par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 7 avril 2016, 15-16092
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
7 avril 2016, 15-16.092

Cette décision est visée dans la définition :
Récusation




LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° A 15-16. 091, B 15-16. 092 et C 15-16. 093 ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 5 février 2015), que la société Tüv Rheinland LGA Products Gmbh (la société TRLP), dont la filiale française est la société Tüv Rheinland France (la société TRF), a évalué, en tant qu'organisme notifié au sens de la directive 93/ 42/ CEE, la conformité de prothèses mammaires fabriquées par la société Poly Implant Prothèse (la société PIP) ; que par un jugement du 14 novembre 2013, infirmé en appel, le tribunal de commerce de Toulon, dans une formation présidée par M. X..., a notamment constaté que l'intervention de la société TRF dans le dossier de certification avait été réalisée en fraude de la législation communautaire, dit que la société TRLP avait manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance dans l'exercice de sa mission, dit que la responsabilité professionnelle de ces deux sociétés était effective et qu'elles devaient réparer les préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs des produits de la société PIP ainsi que les préjudices corporels et psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires de cette marque et a ordonné des mesures d'expertise judiciaire ; qu'ayant ensuite été assignées en responsabilité devant ce même tribunal de commerce par d'autres sociétés ainsi que d'autres personnes exposant être porteuses d'implants mammaires, les sociétés TRF et TRLP ont formé dans chacune des instances des demandes de récusation visant M. X..., qui s'y est opposé ;

Attendu que les sociétés TRF et TRLP font grief aux arrêts de rejeter leur demande de récusation, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 111-6, 5° du code de l'organisation judiciaire, n'épuise pas les cas de récusation ; qu'est présumé partial, et tenu de se déporter en application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le juge qui a déjà tranché un litige en tous points analogue, en droit et en fait, à celui dont il est saisi ; qu'en écartant la requête en récusation déposée par l'organisme notifié TRLP et la société TRF au motif, essentiellement, que les demandes dont M. Rodolphe X... devait connaître n'avaient pas été initiées par les mêmes parties que celles qui avaient obtenu le jugement du 14 novembre 2013 et que, dans ces conditions, ce magistrat n'était pas saisi d'une « même affaire » au sens de l'article L. 111-6, 5° du code de l'organisation judiciaire, sans rechercher, comme elle y était clairement invitée, si, indépendamment même de la différence d'identité des demandeurs et intervenants à l'instance, l'organisme notifié TRLP et la société TRF ne justifiaient pas, au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention EDH, d'un juste motif de récusation dès lors que le contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques à ceux qui étaient en cause dans l'instance ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2013, et que des demandeurs sollicitaient l'application pure et simple de cette décision, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article 341 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en décidant que l'organisme notifié TRLP et la société TRF ne justifiaient pas d'un juste motif de récusation alors que le contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques à ceux qui étaient en cause dans l'instance ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2013, et que les demandeurs sollicitaient l'application pure et simple de cette décision, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Mais attendu que le fait qu'un juge se soit déjà prononcé dans un litige procédant d'un contentieux sériel n'est pas en soi de nature à porter atteinte à son impartialité pour connaître des autres litiges de ce même contentieux ;

Que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués après avis donné aux parties, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

Et attendu qu'il n'y pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième et quatrième branches du moyen annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés Tüv Rheinland LGA Products Gmbh et Tüv Rheinland France aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit aux pourvois par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour les sociétés Tüv Rheinland LGA Products Gmbh et Tüv Rheinland France.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de récusation déposée par l'organisme notifié TRLP et la société TRF.

AUX MOTIFS QUE : « l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire dispose que la récusation d'un juge, sauf dispositions particulières à certaines juridictions, peut être demandée : 1° si lui-même o u son conjoint a un intérêt personnel à la contestation, 2° si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties, 3° si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement, 4° s'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint, 5° s'il a précédemment con nu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties, 6° si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties, 7° s'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint, 8° s'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties. A côté de ces causes, énumérées limitativement par cet article, demeure en toute hypothèse l'exigence d'impartialité rappelée par l'article 6- §-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial..., exigence qui peut motiver une récusation. La récusation est fondée sur la prise en considération d'un jugement rendu le 14 novembre 2013 par le tribunal de commerce de Toulon alors composé de M. X..., président, Mme Y..., Mme Z..., M. A...et M. C..., juges. Ce jugement est intervenu en une procédure enrôlée au tribunal de commerce de Toulon sous le numéro 2011F00517 et dans laquelle les parties étaient :- la société italienne GF Electromedics, la société brésilienne EMI Importacao et Distribucao Ttda et la société bulgare J & D Medicals, demanderesses,- de nombreux intervenants volontaires, M. Hussam B..., la société mexicaine Implementos Medicos Ortopedicos, la société roumaine J & D Aestheticals, et plus de 1000 personnes physiques, porteuses de prothèses mammaires,- la société TÃœV Rheinland LGA Product, venant aux droits la société TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh, et la société TÃœV Rheinland France, défenderesses. Cette instance visait à mettre en cause la responsabilité de ces deux sociétés, TÃœV Rheinland LGA Product, venant aux droits la société TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh, et TÃœV Rheinland France dans la procédure de contrôle de la conformité d'un produit dans le cadre de la mise sur le marché européen et concernant les prothèses mammaires de la société Poly Implant Prothèse. Par ce jugement, le tribunal de commerce de Toulon, sous la présidence de M. Rodolphe X..., vice-président du tribunal de commerce a :- dit que TÃœV Rheinland LGA Products Gmbh en sa qualité d'organisme " notifié " avait manqué à ses obligations de contrôle, de prudence, de vigilance dans l'exercice de sa mission,- dit qu'en conséquence la responsabilité professionnelle de TÃœV Rheinland France et celle de TÃœV Rheinland LGA Products Gmbh étaient effectives, ces deux entités devant réparer solidairement les préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs des produits de la Sa PIP et les préjudices corporels et/ ou psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires de marque PIP,- condamné solidairement TÃœV Rheinland France et TÃœV Rheinland LGA Products Gmbh à payer à chacune des autres intervenantes mentionnées une provision de 3. 000 €. Les sociétés requérantes à la récusation se prévalent notamment des motifs suivants du jugement : « Attendu que l'action des entités TÃœV, réduite a minima de leurs obligations aux contrats d'adhésion intervenus avec la SA PIP, qu'il en a été de même à l'égard de celle de la directive 93/ 42 CE, revêt le caractère d'une situation de rente » Attendu que tous les manquements de TÃœV Allemagne à ses obligations de contrôle, de surveillance et de vigilance, ainsi que I'ingérence de TÃœV France dans la procédure édictée par la Commission Européenne, convergent à mettre en évidence leur responsabilité professionnelle, les entités TÃœV ayant concouru par leurs négligences diverses à la commission de la fraude de la SA PIP, le tribunal devant les condamner solidairement à indemniser les préjudices causés, tant aux distributeurs par suite de l'arrêt d'approvisionnement de produits PIP désormais interdits et la destruction de leur stock, qu'aux porteuses d'implants » Il ne peut être dit que M. X... a déjà connu de l'affaire au sens de l'article L. 111-6. 5° du code de l'organisation judiciaire alors que si cette instance est dirigée également contre les sociétés TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh et TÃœV Rheinland France elle n'est pas initiée par les mêmes personnes que celles qui avaient initié l'instance ayant abouti au jugement du tribunal de commerce du 14 novembre 2013 et les parties ne sont pas les mêmes. C'est une nouvelle affaire dirigée contre les sociétés TUV Rheinland Product Safety Gmbh et TÃœV Rheinland France par de nouvelles parties. M. X... n'a jamais connu de cette nouvelle affaire. Le tribunal de commerce de Toulon, en une formation de cinq juges consulaires, comprenant M. X..., président, a jugé d'une première affaire, distincte, dirigée contre les sociétés TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh et TÃœV Rheinland France. La décision ne convient pas aux les sociétés TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh et TÃœV Rheinland France qui en contestent la motivation. Cette motivation correspond à une analyse juridique et de fait formée dans le cadre d'un litige, analyse que les sociétés TÃœV Rheinland Product Safety Gmbh et TÃœV Rheinland France sont libres de critiquer par la voie de l'appel. Elle ne traduit aucune partialité des magistrats et notamment de M. X..., mais correspond à la mission du juge. Aucune cause de récusation n'est établie ».

1°/ ALORS QUE l'article L 111-6, 5° du Code de l'organisation judiciaire, n'épuise pas les cas de récusation ; qu'est présumé partial, et tenu de se déporter en application de l'article 6 § 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, le juge qui a déjà tranché un litige en tous points analogue, en droit et en fait, à celui dont il est saisi ; qu'en écartant la requête en récusation déposée par l'organisme notifié TRLP et la société TRF au motif, essentiellement, que les demandes dont Monsieur Rodolphe X... devait connaître n'avaient pas été initiées par les mêmes parties que celles qui avaient obtenu le jugement du 14 novembre 2013 et que, dans ces conditions, ce magistrat n'était pas saisi d'une « même affaire » au sens de l'article L 111-6, 5° du Code de l'organisation judiciaire, s ans rechercher, comme elle y était clairement invitée (demande de récusation, p. 6s.), si, indépendamment même de la différence d'identité des demandeurs et intervenants à l'instance, l'organisme notifié TRLP et la société TRF ne justifiaient pas, au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention EDH, d'un juste motif de récusation dès lors que le contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques à ceux qui étaient en cause dans l'instance ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2013, et que des demandeurs sollicitaient l'application pure et simple de cette décision, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention EDH, ensemble l'article 341 du Code de procédure civile ;

2°/ ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'en décidant que l'organisme notifié TRLP et la société TRF ne justifiaient pas d'un juste motif de récusation alors que le contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques à ceux qui étaient en cause dans l'instance ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2013, et que les demandeurs sollicitaient l'application pure et simple de cette décision, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention EDH ;

3°/ ALORS QUE, de surcroit, crée une apparence de partialité, justifiant sa récusation, le magistrat qui emploie contre une partie des termes qui traduisent l'inclinaison ou la réserve qu'il éprouve à l'égard de sa personne ; qu'en l'espèce, l'organisme notifié TRLP et la société TRF faisaient additionnellement valoir que l'emploi, par la formation de jugement présidée par Monsieur Rodolphe X..., de termes clairement dépréciatifs à l'encontre de l'organisme notifié TRLP-celui-ci ayant qualifié l'activité exercée par l'organisme notifié TRLP de « situation de rente » leur faisait légitimement craindre un défaut d'impartialité (demande de récusation, p. 8.) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, qui était de nature à justifier la récusation de Monsieur Rodolphe X... sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention EDH, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

4°/ ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QU'à admettre, à la faveur d'une dénaturation de l'arrêt attaqué, que la Cour d'appel ait répondu au moyen susvisé et estimé que la qualification, par la formation de jugement présidée par Monsieur Rodolphe X..., de l'activité de l'organisme notifié TRLP et de la société TRF de « situation de rente » ne créait pas une apparence de partialité, la Cour d'appel, ne pouvait, sans violer l'article 6 § 1 de la Convention EDH, statuer ainsi alors que l'utilisation de ces termes clairement dépréciatifs par le magistrat, et méconnaissant son devoir de réserve et de neutralité, faisait légitimement craindre à l'organisme notifié TRLP un défaut d'impartialité et trahissait l'aversion qu'il pouvait avoir à l'encontre de l'activité exercée par cette dernière ;



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Récusation


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.