par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 10 mars 2004, 01-15322
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
10 mars 2004, 01-15.322

Cette décision est visée dans la définition :
Vie privée




AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2001), que le magazine hebdomadaire "Paris Match", édité par la société Hachette Filipacchi associés, a publié, dans son numéro 2606, daté du 6 mai 1999, un article, annoncé en page de couverture, intitulé "Le Blues de Linda dans les bras de son bleu ", consacré à la liaison sentimentale entre M. X... et Mme Y..., et illustré par des photographies du couple assistant au tournoi de tennis de Monte-Carlo, s'enlaçant ou échangeant un baiser : "Femmes, dirigeants de clubs, publicitaires... tout le monde s'arrache les champions du monde. c'est le bonheur fou. mais, alors, pourquoi X... doit-il consoler sa top model chérie ? Il y a neuf mois, dans l'état de grâce de l'après-Coupe du monde, naissait l'idylle de Fabien X... et Linda Y.... Pour le monde entier, elle était un sourire. Pour le monde entier, il était l'homme qui a vaincu Z.... Leur romance devait faire d'eux le couple de l'été. Une top model et un gardien de but, c'était bien la preuve que les femmes avaient perdu la tête... l'hiver a passé et le charme n'est pas retombé. Les Bleus sont toujours des idoles, et X... est toujours amoureux de Linda. L'histoire se poursuit à Monaco, décor ordinaire des amours de stars. La principauté a ses sortilèges. Les rumeurs s'y succèdent et s'y ressemblent. Une Linda en pleurs ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Il y a des grands bonheurs qui commencent par de grandes émotions". " Assis à la terrasse qui surplombe le court central, au milieu du public venu assister à l'Open de Monte-Carlo, Fabien et Linda n'ont rien à cacher: ni leur amour ni leur émotion".

"Pour arrêter un gros chagrin, rien ne vaut le meilleur gardien de but du monde"

"Scène ordinaire de la vie d'un couple amoureux. A Monaco, les événements sportifs se doublent de rencontres mondaines. Sur cette terrasse, on vient voir autant qu'être vu. Eux ne voient guère le match. Ils ont d'autres comptes à régler. C'est l'heure des larmes et des rires, des baisers et des mots chuchotés. Comme devant ses buts, X... sera encore une fois l'homme du recours. Celui qui sauve les situations les plus désespérées. Trop ostensiblement on la disait trop sophistiquée pour lui. Un univers les séparait. Ils l'ont traversé."

"Cet après-midi là, le tennis n'était pas au centre de leur préoccupation".

"Le soleil est revenu à Monte-Carlo et le bonheur de Linda et Fabien éclate au grand jour"

"Un matin de printemps, elle ne quitte pas son imperméable, qu'elle a boutonné jusqu'au cou. Mais la chaleur de l'après-midi l'oblige à adopter une tenue plus légère. Alors, pour traverser les allées du village de l'Open, elle a pris une veste noire, qu'elle porte comme la princesse de Monaco, enceinte de quelques mois, s'abrite derrière un bouquet de fleurs dans les cérémonies officielles : jusqu'à hauteur du ventre... Prés de Fabien, cette rondeur semble pourtant l'objet de la plus tendre des attentions. Les nuages se sont éloignés du ciel de Linda. On est en finale, mais les amoureux s'en moquent. Dans les gradins, au milieu de la foule des beaux jours, le gardien de but de l'équipe de Monaco a perdu sa concentration et sa "vista" : Il est le plus dissipé des spectateurs et s'intéresse plus à sa jolie voisine qu'aux destins de A... et de B..."

"Celle qui fut une des top models les plus célèbres du monde se désintéresse de la mode. Sous le printemps de Monaco, elle cherche plutôt les tenues discrètes qui feront oublier les métamorphoses de sa silhouette."

Que M. X... a assigné la société Hachette Filipacchi associés en réparation du préjudice subi à la suite de l'atteinte portée à sa vie privée et à son droit à l'image ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Hachette Filipacchi associés fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité et de l'avoir condamnée à payer une certaine somme en réparation du préjudice, alors, selon le moyen :

1 / que ne relèvent plus de la sphère intime les événements de la vie privée dont une personne fait publiquement état ; qu'ayant constaté que les photographies litigieuses avaient été prises au tournoi de tennis de Monaco, 'lieu plus particulièrement fréquenté par des personnes jouissant d'une notoriété, momentanée ou circonstancielle", que l'état de grossesse de Mme Linda Y... était "apparent" et que la vie sentimentale et affective de M. X... et de Mme Y... s'accompagnait "de gestes visibles du public", ce dont il résultait que l'article litigieux n'évoquait que des faits rendus publics par Fabien X... lui-même, la cour d'appel a néanmoins retenu que ces photographies et leur commentaire portaient atteinte à la vie privée de M. Fabien X... ;

qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 9 du Code civil ;

2 / que le consentement d'une personne photographiée à la prise de vue et à la diffusion de son image peut être implicite ; qu'en affirmant, pour décider que la publication des photographies litigieuses constituait une atteinte au droit à l'image et à la vie privée de M. X..., que ces photographies avaient été prises à l'insu des intéressés et que la société Hachette Filipacchi associés n'établissait pas avoir obtenu de M. X... une autorisation expresse de publication, sans rechercher si, en apparaissant en pleine période estivale dans un lieu aussi médiatique que l'Open de tennis de Monte-Carlo, M. X... ne s'était pas délibérément exposé aux objectifs des photographes et à la curiosité du public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du Code civil ;

3 / que la société Hachette Filipacchi associés faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que si M. X... "éprouvait réellement un préjudice du fait de la publication des photographies et des propos incriminés, il n'aurait pas, à peine deux mois après avoir introduit la présente instance, accordé une longue interview au même magazine Paris Match, dans laquelle il "dit tout" sur sa relation avec Linda Y..., ses sentiments sur la perte de son enfant, annoncé son mariage proche et posé pour dix photographies sur lesquelles. il se montre en train d'embrasser et d'enlacer Linda Y... chez eux, dans leur chambre, dans leur jardin ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef de conclusions pertinent, qui tendait à démontrer l'inexistence du préjudice moral allégué par M. X..., la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les photographies de M. X... et de Mme Y..., prises au tournoi de tennis de Monte-Carlo, à l'insu des intéressés avec un cadrage les isolant du public environnant, ont été publiées et divulguées sans leur autorisation, sans que la société Hachette Filipacchi associés puisse se prévaloir du caractère public du lieu où les photos ont été prises pour invoquer une renonciation quelconque de M. X... à ses droits ; que la vie sentimentale et affective comme les amours et l'état de grossesse, même apparent, de Mme Y..., fussent-ils accompagnés de gestes visibles du public en des lieux particulièrement fréquentés par des personnes jouissant d'une notoriété momentanée, ou circonstancielle, qu'il appartient à chacun de gérer à sa guise et selon des conditions préalablement discutées avec tout support médiatique désireux de répondre à la curiosité réelle ou suscitée, du public, constituaient une atteinte due au respect de sa vie privée ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que la publication avait porté atteinte au droit au respect de la vie privée et de l'image de M. X... ;

Et attendu que sous le couvert du grief non fondé de violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, le moyen, pris en sa troisième branche, ne vise qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel de l'existence et de l'étendue du préjudice ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Hachette Filipacchi associés fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité et de l'avoir condamnée à payer une certaine somme en réparation du préjudice, alors, selon le moyen :

1 / que l'exercice de la liberté d'expression ne peut être limité que par des dispositions légales offrant un caractère de précision et de prévisibilité suffisant ; que les dispositions de l'article 9 du Code civil, qui énonce que chacun a droit au respect de sa vie privée, et abandonne aux juges le soin de prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser l'atteinte à l'intimité de la vie privée, ainsi qu'à réparer le dommage pouvant en résulter, ne permettent pas à un organe de presse de prévoir, avec un degré raisonnable de certitude, les conséquences juridiques de ses publications ; qu'en se fondant néanmoins sur ces dispositions, pour retenir la responsabilité de la société Hachette Filipacchi associés à raison de la publication de l'article litigieux, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 6.1 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2 / que les restrictions apportées à l'exercice de la liberté d'information doivent être fondées sur un besoin social impérieux et être proportionnées au but légitime poursuivi ; qu'en se bornant à affirmer, de manière générale, que le droit au respect de la vie privée permet à toute personne de s'opposer à la diffusion de son image ou d'informations touchant à sa vie privée, sans rechercher si, en l'espèce, eu égard à la notoriété de M. X... et à la publicité volontairement donnée par ce dernier aux événements les plus intimes de sa vie privée, l'interdiction de l'article litigieux constituait une atteinte au droit à l'information justifiée par un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'ayant, par une décision légalement justifiée au regard de l'article 9 du Code civil, dont les dispositions sont précises, décidé que la publication portait atteinte au respect de la vie privée de M. X... et souverainement apprécié le préjudice qui en était résulté, c'est sans méconnaître les dispositions des articles 6.1 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'arrêt a condamné la société Hachette Filipacchi associés à réparer le préjudice subi par cette publication ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Hachette Filipacchi associés aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Hachette Filipacchi associés à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille quatre.



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Cette décision est visée dans la définition :
Vie privée


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.