par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 22 mars 2012, 10-25811
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
22 mars 2012, 10-25.811

Cette décision est visée dans la définition :
Huissier




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a recherché la responsabilité civile professionnelle de la SCP Sibran-Cheene-Diebold, huissier de justice, pour avoir mis en oeuvre, à la demande de son épouse, Mme Y..., dès le 11 octobre 2004, par une notification à son employeur, une procédure de paiement direct pour le recouvrement des pensions alimentaires mises à sa charge par le jugement de divorce prononcé le 7 septembre 2004, non assorti de l'exécution provisoire et dont il avait interjeté appel, ainsi qu'une même procédure, le 25 août 2005, pour le recouvrement d'un arriéré de ces pensions, après qu'une ordonnance du conseiller de la mise en état eut ordonné l'exécution provisoire des mesures accessoires sur laquelle le jugement entrepris avait omis de statuer, et pour avoir communiqué à Mme Y... les renseignements que cette SCP avait obtenus auprès du fichier des comptes bancaires (Ficoba) ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que la société civile professionnelle Sibran-Cheene-Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts en raison de la procédure de paiement direct mise en place le 11 octobre 2004, alors, selon le moyen :

1°/ que commet une faute l'huissier qui initie une procédure de paiement direct pour l'exécution d'un jugement de première instance frappé d'appel et non assorti de l'exécution provisoire et qui, pour la mise en oeuvre de cette procédure et conformément aux textes qui la régissent, notifie la demande de paiement direct au tiers à l'égard duquel la procédure est mise en oeuvre ; qu'en exonérant de toute responsabilité l'huissier de justice au motif qu'en notifiant à l'employeur de M. X... la demande de paiement direct, l'huissier de justice n'avait fait « qu'appliquer les textes », la cour d'appel, qui avait elle-même constaté que celui-ci avait mis en oeuvre une procédure de paiement direct pour l'exécution d'un jugement non exécutoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, ensemble, les articles 502 et 504 du code de procédure civile et l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'en retenant tout à la fois que l'huissier de justice avait méconnu les textes relatifs à l'exécution forcée des jugements et que cependant, il n'avait « fait qu'appliquer les textes », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'auteur d'une faute doit en réparer toutes les conséquences dommageables, quand bien même elles n'étaient pas nécessairement induites par son comportement ; M. X... faisait valoir qu'il avait été porté atteinte à sa vie privée et à son image dans la société qui l'employait, la demande de paiement direct adressée à « la société » ayant révélé à sa hiérarchie et à ses collègues l'existence de son divorce et laissé à penser qu'il se soustrayait à ses obligations alimentaires ; que la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif impropre à écarter le lien de causalité entre la faute commise et le dommage subi, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu la faute commise par la SCP d'huissiers de justice, a pu, sans se contredire, estimer que le préjudice invoqué par M. X..., tenant, selon ses conclusions, non pas aux conséquences de cette faute sur son rapport avec son employeur mais exclusivement à la diffusion auprès de ses collègues et collaborateurs des manquements à ses obligations familiales qui lui étaient attribués, n'était pas imputable à l'huissier de justice qui, fût-ce à tort, avait agi selon les formes prescrites pour mettre en oeuvre auprès de l'employeur la mesure de paiement direct ; que le moyen, inopérant en ses deux premières branches, est mal fondé en sa troisième ;

Mais, sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, qui n'est pas nouveau :

Vu l'article 19 de la loi du 9 juillet 1991, ensemble les articles 34 à 37 du décret du 31 juillet 1992 ;

Attendu que pour écarter la responsabilité de la SCP d'huissiers de justice à l'occasion de la mise en place de la procédure de recouvrement d'un arriéré de pension alimentaire en exécution de l'ordonnance du conseiller de la mise en état assortissant de l'exécution provisoire la décision de première instance, l'arrêt retient que, dans le silence de la loi et en l'absence de toute jurisprudence certaine, elle n'a commis aucune faute ;

Qu'en se déterminant ainsi, quand l'huissier de justice, confronté à une incertitude sur la portée rétroactive de ladite ordonnance, était tenu, relativement au recouvrement de l'arriéré, soit de s'abstenir, soit de soumettre la difficulté au juge de l'exécution, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article 41, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1991 ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à ce que la société civile professionnelle Sibran-Cheene-Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts en raison de la transmission à son épouse de la fiche " Ficoba " obtenue auprès de l'administration fiscale, l'arrêt retient que Mme Y..., mandante de la SCP d'huissiers de justice, ne saurait être regardée comme étant un tiers au sens du texte susvisé ;

Qu'en statuant ainsi, quand le secret professionnel auquel l'huissier de justice est tenu couvre les renseignements obtenus en vue de l'exécution du ou des titres pour lesquels ils ont été demandés, fût-ce à l'égard de la personne qui l'a requis, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du deuxième moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande tendant à ce que la SCP Sibran-Cheene-Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice invoqué du fait de la mise en oeuvre de la procédure de paiement direct du 11 octobre 2004, l'arrêt rendu le 7 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la SCP Sibran-Cheene-Diebold aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Sibran-Cheene-Diebold ; la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. X... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat de M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande tendant à ce que la société civile professionnelle Sibran, Cheene et Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts à raison de la procédure de paiement direct mise en place le 11 octobre 2004 ;

AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que le 11 octobre 2004, la SCP Sibran, Cheene et Diebold a mis en oeuvre une procédure de recouvrement direct alors que le jugement rendu le 7 septembre 2004 et prononçant le divorce des époux X...-Y... n'était pas exécutoire comme étant frappé d'appel et qu'ainsi, la procédure de recouvrement direct ne pouvait pas être engagée ; que Monsieur X... fait valoir que son préjudice résulte « de la violation de sa vie privée … par la propagation de contrevérités … et un préjudice d'image irréversible », notamment dans l'entreprise où il exerce des fonctions importantes ; qu'à cet égard la SCP Sibran, Cheene et Diebold n'a fait qu'appliquer les textes en vigueur en adressant une lettre recommandée à l'employeur ; que si d'autres personnes de l'entreprise ont eu connaissance des faits, la responsabilité n'en incombe pas à l'huissier de justice ;

1° ALORS QUE commet une faute l'huissier qui initie une procédure de paiement direct pour l'exécution d'un jugement de première instance frappé d'appel et non assorti de l'exécution provisoire et qui, pour la mise en oeuvre de cette procédure et conformément aux textes qui la régissent, notifie la demande de paiement direct au tiers à l'égard duquel la procédure est mise en oeuvre ; qu'en exonérant de toute responsabilité l'huissier de justice au motif qu'en notifiant à l'employeur de Monsieur X... la demande de paiement direct, l'huissier de justice n'avait fait « qu'appliquer les textes », la cour d'appel, qui avait elle-même constaté que celui-ci avait mis en oeuvre une procédure de paiement direct pour l'exécution d'un jugement non exécutoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, ensemble, les articles 502 et 504 du Code de procédure civile et l'article 1382 du Code civil ;

2° ALORS, subsidiairement, QU'en retenant tout à la fois que l'huissier de justice avait méconnu les textes relatifs à l'exécution forcée des jugements et que cependant, il n'avait « fait qu'appliquer les textes », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

3° ALORS QUE l'auteur d'une faute doit en réparer toutes les conséquences dommageables, quand bien même elles n'étaient pas nécessairement induites par son comportement ; que Monsieur X... faisait valoir qu'il avait été porté atteinte à sa vie privée et à son image dans la société qui l'employait, la demande de paiement direct adressée à « la société » ayant révélé à sa hiérarchie et à ses collègues l'existence de son divorce et laissé à penser qu'il se soustrayait à ses obligations alimentaires ; que la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif impropre à écarter le lien de causalité entre la faute commise et le dommage subi, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande tendant à ce que la société civile professionnelle Sibran, Cheene et Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts à raison de la procédure de paiement direct mise en place le 25 août 2005,

AUX MOTIFS QU'à la suite de l'ordonnance rendue le 15 février 2005 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles, la SCP Sibran, Cheene et Diebold a été mandatée par Mme Y... afin de recouvrer les pensions alimentaires des mois de septembre, octobre, novembre, décembre 2004 et janvier, février, juin, juillet et août 2005 restant dues ; qu'elle y procédait le 25 août 2005 en ce qui concerne les six derniers mois non payés ; que malgré ce que soutient M. X..., la procédure du 20 août 2005 n'était aucunement fautive, ni génératrice d'un dommage, dès lors qu'il existait une incertitude quant à la rétroactivité ou à la non-rétroactivité de l'ordonnance rendue le 15 février 2005 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles qui a assorti de l'exécution provisoire les mesures accessoires résultant du jugement de divorce et que cette incertitude n'a été levée que par l'arrêt rendu le 22 octobre 2009 par la Cour de cassation qui s'est prononcée pour la non-rétroactivité ; qu'à ce titre le SCP Sibran, Cheene et Diebold qui, dans le silence de la loi et en l'absence de toute jurisprudence certaine, n'a commis aucune faute, admet devoir restituer la somme de 2 950 euros à Monsieur X... ;

1°- ALORS QUE toute violation de la loi, peu important qu'il existe une controverse sur sa portée, caractérise une faute ; que la cour d'appel a constaté que l'huissier de justice avait conféré une portée rétroactive à l'ordonnance du conseiller de la mise en l'état assortissant la décision de première instance de l'exécution provisoire alors que cette ordonnance ne pouvait légalement avoir un caractère rétroactif, ce dont se déduisait une faute ; qu'en écartant néanmoins la responsabilité de l'huissier de justice au motif inopérant qu'il existait une incertitude sur la portée rétroactive d'une telle ordonnance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du Code civil ;

2°- ALORS subsidiairement QUE l'huissier de justice confronté à une difficulté sur le caractère exécutoire d'une décision est tenu de s'abstenir ou de saisir le juge de l'exécution afin de faire trancher la difficulté ; qu'en exonérant l'huissier de toute responsabilité dans la mise en oeuvre d'une procédure de recouvrement forcé au motif qu'il existait une incertitude sur l'étendue du caractère exécutoire de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d'appel a violé l'article 19 de la loi du 19 juillet 1991, ensemble l'article 1382 du Code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande tendant à ce que la société civile professionnelle Sibran, Cheene et Diebold soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts à raison de la transmission à son ancienne épouse de la fiche Ficoba obtenue auprès de l'administration fiscale ;

AUX MOTIFS QUE les articles 39, 40 et 41 de la loi du 9 juillet 1991 permettent à l'huissier de justice porteur d'un titre exécutoire d'obtenir, notamment auprès de l'administration fiscale, les renseignements utiles à l'exécution du titre et notamment l'identité et l'adresse des organismes détenteurs d'un compte ouvert au nom du débiteur ; qu'en l'occurrence, M. X... reproche à la SCP Sibran, Cheene et Diebold d'avoir fautivement remis à Madame Y... la fiche « Ficoba » ; que toutefois, les dispositions de l'article 41 susvisé prévoient que les renseignements obtenus ne peuvent être utilisés que dans le seule mesure nécessaire à l'exécution du titre et qu'ils ne peuvent être remis à des tiers ; qu'en l'espèce, Monsieur X... ne démontre aucunement que la fiche « Ficoba » le concernant aurait servi à des fins autres que le recouvrement des pensions alimentaires dues pour l'entretien de ses enfants ; qu'il ne prouve pas plus que la fiche « Ficoba » aurait été remise à un tiers dès lors que Madame Y..., mandante de la SCP, ne saurait être regardée comme étant un tiers au sens du texte susvisé ; que de ce chef, aucune faute n'est imputable à la SCP Sibran, Cheene et Diebold ;

ALORS QUE les documents que l'huissier de justice obtient de l'administration fiscale sur le fondement de l'article 39 de la loi du 9 juillet 1991, destinés à être exploités par l'huissier seul, sont couverts par le secret professionnel et ne sauraient être communiqués à aucun tiers qui n'est pas tenu par le secret, fût-il le mandant de l'huissier et serait-il surtout celui-ci ; qu'en retenant que la communication par l'huissier de la fiche « Ficoba » de Monsieur X... à son ex-épouse ne constituait pas une violation du secret auquel les huissiers de justice sont tenus, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 9 juillet 1991.



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Cette décision est visée dans la définition :
Huissier


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.