par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 3 juin 2014, 12-18012
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Cour de cassation, chambre commerciale
3 juin 2014, 12-18.012

Cette décision est visée dans la définition :
Litispendance




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Donne acte aux demandeurs au pourvoi principal de leur désistement envers les époux X..., M. Y..., M. Z..., Mme A..., M. B..., la société Comalex, Mme C..., Mme D..., M. E..., les époux F..., les consorts G..., les consorts H..., M. K..., Mme I..., Mme J..., la société Marbrerie Funéraire Guy Beaucourt, Mme L..., les époux W..., M. M..., M. N..., les consorts O..., M. AA..., les sociétés civile PDG et Privée de Gestion de Patrimoine, Mme P..., les époux Q..., la société Val Invest, les consorts R..., M. BB..., la société FP Dynamique SP et M. S... ;
Donne acte à Mme T... et à M. U... de leur désistement envers M. S... ;

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. V... et par vingt sept autres personnes physiques et morales que sur les pourvois incidents relevés par Mme T... et M. U... et par les sociétés UBS (Luxembourg), UBS AG, UBS Fund Services (Luxembourg) et UBS Third Party Management Company ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur contredit, que, faisant valoir qu'ils avaient perdu les sommes qu'ils avaient investies dans la SICAV de droit luxembourgeois Luxalpha (la SICAV) en raison de fautes imputables à la société de droit suisse UBS AG ainsi qu'à ses filiales de droit luxembourgeois, les sociétés UBS (Luxembourg), UBS Fund Services (Luxembourg) et UBS Third Party Management Company, respectivement " promoteur ", dépositaire, société de gestion et agent administratif de la SICAV (les sociétés UBS), M. V... et d'autres personnes physiques et morales, dont Mme T... et M. U... (les investisseurs), ont, le 19 mars 2010, fait assigner les sociétés UBS devant le tribunal de commerce de Paris ; que celles-ci, faisant valoir qu'aucune d'elles n'avait son siège en France et que ni le fait générateur, ni le lieu où le dommage est survenu n'étaient situés en France, ont, à titre principal, contesté la compétence du juge français ; que, se prévalant de la saisine antérieure, par les liquidateurs de la SICAV, agissant au nom de tous les investisseurs, du tribunal d'instance de Luxembourg pour obtenir le remboursement par les parties défenderesses à cette instance, dont les sociétés UBS, de la valeur des actifs de la SICAV, ces sociétés ont, à titre subsidiaire, soulevé une exception de litispendance ; qu'après que les investisseurs eurent modifié, à l'audience, leur demande initiale et sollicité la réparation d'un dommage consistant en la perte d'une chance de mieux investir ou de désinvestir, le tribunal de commerce a rejeté l'exception d'incompétence, déclaré les demandeurs recevables en leurs demandes au titre de la perte d'une chance et a, sur le fondement de la connexité, sursis à statuer jusqu'à la décision de la juridiction luxembourgeoise ; que la cour d'appel a confirmé le jugement du chef de la compétence et, l'infirmant pour le surplus, a constaté l'existence d'une situation de litispendance européenne et sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal d'arrondissement de Luxembourg se prononce sur sa compétence ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident de Mme T... et de M. U..., rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu que les investisseurs font grief à l'arrêt de constater l'existence d'une situation de litispendance européenne alors, selon le moyen :

1°/ que pour l'appréciation de l'existence d'une situation de litispendance internationale au sens de l'interprétation autonome qu'en donne la Cour de justice de l'Union européenne, notamment sous le rapport de l'identité d'objet, il y a lieu de prendre en considération les demandes définitivement formées devant chacune des deux juridictions saisies, le périmètre de cette saisine définitive étant déterminé selon les règles du droit national de chaque juridiction concernée ; que selon les règles du droit français, les demandes définitivement formées devant un tribunal de commerce sont celles présentées oralement à l'audience, sauf cas particulier d'autorisation donnée aux parties de formuler leurs prétentions par écrit sans se présenter à l'audience ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française et donc d'une litispendance internationale, que la saisine définitive du tribunal de commerce résultait de l'assignation devant cette juridiction, « peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale », la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et les articles 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant que le litige soumis au tribunal de commerce portait pour l'essentiel sur la perte par les demandeurs à l'action de leurs avoirs dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha, cependant que, s'agissant d'une procédure orale et ainsi que l'avait expressément retenu le tribunal de commerce, ce dernier avait été saisi des prétentions formulées à l'audience par les demandeurs à l'action et tendant à la réparation de leur préjudice personnel tenant à la perte d'une chance d'effectuer un meilleur investissement, la cour d'appel a violé les articles 4, 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;

3°/ que si l'on suppose que la cour d'appel a estimé que la saisine définitive du tribunal de commerce était fixée non par l'assignation mais par les débats devant cette juridiction, il résultait de cette saisine, comme l'avait relevé le tribunal de commerce, que les demandeurs à l'action sollicitaient la réparation de la perte d'une chance de réaliser un meilleur investissement, préjudice personnel à chacun d'eux et distinct du préjudice collectif dont les liquidateurs de la Sicav demandaient la réparation devant la juridiction luxembourgeoise ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française, la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est à bon droit que, pour apprécier si les conditions d'une situation de litispendance au sens des articles 27 du règlement (CE) du Conseil n° 44/ 2001, du 22 décembre 2000, et 21 de la convention de Lugano, du 16 septembre 1988, étaient réunies, la cour d'appel s'est référée aux prétentions formulées dans l'acte introductif d'instance devant la juridiction saisie en second lieu ;

Et attendu, en second lieu, qu'il résulte de ce qui précède que la critique de la troisième branche est inopérante ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident des sociétés UBS, pris en sa première branche :

Vu les articles 5, point 3, du règlement (CE) du Conseil n° 44/ 2001, du 22 décembre 2000, et de la convention de Lugano, du 16 septembre 1988 ;

Attendu que pour rejeter l'exception d'incompétence territoriale, l'arrêt, après avoir relevé que le litige soumis au tribunal de commerce de Paris porte pour l'essentiel sur la perte par les investisseurs de leurs avoirs dans la SICAV luxembourgeoise, retient que, dans la mesure où une partie des demandeurs ont souscrit après l'autorisation de commercialisation en France de la SICAV qui a été accordée par l'Autorité des marchés financiers le 25 mars 2005, est établie l'existence d'un fait causal ayant eu lieu en France et ainsi celle d'un fait dommageable s'étant produit dans ce pays ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la localisation en France d'un événement causal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du premier moyen, non plus que sur le second moyen du pourvoi incident des sociétés UBS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu, entre les parties, le 21 février 2012, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat aux Conseils pour M. et Mme V... et les 26 autres demandeurs
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, D'AVOIR constaté l'existence d'une situation de litispendance internationale, sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, première juridiction saisie, se prononce sur sa compétence, et infirmé le jugement en ce qu'il avait dit les demandeurs recevables dans leur action, sur fondement délictuel, au titre d'une perte de chance alléguée, leur ayant causé un préjudice direct, personnel et distinct du préjudice social subi par la Sicav Luxalpha ;
AUX MOTIFS QUE le litige soumis au tribunal de commerce de Paris portait pour l'essentiel sur la perte de leurs avoirs par les demandeurs dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha ; que, par acte introductif d'instance du 17 décembre 2009, les liquidateurs de la Sicav Luxalpha placée en liquidation judiciaire le 2 avril 2009, qui avaient été désignés par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg notamment pour représenter tous les investisseurs à la suite de la révélation de la « fraude Madoff » le 11 décembre 2008, avaient saisi ce même tribunal d'arrondissement pour obtenir le remboursement de la valeur des actifs de Luxalpha et procéder aux remboursements des investisseurs ; que par assignation du 19 mars 2010, les demandeurs avaient saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande de réparation de leur préjudice aux motifs que les fautes d'Ubs avaient causé la perte totale de leur investissement dans cette Sicav ; que la compétence s'appréciant lors de l'introduction de l'instance, il n'y avait pas lieu de prendre en compte la modification de la demande intervenue à la suite de l'exception d'incompétence qui a été soulevée, peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale ; que sur la litispendance au sens des articles 27 du Règlement 44/ 2001 et 21 de la Convention de Lugano, la condition d'identité de parties était satisfaite dès lors qu'il y avait eu représentation ; qu'en l'espèce, les liquidateurs de la Sicav Luxalpha, demandeurs devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, agissaient au nom de tous les investisseurs ; que par ailleurs les défendeurs devant le tribunal de commerce étaient également parties devant le tribunal de Luxembourg ; qu'il existait dès lors une identité de parties ; qu'en outre, s'agissant des mêmes faits et de la même règle juridique invoquée au soutien de la demande, à savoir la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle des sociétés contredisantes invoquée à titre subsidiaire devant le tribunal de Luxembourg, notamment du fait du manquement à leurs obligations légales, la condition d'identité de cause au sens des articles susvisés était remplie ; qu'enfin, s'agissant de demandes respectives en indemnisation du préjudice subi poursuivant le même but, la condition d'identité d'objet était également satisfaite ; qu'ainsi, l'action engagée devant le tribunal de commerce de Paris par les consorts X... et autres suivant une assignation du 19 mars 2010, créait une situation de litispendance européenne avec celle antérieurement introduite par les liquidateurs de Luxalpha devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg le 17 décembre 2009 ; qu'en conséquence, il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie (arrêt, pp. 17 et 18) ;
ALORS QUE pour l'appréciation de l'existence d'une situation de litispendance internationale au sens de l'interprétation autonome qu'en donne la Cour de justice de l'Union européenne, notamment sous le rapport de l'identité d'objet, il y a lieu de prendre en considération les demandes définitivement formées devant chacune des deux juridictions saisies, le périmètre de cette saisine définitive étant déterminé selon les règles du droit national de chaque juridiction concernée ; que selon les règles du droit français, les demandes définitivement formées devant un tribunal de commerce sont celles présentées oralement à l'audience, sauf cas particulier d'autorisation donnée aux parties de formuler leurs prétentions par écrit sans se présenter à l'audience ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française et donc d'une litispendance internationale, que la saisine définitive du tribunal de commerce résultait de l'assignation devant cette juridiction, « peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale », la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et les articles 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en retenant que le litige soumis au tribunal de commerce portait pour l'essentiel sur la perte par les demandeurs à l'action de leurs avoirs dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha, cependant que, s'agissant d'une procédure orale et ainsi que l'avait expressément retenu le tribunal de commerce, ce dernier avait été saisi des prétentions formulées à l'audience par les demandeurs à l'action et tendant à la réparation de leur préjudice personnel tenant à la perte d'une chance d'effectuer un meilleur investissement, la cour d'appel a violé les articles 4, 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;

ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE si l'on suppose que la cour d'appel a estimé que la saisine définitive du tribunal de commerce était fixée non par l'assignation mais par les débats devant cette juridiction, il résultait de cette saisine, comme l'avait relevé le tribunal de commerce, que les demandeurs à l'action sollicitaient la réparation de la perte d'une chance de réaliser un meilleur investissement, préjudice personnel à chacun d'eux et distinct du préjudice collectif dont les liquidateurs de la Sicav demandaient la réparation devant la juridiction luxembourgeoise ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française, la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Moyens produits aux pourvois incident et provoqué par Me Foussard, avocat aux Conseils pour les sociétés UBS, UBS AG, UBS Fund Services, UBS Third Party Management Company

PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure :
EN CE QUE la cour d'appel de Paris, confirmant en cela le jugement du tribunal de commerce de Paris, s'est déclarée compétente ;

AUX MOTIFS QUE « le litige soumis au tribunal de commerce de Paris porte pour l'essentiel sur la perte de leurs avoirs par les demandeurs dans la SICAV luxembourgeoise LUXALPHA ; que par acte introductif d'instance du 17 décembre 2009, les liquidateurs de la SICAV LUXALPHA placée en liquidation judiciaire le 2 avril 2009, qui ont été désignés par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg notamment pour représenter tous les investisseurs à la suite de la révélation de la « fraude Madoff » le 11 décembre 2008, ont saisi ce même tribunal d'arrondissement pour obtenir le remboursement de la valeur des actifs de LUXALPHA et procéder aux remboursements des investisseurs ; que par assignation du 19 mars 2010, les demandeurs ont saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande de réparation de leur préjudice aux motifs que les fautes d'UBS ont causé la perte totale de leur investissement dans cette SICAV ; que la compétence s'appréciant lors de l'introduction de l'instance, il n'y a pas lieu de prendre en compte la modification de la demande intervenue à la suite de l'exécution de l'exception d'incompétence qui a été soulevée, peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale ; que, dans la mesure où une partie des demandeurs à la présente instance domiciliés en France, ont souscrits après l'autorisation de commercialisation en France de la SICAV qui a été accordée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 25 mars 2005, est établie l'existence d'un fait causal ayant eu lieu en France et ainsi celle d'un fait dommageable s'étant produit dans ce pays ; qu'en conséquence, la compétence des juridictions françaises est justifiée en application de l'article 5-3 du règlement 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de l'article 5-3° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 » ;
ALORS QUE, premièrement, en vertu des articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, le défendeur en matière délictuelle ou quasi-délictuelle est attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal ; qu'à supposer que le lieu de souscription soit pertinent, et pour décider que l'événement causal avait lieu en France, les juges du fond auraient dû s'attacher à vérifier que la souscription avait eu lieu en France et non pas se déterminer à raison de la date d'une telle souscription ; qu'en répondant à la question de la localisation de la souscription par une considération relative à sa date quand celle-ci était indifférente, dès lors que même après la date du 25 mars 2005 la souscription pouvait avoir lieu à l'étranger, la cour d'appel a violé les articles 5. 3 du règlement 44/ 2001 et de la Convention de Lugano ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en toute hypothèse, les juges du fond ont constaté qu'une partie des demandeurs ont souscrit après l'autorisation de commercialisation ; que corrélativement, ils ont fait apparaître que certains avaient souscrit avant le 25 mars 2005 ; qu'en s'abstenant d'établir une distinction entre les différents groupes de souscripteurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

ALORS QUE, troisièmement, la règle de compétence juridictionnelle des articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 exclut qu'un demandeur qui invoque un dommage qu'il prétend être la conséquence du préjudice subi par d'autres personnes, victimes directes du fait dommageable, puisse attraire l'auteur de ce fait devant les juridictions du lieu où il a lui-même constaté le dommage dans son patrimoine ; que les exposantes avaient fait valoir dans leurs conclusions que le préjudice revendiqué au moment de l'introduction par les défendeurs au contredit consistait dans la perte totale de leur investissement et n'était que le corollaire du préjudice subi par LUXALPHA (déclaration de contredit, p. 29 dernier alinéa, p. 30 et p. 31 alinéas 1 à 3 ; observations complémentaires, p. 54 à p. 57 alinéa 4) ; que faute de rechercher si le préjudice invoqué par les défendeurs au contredit était un préjudice indirect insusceptible de fonder la compétence internationale des juridictions françaises, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, quatrièmement, en toute hypothèse, la notion de « lieu où le fait dommageable s'est produit » visée par les articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 et Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ne saurait être interprétée de façon extensive au point d'englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu ; que de l'octroi d'une autorisation de commercialisation en France, pays du domicile des prétendues victimes, il ne peut être déduit que le lieu où le fait dommageable est survenu est situé en France ; qu'en décidant néanmoins que le fait dommageable s'est produit en France au motif qu'« une partie des demandeurs à la présente instance domiciliés en France, ont souscrit après l'autorisation de commercialisation en France de la SICAV qui a été accordée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 25 mars 2005 », la cour d'appel a violé les articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988.
SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure :
EN CE QUE la cour d'appel de Paris, confirmant en cela le jugement du tribunal de commerce de Paris, s'est déclarée compétente ;
AUX MOTIFS QUE « le litige soumis au tribunal de commerce de Paris porte pour l'essentiel sur la perte de leurs avoirs par les demandeurs dans la SICAV luxembourgeoise LUXALPHA ; que par acte introductif d'instance du 17 décembre 2009, les liquidateurs de la SICAV LUXALPHA placée en liquidation judiciaire le 2 avril 2009, qui ont été désignés par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg notamment pour représenter tous les investisseurs à la suite de la révélation de la « fraude Madoff » le 11 décembre 2008, ont saisi ce même tribunal d'arrondissement pour obtenir le remboursement de la valeur des actifs de LUXALPHA et procéder aux remboursements des investisseurs ; que par assignation du 19 mars 2010, les demandeurs ont saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande de réparation de leur préjudice aux motifs que les fautes d'UBS ont causé la perte totale de leur investissement dans cette SICAV ; que la compétence s'appréciant lors de l'introduction de l'instance, il n'y a pas lieu de prendre en compte la modification de la demande intervenue à la suite de l'exécution de l'exception d'incompétence qui a été soulevée, peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale ; que, dans la mesure où une partie des demandeurs à la présente instance domiciliés en France, ont souscrits après l'autorisation de commercialisation en France de la SICAV qui a été accordée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 25 mars 2005, est établie l'existence d'un fait causal ayant eu lieu en France et ainsi celle d'un fait dommageable s'étant produit dans ce pays ; qu'en conséquence, la compétence des juridictions françaises est justifiée en application de l'article 5-3 du règlement 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de l'article 5-3° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 » ;

ALORS QUE, premièrement, en toute hypothèse la souscription ne peut être un critère pertinent, du point de vue de la compétence, que pour autant qu'elle révèle un fait imputable au défendeur ; qu'en l'espèce, les exposantes ont soutenu que les demandeurs se bornaient à reprocher aux exposantes d'avoir mis en place une structure de fonctionnement LUXALPHA occulte au Luxembourg ; qu'en s'abstenant de rechercher dès lors si la souscription était un critère pertinent, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, deuxièmement, les exposantes ont soutenu que la souscription ne leur était pas imputable et qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de prendre en compte la souscription comme critère permettant d'identifier la juridiction compétente, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard des articles 5. 3 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988.

Moyen produit au second pourvoi incident par la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocats aux Conseils pour Mme T... et M. U...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, D'AVOIR constaté l'existence d'une situation de litispendance internationale, sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, première juridiction saisie, se prononce sur sa compétence, et infirmé le jugement en ce qu'il avait dit les demandeurs recevables dans leur action, sur fondement délictuel, au titre d'une perte de chance alléguée, leur ayant causé un préjudice direct, personnel et distinct du préjudice social subi par la Sicav Luxalpha ;
AUX MOTIFS QUE le litige soumis au tribunal de commerce de Paris portait pour l'essentiel sur la perte de leurs avoirs par les demandeurs dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha ; que, par acte introductif d'instance du 17 décembre 2009, les liquidateurs de la Sicav Luxalpha placée en liquidation judiciaire le 2 avril 2009, qui avaient été désignés par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg notamment pour représenter tous les investisseurs à la suite de la révélation de la « fraude Madoff » le 11 décembre 2008, avaient saisi ce même tribunal d'arrondissement pour obtenir le remboursement de la valeur des actifs de Luxalpha et procéder aux remboursements des investisseurs ; que par assignation du 19 mars 2010, les demandeurs avaient saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande de réparation de leur préjudice aux motifs que les fautes d'Ubs avaient causé la perte totale de leur investissement dans cette Sicav ; que la compétence s'appréciant lors de l'introduction de l'instance, il n'y avait pas lieu de prendre en compte la modification de la demande intervenue à la suite de l'exception d'incompétence qui a été soulevée, peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale ; que sur la litispendance au sens des articles 27 du Règlement 44/ 2001 et 21 de la Convention de Lugano, la condition d'identité de parties était satisfaite dès lors qu'il y avait eu représentation ; qu'en l'espèce, les liquidateurs de la Sicav Luxalpha, demandeurs devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, agissaient au nom de tous les investisseurs ; que par ailleurs les défendeurs devant le tribunal de commerce étaient également parties devant le tribunal de Luxembourg ; qu'il existait dès lors une identité de parties ; qu'en outre, s'agissant des mêmes faits et de la même règle juridique invoquée au soutien de la demande, à savoir la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle des sociétés contredisantes invoquée à titre subsidiaire devant le tribunal de Luxembourg, notamment du fait du manquement à leurs obligations légales, la condition d'identité de cause au sens des articles susvisés était remplie ; qu'enfin, s'agissant de demandes respectives en indemnisation du préjudice subi poursuivant le même but, la condition d'identité d'objet était également satisfaite ; qu'ainsi, l'action engagée devant le tribunal de commerce de Paris par les consorts X... et autres suivant une assignation du 19 mars 2010, créait une situation de litispendance européenne avec celle antérieurement introduite par les liquidateurs de Luxalpha devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg le 17 décembre 2009 ; qu'en conséquence, il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie (arrêt, pp. 17 et 18) ;
ALORS QUE pour l'appréciation de l'existence d'une situation de litispendance internationale au sens de l'interprétation autonome qu'en donne la Cour de justice de l'Union européenne, notamment sous le rapport de l'identité d'objet, il y a lieu de prendre en considération les demandes définitivement formées devant chacune des deux juridictions saisies, le périmètre de cette saisine définitive étant déterminé selon les règles du droit national de chaque juridiction concernée ; que selon les règles du droit français, les demandes définitivement formées devant un tribunal de commerce sont celles présentées oralement à l'audience, sauf cas particulier d'autorisation donnée aux parties de formuler leurs prétentions par écrit sans se présenter à l'audience ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française et donc d'une litispendance internationale, que la saisine définitive du tribunal de commerce résultait de l'assignation devant cette juridiction, « peu important à cet égard l'oralité de la procédure devant la juridiction commerciale », la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et les articles 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en retenant que le litige soumis au tribunal de commerce portait pour l'essentiel sur la perte par les demandeurs à l'action de leurs avoirs dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha, cependant que, s'agissant d'une procédure orale et ainsi que l'avait expressément retenu le tribunal de commerce, ce dernier avait été saisi des prétentions formulées à l'audience par les demandeurs à l'action et tendant à la réparation de leur préjudice personnel tenant à la perte d'une chance d'effectuer un meilleur investissement, la cour d'appel a violé les articles 4, 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;

ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE si l'on suppose que la cour d'appel a estimé que la saisine définitive du tribunal de commerce était fixée non par l'assignation mais par les débats devant cette juridiction, il résultait de cette saisine, comme l'avait relevé le tribunal de commerce, que les demandeurs à l'action sollicitaient la réparation de la perte d'une chance de réaliser un meilleur investissement, préjudice personnel à chacun d'eux et distinct du préjudice collectif dont les liquidateurs de la Sicav demandaient la réparation devant la juridiction luxembourgeoise ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une identité d'objet entre les demandes formées devant la juridiction luxembourgeoise et la juridiction française, la cour d'appel a violé l'article 27 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 21 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.



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Cette décision est visée dans la définition :
Litispendance


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.