par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 3 mai 2018, 17-17717
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
3 mai 2018, 17-17.717

Cette décision est visée dans la définition :
Susceptible de recours




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 23 mars 2017), que, le 31 juillet 2015, la société Febvre et cie a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Y..., Mme B... (le bâtonnier), d'une réclamation à l'encontre de M. X..., avocat de ce barreau (l'avocat), en raison d'une situation de conflit d'intérêts ; que, par lettre du 15 mars 2016, le bâtonnier a fait injonction, en tant que de besoin, à l'avocat de se déporter de la défense des intérêts des parties en litige ; que l'avocat a formé un appel-nullité ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en son appel-nullité, alors, selon le moyen :

1°/ que caractérise un excès de pouvoir toute transgression, par une autorité administrative, judiciaire ou disciplinaire, d'une règle d'ordre public par laquelle la loi a circonscrit ses attributions ; qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne conférant au bâtonnier le pouvoir de donner injonction à un avocat de se dessaisir d'un dossier, une telle injonction, quelle qu'en soit la forme, caractérise nécessairement un excès de pouvoir rendant recevable, en tout état de cause, le recours dirigé contre celle-ci ;
qu'en l'espèce, il est constant qu'aux termes de sa lettre du 15 mars 2016, le bâtonnier, se déclarant saisi "d'une plainte contre notre confrère Dominique X...", motif pris de l'existence d'un conflit d'intérêts, a non seulement énoncé que l'intéressé "ne peut intervenir dans ce dossier pour l'une ou l'autre des parties", mais, en outre, lui a fait "injonction" de se déporter de la défense desdites parties, et précisé que dans l'hypothèse où cet avis ne serait pas respecté, des conséquences disciplinaires s'ensuivraient ; qu'en cet état, en dépit de sa forme de "lettre d'avis", l'injonction litigieuse, qui démontre la transgression, par le bâtonnier, de ses attributions, caractérise un excès de pouvoir et, comme telle, constitue une décision susceptible de recours ; qu'ainsi, en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 15 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

2°/ qu'aux termes de sa lettre du 15 mars 2016, le bâtonnier, se déclarant saisie "d'une plainte contre notre confrère Dominique X...", motif pris de l'existence d'un conflit d'intérêts, a non seulement énoncé que l'intéressé "ne peut intervenir dans ce dossier pour l'une ou l'autre des parties", mais, en outre, lui a fait "injonction" de se déporter de la défense desdites parties, et précisé que dans l'hypothèse où cet avis ne serait pas respecté, des conséquences disciplinaires s'ensuivraient ; qu'en cet état, il résulte des termes clairs de ce courrier, s'agirait-il, en la forme, d'une "lettre d'avis", que le bâtonnier a expressément fait injonction à l'avocat de se dessaisir d'un dossier et, ce faisant, a excédé ses pouvoirs ; que, dès lors, en se retranchant derrière la circonstance qu'un avis déontologique du bâtonnier n'a valeur que de recommandation et qu'en rendant cet avis, le bâtonnier, en l'espèce, n'a pas entendu exercer une prérogative juridictionnelle et, partant, que l'excès de pouvoir dénoncé par l'avocat n'est pas caractérisé, quand, par delà ses caractères formels, le courrier du bâtonnier prononçait effectivement une injonction à l'adresse de l'avocat, la cour d'appel, qui dénature le sens et la portée de cette décision, a violé l'article 1134 ancien du code civil, ensemble l'article 1192 nouveau du même code ;

Mais attendu, en premier lieu, que, par une interprétation nécessaire des éléments de preuve ambigus versés aux débats, exclusive de toute dénaturation, la cour d'appel a retenu que la société Febvre et cie avait saisi le bâtonnier d'une réclamation formée contre l'avocat, au motif que ce dernier, à qui elle avait précédemment confié ses intérêts, défendait désormais ceux de son adversaire dans un litige existant entre eux, et que le bâtonnier, qui n'avait nullement entendu exercer une prérogative juridictionnelle que la loi ne lui reconnaît pas, avait, en conséquence, adressé à l'avocat une lettre d'avis ;

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir retenu que cet avis ne pouvait être qualifié de décision ayant force obligatoire en ce qu'il ne présentait aucun caractère contraignant, son destinataire n'étant pas tenu de le suivre, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé le défaut de grief, en a exactement déduit que le recours était irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. X...


Premier moyen de cassation


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré Maître Dominique X... irrecevable en son appel nullité formé à l'encontre de l'avis déontologique rendu le 15 mars 2016 par Mme la Bâtonnière de l'Ordre des Avocats du Barreau de Y..., aux termes d'une décision rendue « publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, le 23 mars 2017 » (arrêt, page 4) ;

Alors qu'il résulte des articles 15 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la cour d'appel saisie du recours d'un avocat contre une délibération ou une décision susceptible de léser ses intérêts professionnels doit statuer en chambre du conseil ;

Qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à énoncer d'une part que l'affaire a été "débattue en audience le 23 février 2017", d'autre part que l'arrêt a été rendu "publiquement par mise à disposition au greffe de la cour" ;

Qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ne résulte pas que la décision ait été rendue en chambre du conseil, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés.


Second moyen de cassation

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré Maître Dominique X... irrecevable en son appel nullité formé à l'encontre de l'avis déontologique rendu le 15 mars 2016 par Mme la Bâtonnière de l'Ordre des Avocats du Barreau de Y... ;

AUX MOTIFS QU'il est soutenu par la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Y... que l'avis déontologique litigieux n'a pas de caractère contraignant et ne saurait fonder seul une sanction disciplinaire, de sorte que quelle que soit sa rédaction, et même s'il est rédigé sous forme d'injonction, il ne peut être déféré à la cour ; il est précisé que ce n'est pas le non respect de l'avis déontologique qui peut faire l'objet de poursuites disciplinaires, mais les faits ayant donné lieu à cet avis ; Me Dominique X... réplique qu'aucun des textes régissant le conflit d'intérêts ne confère au Bâtonnier un pouvoir contraignant, ce qui implique que l'injonction de se déporter qui lui a été notifiée constitue un excès de pouvoir de nature à entraver la liberté du travail, l'indépendance de l'avocat et la liberté de la défense, de sorte que s'agissant d'une décision individuelle faisant grief, et non pas d'un simple avis déontologique, la voie de l'appel nullité est ouverte ; par lettre du 31 juillet 2015, la société de droit irlandais FEBVRE & CIE, représentée par ses dirigeants légaux, a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Y... d'une plainte dirigée contre Maître Dominique X... et lui a demandé « de prendre les mesures appropriées » afin de faire cesser une situation de conflit d'intérêts, caractérisée selon elle par le fait que Maître X..., qui a été son conseil à l'occasion d'une opération d'augmentation de capital réalisée au cours de l'année 2000, est aujourd'hui le conseil de M. Anthony A... avec lequel elle est en conflit ouvert ; analysant les faits dénoncés, qui avaient été préalablement instruits en formation restreinte par la commission de déontologie du Barreau, la Bâtonnière de l'Ordre des Avocats du Barreau de Y..., par un courrier adressé le 15 mars 2016 à l'ensemble des avocats intéressés, a considéré que Maître X... ne pouvait intervenir dans le dossier pour l'une ou l'autre des parties et en tant que de besoin lui a fait « injonction de se déporter de la défense » des intérêts des parties en litige ; aux termes de ce même courrier, la Bâtonnière a rappelé à l'ordre l'ensemble des confrères intervenant dans le dossier, leur a fait défense d'utiliser « cette lettre » dans le cadre des procédures judiciaires en cours et a demandé qu'il lui en soit référé en cas de non-respect de son « avis » afin d'en tirer les conséquences disciplinaires qui s'imposeraient ; aux termes de l'article 21 al. 2 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, le Bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du Barreau et instruit toute réclamation formée par des tiers ; c'est dans l'exercice de cette mission de prévention des litiges d'ordre déontologique que le Bâtonnier peut être amené à émettre un avis écrit, qui est de la nature de celui que délivre dans le cadre de l'article 20.1 du règlement intérieur national (RNI) le Bâtonnier d'un Barreau tiers, lorsque survient une difficulté d'ordre déontologique entre avocats de Barreaux différents; cette procédure d'avis ne relève pas du traitement contentieux des différends entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, qui est soumis à l'arbitrage du Bâtonnier selon les modalités prévues aux articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; il est ainsi de principe constant que l'avis déontologique du Bâtonnier, qui n'a que la valeur d'une recommandation, n'a pas de caractère contraignant en ce que l'avocat concerné n'est pas tenu de le suivre ; il s'en déduit qu'un tel avis, qui ne constitue pas une décision faisant grief, ne peut être déféré à la cour d'appel, aucun texte n'ouvrant la possibilité d'un tel recours ; bien qu'il ait été fait injonction à Maître X... de se déporter, la lettre « d'avis » litigieuse du 15 mars 2016 ne peut être qualifiée de décision ayant force obligatoire ; quels que soient les termes employés et nonobstant le fait qu'elle a demandé qu'il lui en soit référé dans une perspective disciplinaire, la Bâtonnière n'a, en effet, nullement entendu exercer une prérogative juridictionnelle que la loi ne lui reconnaît pas dans ce cadre, de sorte qu'aucun excès de pouvoir n'a été commis et que la voie de l'appel nullité autonome n'est pas davantage ouverte ; Maître Dominique X... sera par conséquent déclaré irrecevable en son appel nullité (arrêt, pages 3 et 4) ;

1°/ Alors que caractérise un excès de pouvoir toute transgression, par une autorité administrative, judiciaire ou disciplinaire, d'une règle d'ordre public par laquelle la loi a circonscrit ses attributions ;
Qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne conférant au Bâtonnier le pouvoir de donner injonction à un avocat de se dessaisir d'un dossier, une telle injonction, quelle qu'en soit la forme, caractérise nécessairement un excès de pouvoir rendant recevable, en tout état de cause, le recours dirigé contre celle-ci ;
Qu'en l'espèce, il est constant qu'aux termes de sa lettre du 15 mars 2016, la Bâtonnière, se déclarant saisie « d'une plainte contre notre confrère Dominique X... », motif pris de l'existence d'un conflit d'intérêts, a non seulement énoncé que l'intéressé « ne peut intervenir dans ce dossier pour l'une ou l'autre des parties », mais, en outre, lui a fait « injonction » de se déporter de la défense desdites parties, et précisé que dans l'hypothèse où cet avis ne serait pas respecté, des conséquences disciplinaires s'ensuivraient ;
Qu'en cet état, en dépit de sa forme de « lettre d'avis », l'injonction litigieuse, qui démontre la transgression, par le Bâtonnier, de ses attributions, caractérise un excès de pouvoir et, comme telle, constitue une décision susceptible de recours ;
Qu'ainsi, en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 15 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;


2°/ Alors, subsidiairement, qu'aux termes de sa lettre du 15 mars 2016, la Bâtonnière, se déclarant saisie « d'une plainte contre notre confrère Dominique X... », motif pris de l'existence d'un conflit d'intérêts, a non seulement énoncé que l'intéressé « ne peut intervenir dans ce dossier pour l'une ou l'autre des parties », mais, en outre, lui a fait « injonction » de se déporter de la défense desdites parties, et précisé que dans l'hypothèse où cet avis ne serait pas respecté, des conséquences disciplinaires s'ensuivraient ;
Qu'en cet état, il résulte des termes clairs de ce courrier, s'agirait-il, en la forme, d'une « lettre d'avis », que la Bâtonnière a expressément fait injonction à l'exposant de se dessaisir d'un dossier et, ce faisant, a excédé ses pouvoirs ;
Que, dès lors, en se retranchant derrière la circonstance qu'un avis déontologique du Bâtonnier n'a valeur que de recommandation et qu'en rendant cet avis, la Bâtonnière, en l'espèce, n'a pas entendu exercer une prérogative juridictionnelle et, partant, que l'excès de pouvoir dénoncé par l'exposant n'est pas caractérisé, quand, par delà ses caractères formels, le courrier de la Bâtonnière prononçait effectivement une injonction à l'adresse de Maître X..., la cour d'appel qui dénature le sens et la portée de cette décision a violé l'article 1134 ancien du code civil, ensemble l'article 1192 nouveau du même code.



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Susceptible de recours


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 17/06/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.