrait lui-être imputée, ne portent pas atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale ; qu'elles ne méconnaissent pas davantage le droit de l'enfant de connaître ses parents et d'être élevé par eux ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande d'expertise génétique ;

Aux motifs que, « Monsieur Elvio X... fonde sa demande d'expertise génétique sur l'article 145 du Code de procédure civile aux termes duquel " s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ".

Il est de jurisprudence constante que l'appréciation de la légitimité du motif relève du pouvoir souverain des juges du fond, le juge devant néanmoins caractériser ce motif.

Or l'article 16-11 du Code civil prévoit que l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée " qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides ".

Il s'ensuit que l'article précité interdit d'ordonner une expertise génétique en l'absence de tout demande au fond relative à la filiation. (question écrite n° 13345 du 7 octobre 2004).

En l'espèce, il n'existe aucun litige potentiel, Monsieur Elvio X... souhaitant simplement avoir des certitudes quant à son éventuelle paternité. Les juges du fond n'ont été saisis d'aucune action tendant à faire établir la paternité.

Monsieur Elvio X... soutient en outre, que les dispositions de l'article 16-11 du Code civil créent une discrimination au sens de l'article 14 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme à son égard en le privant de toute action visant à faire établir sa paternité hors l'aveu et qu'il convient d'écarter cette disposition législative comme non conventionnelle. Pour lui la femme dispose d'une possibilité judiciaire dont est privé l'homme.

Sur le terrain de l'égalité homme-femme, il convient de comparer d'une part l'impossibilité pour l'homme de faire établir, en dehors de tout procès, sa paternité et l'impossibilité pour la femme de faire établir sa propre maternité. Le droit français ne permet pas pour un homme comme pour une femme de demander une expertise biologique sur un enfant avec lequel il n'a aucun lien de droit. Cette impossibilité frappe les hommes comme les femmes.

Aux termes des articles 325, 327 et 328 du Code civil, une femme et un homme peuvent agir en recherche de maternité et de paternité et ce, y compris en cas d'accouchement dans le secret, aucune fin de non-recevoir ne pouvant plus être opposée et solliciter une expertise biologique pour le lien de filiation avec le père ou la mère prétendue dès lors qu'il l'a identifiée. Les actions en recherche de maternité et de paternité sont donc soumises au même régime procédural. Il s'ensuit que l'argument tiré de la discrimination au sens de l'article 14 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme n'est pas fondé.

Si l'intérêt supérieur de l'enfant commande qu'il ait une filiation établie à l'égard de ses deux parents, il suffit à Monsieur Elvio X... de le reconnaître ou en cas de doute de s'abstenir comme il l'a fait à ce jour, étant précisé qu'il n'est pas nécessaire que le lien de filiation repose sur la réalité biologique.

Bien au contraire et comme l'a indiqué le premier juge, l'intérêt supérieur de l'enfant commande de ne pas faire doit à la demande d'expertise génétique sollicitée l'établissement d'une filiation par le père ne pouvant être lié par principe à l'établissement scientifique préalable de sa paternité.

Il s'agit d'une démarche responsable et raisonnée et la présente demande ne peut s'envisager que dans la perspective d'un contentieux judiciaire à l'initiative du père, hypothèse exclue en l'espèce.

Il s'ensuit qu'en l'absence de motif légitime et en l'absence de discrimination au sens des article 14 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir à référé et Monsieur Elvio X... sera débouté en outre de sa demande d'expertise génétique. Il convient de relever que premier juge en indiquant dans son dispositif n'y avoir lieu à référé n'a pas statué ultra petita » ;

Et aux motifs des premiers juges, éventuellement adoptés :

« Attendu que Elvio X... fonde sa demande d'expertise sur l'article 145 du Code de procédure civile, lequel permet au juge d'ordonner une mesure d'instruction légalement admissible s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ;

Attendu qu'il sera préalablement observé que le demandeur ne précise pas la nature de l'expertise sollicitée, que celle-ci ne peut être qu'un examen comparé des sangs, l'examen des ADN n'étant pas permis dans le cadre de la présente procédure ;

Attendu qu'il est loisible à Elvio X... de reconnaître l'enfant Rafaël par une démarche volontaire, hors de toute procédure judiciaire, dès lors qu'en l'état actuel du droit il n'est pas nécessaire que le lien de filiation repose sur la réalité biologique ;

Attendu que Elvio X... ne justifie pas en quoi l'expertise sollicitée serait nécessaire à la réalisation d'un procès qu'il serait susceptible d'engager, que bien au contraire, il situe sa démarche dans l'hypothèse d'une contestation de paternité qu'il serait amené à élever dans le cas où Florence Y... dirigerait contre lui une action en reconnaissance de paternité ;

Attendu toutefois qu'il lui serait loisible, dans le cadre de cette instance, de solliciter les mesures d'instruction, utiles à cette contestation ;

Attendu que si l'intérêt supérieur de l'enfant commande qu'il ait une filiation établie à l'égard de ses parents, il suffit à Elvio X... de le reconnaître, que s'il a le moindre doute, il lui suffit de s'abstenir ;

Attendu, bien au contraire, que l'intérêt supérieur de l'enfant commande de ne pas faire droit à la demande de mesure d'expertise sollicitée, l'établissement d'une filiation par le père ne pouvant être lié par principe à l'établissement scientifique préalable de sa paternité, qu'il s'agit en effet d'une démarche responsable et raisonnée, alors que la présente demande ne peut s'envisager que dans la perspective d'un contentieux judiciaire à l'initiative du requérant, hypothèse exclue en l'espèce ;

Attendu pas plus que le demandeur ne saurait se prévaloir d'une prétendue discrimination dès lors qu'il lui serait loisible de solliciter une expertise dans l'hypothèse d'une action en reconnaissance de paternité dirigée contre lui ;

Attendu en conséquence qu'il ne saurait être fait droit à la demande d'expertise » (ordonnance de référé du 28 avril 2010, pp. 2-3) ;

Alors que, d'une part, (issue d'une question prioritaire de constitutionnalité) l'article 16-11, alinéa 5, du code civil, qui prévoit qu'en matière civile l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides, en imposant à celui qui soupçonne sans certitude être le père d'un enfant de le reconnaître préalablement de manière mensongère, pour ensuite introduire en justice une action en contestation de sa reconnaissance à l'occasion de laquelle l'expertise génétique, qui est de droit en matière de filiation, pourra être ordonnée afin de vérifier le lien biologique de filiation, est contraire au droit de mener une vie familiale normale et au respect de la vie privée, de sorte qu'il y a lieu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, la décision de la Cour d'appel perdra toute base légale comme ayant été prononcée sur le fondement d'un article de loi contraire tant au droit de mener une vie familiale normale qu'au droit au respect de la vie privée ;

Alors que, d'autre part, chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que l'article 16-11, alinéa 5, du code civil, qui prévoit qu'en matière civile l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides, en imposant à celui qui soupçonne sans certitude être le père d'un enfant de le reconnaître préalablement de manière mensongère, pour ensuite introduire en justice une action en contestation de sa reconnaissance à l'occasion de laquelle l'expertise génétique, qui est de droit en matière de filiation, pourra être ordonnée afin de vérifier le lien biologique de filiation, est contraire au droit au respect de la vie privée et familiale, tel que garantit par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant cependant, pour juger que l'article 16-11 du code civil s'opposait à ce qu'une expertise génétique soit ordonnée, qu'aucune action judiciaire relative à la filiation paternelle de l'enfant n'avait été intentée, la Cour d'appel a méconnu le droit au respect de la vie privée et familiale de Monsieur X... et a ainsi violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Alors que, enfin, selon les termes de l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, l'enfant se voit reconnaître « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux » ; que le juge doit en toutes circonstances en assurer la protection dans ses décisions (art. 3 de la CIDE), de sorte que l'intérêt supérieur de l'enfant peut justifier qu'un homme qui se déclare prêt à le reconnaître obtienne, avant tout litige, une expertise en vue de s'assurer de la véracité de sa paternité ; qu'en se bornant à relever que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait de ne pas faire droit à la demande d'expertise génétique formée par Monsieur X..., parce que l'établissement d'une filiation par le père, qui serait une démarche responsable et raisonnée, ne pourrait être lié par principe à la vérification scientifique préalable de sa paternité, quand l'intérêt supérieur de l'enfant commandait, tout au contraire, qu'une expertise soit ordonnée pour que Monsieur X... puisse, en toute connaissance de cause, décider de reconnaître l'éventuel lien de filiation qui pourrait être confirmé par la mesure sollicitée, la Cour d'appel a violé les articles 3 et 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ensemble l'article 145 du code de procédure civile.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.