par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 25 mars 2009, 07-17575
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
25 mars 2009, 07-17.575

Cette décision est visée dans la définition :
Déni de justice




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 mai 2007), que le 2 juin 1987 Argimiro X... a été tué lors de l'explosion et de l'incendie du port pétrolier de Lyon ; qu'une information judiciaire ouverte le 3 juin 1987 a été clôturée par un arrêt confirmatif de non-lieu du 10 juin 1997 ; que le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté le 26 février 1998 ; que le 4 juin 1998, M. Stéphane X..., fils de Argimiro X..., a fait citer directement les responsables des sociétés Shell, Cogemi et Snig, occupantes du site, devant le tribunal correctionnel ; que par jugement du 27 janvier 2000 le tribunal correctionnel de Lyon a déclaré le directeur d'exploitation de la société Shell, coupable d'homicide involontaire, a alloué des indemnités aux victimes et a déclaré la société Shell civilement responsable ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 21 décembre 2000, le pourvoi contre cet arrêt ayant été rejeté le 5 février 2002 ; que M. Stéphane X... a fait assigner l'agent judiciaire du Trésor en réparation de son préjudice pour déni de justice ;

Sur le premier moyen :

Attendu que ce grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt d'avoir retenu que le délai raisonnable, prévu par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, avait été méconnu et alloué à M. X... des réparations, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en refusant de considérer isolément, d'une part la procédure initiée le 3 juin 1987 et achevée le 26 février 1998 et, d'autre part, la procédure initiée par la citation directe pour l'audience du 4 juin 1999 ayant donné lieu à l'arrêt du 21 décembre 2000, les juges du fond ont violé l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 ;

2°/ qu'en ne retranchant pas du délai à prendre en considération la période qui a séparé l'arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1998, qui avait clos la première procédure, de la citation directe pour l'audience du 4 juin 1999, qui avait initié la seconde procédure, cependant qu'aucune diligence n'avait été accomplie par le demandeur durant ce laps de temps, les juges du fond ont violé, une nouvelle fois, l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 ;

Mais attendu que les procédures pénales qui se sont succédé ayant le même objet, de sorte qu'elles devaient être considérées dans leur ensemble, et la période les séparant étant de courte durée, la cour d'appel a pu estimer qu'un délai de treize années écoulé entre l'accident et la consécration des droits de M. X... à indemnisation excédait le délai raisonnable visé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ce qui constituait, un déni de justice au sens de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire devenu l'article L. 141-1 du même code ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait encore grief à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait sans s'expliquer de façon concrète sur les difficultés de l'affaire, le comportement des juridictions et les diligences accomplies par le demandeur ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que, même en tenant compte des difficultés inhérentes à ce type d'affaire, le délai écoulé était manifestement excessif, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a suffisamment motivé sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'agent judiciaire du Trésor aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour l'agent judiciaire du Trésor.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a écarté la prescription quadriennale, s'agissant de la demande fondée sur la méconnaissance du délai raisonnable, en tant que cette demande visait la procédure pénale ouverte le 3 juin 1987 et achevée par l'arrêt du 26 février 1998, et en conséquence octroyé des indemnités à M. Stéphane X... ;

AUX MOTIFS adoptés QU'« il est en effet totalement artificiel de fixer le point de départ de la prescription au jour où l'ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge d'instruction ; que le demandeur impute à faute au service public de la justice tant des carences alléguées de l'instruction qu'une durée anormalement longue entre le fait générateur du dommage et le jour où il a été fait droit à sa demande de réparation, soit le 27 janvier 2000 ; que l'assignation étant intervenue le 22 décembre 2003, la prescription n'était pas acquise ; d'où il suit que M. Stéphane X... est recevable à agir (…) » (jugement, p.3, § 2) ;

Et AUX MOTIFS propres QUE « le délai de prescription de quatre années qui court au profit de l'Etat en application de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 commence le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué ; que le dommage dont M. Stéphane X... est susceptible de demander réparation résulte d'éventuels dysfonctionnements de la procédure judiciaire initiée après le décès de son père et de la longueur de cette procédure ; que l'existence d'un tel dommage ne peut dès lors s'apprécier qu'au jour où M. Stéphane X... a été définitivement indemnisé de son préjudice personnel (économique et moral) et du préjudice économique et moral de sa mère pour laquelle il agissait en qualité d'héritier et qu'il a été ainsi mis un terme définitif à la procédure judiciaire ; que le fait générateur du dommage s'est dès lors trouvé réalisé le 21 décembre 2000, date à laquelle la Cour d'appel de LYON, statuant en matière correctionnelle, a confirmé, tout en modifiant le quantum des sommes allouées, le jugement du Tribunal correctionnel de LYON du 27 janvier 2000 ; que dès lors, la prescription n'était pas acquise lorsque M. Stéphane X... a fait assigner l'Etat suivant acte d'huissier du 22 décembre 2003 (arrêt, p.4, § 3, 4 et 5) ;

ALORS QUE la méconnaissance éventuelle du délai raisonnable doit s'apprécier procédure par procédure ; que la prescription quadriennale court du premier jour de l'année qui suit celle où les droits ont été acquis ; qu'au cas d'espèce, la prescription concernant l'action en réparation, en tant que cette dernière était liée au déroulement de la procédure pénale initiée le 3 juin 1987 et close par l'intervention de l'arrêt de la Chambre criminelle du 26 février 1998, avait commencé à courir le 1er janvier 1999 et était donc acquise le 31 décembre 2002 ; qu'en refusant d'accueillir l'exception de prescription quadriennale, quand ils relevaient eux-mêmes que l'assignation n'avait été délivrée que le 22 décembre 2003, les juges du fond, qui n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations, ont violé les articles 1er et 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, ensemble les articles 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a conclu que le délai raisonnable, prévu par l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avait été méconnu et a en conséquence alloué diverses sommes à M. Stéphane X... ;

AUX MOTIFS adoptés QU' « aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a le droit de voir sa demande examinée par une juridiction dans un délai raisonnable ; qu'en l'espèce, même en tenant compte des difficultés inhérents à ce type d'affaire, il est constant que le délai écoulé entre l'accident et la date à laquelle M. Stéphane X... a pu utilement faire valoir ses droits à indemnisation, soit plus de treize années, est manifestement excessif et excède le délai raisonnable visé par le texte ; que la demande de M. Stéphane X... est donc fondée dans son principe, l'Agent judiciaire du Trésor ne pouvant valablement exciper de mauvais choix procéduraux des demandeurs, et ce d'autant que les victimes ayant choisi la voie civile n'ont pas vu non plus leurs prétentions examinées dans un délai raisonnable (…) » (jugement, p.3, § 3) ;

Et AUX MOTIFS propres QUE « le premier juge a relevé également à bon escient que l'Agent judiciaire du Trésor ne peut exciper de prétendus mauvais choix procéduraux du demandeur, et ce d'autant que les victimes qui ont choisi la voie civile n'ont pas vu non plus leurs prétentions examinées dans un délai plus brefs ; qu'il est à noter que c'est au contraire grâce à la pugnacité de M. Stéphane X... (citation directe devant le Tribunal correctionnel) que la procédure judiciaire a pu, à un moment critique, sortir de l'enlisement dans lequel elle se trouvait ; que le délai anormalement long de la procédure constitue, au sens de l'article L.781-1 du Code de l'organisation judiciaire, un déni de justice en ce qu'il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qu'il revient à l'Etat de lui assurer (…) » (arrêt, p.4, § 8 et 9) ;

ALORS QUE, premièrement, la méconnaissance éventuelle du délai raisonnable doit s'apprécier procédure par procédure ; qu'en refusant de considérer isolément, d'une part, la procédure initiée le 3 juin 1987 et achevée le 26 février 1998 et, d'autre part, la procédure initiée par la citation directe pour l'audience du 4 juin 1999 ayant donné lieu à l'arrêt du 21 décembre 2000, les juges du fond ont violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 ;

Et ALORS QUE, deuxièmement et en tout cas, en ne retranchant pas du délai à prendre en considération la période qui a séparé l'arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1998, qui avait clos la première procédure, de la citation directe pour l'audience du Tribunal correctionnel de LYON du 4 juin 1999, qui avait initié la seconde procédure, cependant qu'aucune diligence n'avait été accomplie par le demandeur durant ce laps de temps, les juges du fond ont à cet égard encore violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a conclu que le délai raisonnable, prévu par l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avait été méconnu et a en conséquence alloué diverses sommes à M. Stéphane X... ;

AUX MOTIFS adoptés QU' « aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a le droit de voir sa demande examinée par une juridiction dans un délai raisonnable ; qu'en l'espèce, même en tenant compte des difficultés inhérents à ce type d'affaire, il est constant que le délai écoulé entre l'accident et la date à laquelle M. Stéphane X... a pu utilement faire valoir ses droits à indemnisation, soit plus de treize années, est manifestement excessif et excède le délai raisonnable visé par le texte ; que la demande de M. Stéphane X... est donc fondée dans son principe, l'Agent judiciaire du Trésor ne pouvant valablement exciper de mauvais choix procéduraux des demandeurs, et ce d'autant que les victimes ayant choisi la voie civile n'ont pas vu non plus leurs prétentions examinées dans un délai raisonnable (…) » (jugement, p.3, § 3) ;

Et AUX MOTIFS propres QUE « le premier juge a relevé également à bon escient que l'Agent judiciaire du Trésor ne peut exciper de prétendus mauvais choix procéduraux du demandeur, et ce d'autant que les victimes qui ont choisi la voie civile n'ont pas vu non plus leurs prétentions examinées dans un délai plus brefs ; qu'il est à noter que c'est au contraire grâce à la pugnacité de M. Stéphane X... (citation directe devant le Tribunal correctionnel) que la procédure judiciaire a pu, à un moment critique, sortir de l'enlisement dans lequel elle se trouvait ; que le délai anormalement long de la procédure constitue, au sens de l'article L.781-1 du Code de l'organisation judiciaire, un déni de justice en ce qu'il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qu'il revient à l'Etat de lui assurer (…) » (arrêt, p.4, § 8 et 9) ;

ALORS QU'avant de dire si le délai raisonnable a été ou non méconnu, les juges du fond se doivent d'exposer dans quelles circonstances s'est déroulée la procédure et s'expliquer notamment de façon concrète sur les difficultés de l'affaire, le comportement des juridictions et les diligences accomplies par le demandeur ; qu'en s'abstenant de s'expliquer concrètement sur ces différents éléments, les juges du fond ont en tout état de cause privé leur décision de base légale au regard des articles 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006.



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Cette décision est visée dans la définition :
Déni de justice


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.