par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, 16-21510
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
5 juillet 2017, 16-21.510

Cette décision est visée dans la définition :
Débours




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. Thierry X..., Mme Charlène X..., Mme Annie X..., M. Kévin X..., M. Clément X..., M. Quentin X..., M. Laurent Y..., M. Florian Y..., M. Alexis Y..., M. Eric X..., M. Serge X..., Mme Alexandra X..., M. Pierre X... et Mme Marie X... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Clinique Kennedy ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Nadine X..., épouse Y..., a été hospitalisée, le 30 mai 2008, alors qu'elle présentait une pneumopathie abcédée lobaire inférieure droite, et est décédée le 7 juillet 2008 ; qu'après avoir sollicité en référé des mesures d'expertise, son époux, leurs enfants, ses frères et belles-soeurs, ses neveux et nièces et ses parents (les consorts X... et Y...), invoquant l'existence d'une perte de chance de survie et de guérison de Nadine Y... consécutive à sa prise en charge avant son hospitalisation, ont notamment assigné en responsabilité et indemnisation, M. Z..., médecin urgentiste libéral attaché à la Clinique Kennedy au sein de laquelle s'était rendue la patiente les 2 mai et 5 mai 2008, au titre d'une faute commise lors de l'analyse des résultats de l'examen sanguin qu'il avait alors prescrit au vu des troubles présentés par la patiente, la société Laboratoires d'analyses de biologie médicale Dominique A... et Yves B... (le laboratoire), du chef d'une transmission tardive des résultats d'un examen biologique, réalisé le 27 mai 2008, à Mme Collard, médecin généraliste l'ayant prescrit, ainsi que celle-ci, en raison d'une communication tardive de ces résultats à la patiente, effectuée le 30 mai 2008 et ayant justifié son hospitalisation ; qu'ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche (la caisse) qui a sollicité le remboursement de ses débours ;

Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique ;

Attendu que, pour rejeter la demande des consorts X... et Y... à l'encontre du laboratoire, après avoir relevé qu'il avait manqué à son obligation de diligence dans la transmission des résultats de l'examen biologique mettant en évidence un syndrome inflammatoire important et présentant un caractère alarmant, l'arrêt énonce que l'expert a relevé que le retard dans la prise de connaissance des résultats avait été péjoratif pour la patiente et ne permettait pas d'écarter l'hypothèse d'une perte de chance dans l'évolution fatale de sa maladie, que cependant il ne donne pas d'élément permettant de quantifier la perte de chance de guérison induite par le retard, alors même qu'il retient, d'une part, que l'anomalie biologique constituée par le taux anormalement élevé de protéine C réactive n'est pas spécifique, d'autre part, que le début de la pneumopathie est difficile à préciser, et que, même si le laboratoire avait immédiatement transmis les résultats, le 27 mai 2008, ceux-ci ne permettaient pas d'identifier le germe à l'origine de l'infection et nécessitaient de procéder à de plus amples investigations ; que l'arrêt en déduit qu'il n'existe aucune certitude, ou du moins qu'une très faible probabilité, en l'état de la fulgurance de l'histoire pulmonaire relevée par l'expert liée à la nature du germe mis en évidence, que si les investigations avaient été menées, à compter du 27 mai 2008, elles auraient permis d'identifier le germe dans un délai suffisamment court pour la mise en place d'un traitement efficace, et que la perte de chance de guérison en lien avec le retard de transmission des résultats n'est pas caractérisée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que sa réparation ne peut être écartée que s'il peut être tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquence sur l'état de santé du patient, le cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur les demandes de mise hors de cause :

Attendu qu'il y a lieu de mettre hors de cause, sur leurs demandes, M. Z... et Mme C... dont la présence devant la cour d'appel de renvoi n'est pas nécessaire à la solution du litige ;

PAR CES MOTIFS :

Met hors de cause M. Z... et Mme C... ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes des consorts X... et Y... à l'égard de la société Laboratoires d'analyses de biologie médicale Dominique A... et Yves B..., l'arrêt rendu le 17 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Laboratoires d'analyses de biologie médicale Dominique A... et Yves B... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux consorts X... et Y... la somme de 3 500 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour les consorts X... et Y....


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de leurs demandes contre le docteur Z... ;

Aux motifs propres que les appelants invoquaient les conclusions du professeur D..., émises dans le cadre de l'expertise sollicitée par le tribunal administratif, selon lesquelles (p. 9) la cause du décès était un syndrome de détresse respiratoire consécutif à une inondation pulmonaire par une vomique, consécutive à la nécrose abcédée du poumon droit, déclenchée par une infection à germe anaérobie d'origine bucco-dentaire ; que les investigations menées par l'expert judiciaire dans la présente instance l'avait conduit à s'adjoindre un sapiteur, le docteur E..., dont l'avis avait permis de conclure que la prise en charge initiale, en urgence, par le docteur Z..., avait respecté les bonnes pratiques dans une situation aiguë ; que la patiente avait été revue trois jours après le diagnostic initial selon les bonnes pratiques et qu'une amélioration clinique avait été constatée au niveau du coude ; que si l'expert avait relevé que la discordance entre l'amélioration clinique du coude et un taux anormalement élevé de protéines C réactives aurait dû déclencher un bilan clinique élargi, il avait indiqué toutefois devoir « nuancer cette remarque dans un contexte où la scène clinique au niveau du coude s'améliorait, la numération et formule sanguine étaient dans les limites des valeurs normales et le traitement anti-inflammatoire donné pour l'hygroma, à juste titre, a pu masquer initialement la scène clinique pulmonaire » ; qu'il avait ajouté « posséder actuellement le recul historique permettant de dire que l'anomalie biologique annonçait peut-être déjà l'infection pulmonaire débutante, mais pour le médecin de première ligne, il n'était pas évident de rattacher l'anomalie biologique à un diagnostic précis au début du mois de mai 2008, car elle aurait pu être le témoin d'une maladie inflammatoire chronique débutante » ; que dès lors que l'expert relevait (rapport p. 11) le caractère non spécifique des anomalies biologiques et que le germe à l'origine de la nécrose de la pneumonie avait été mis en évidence lors des prélèvements bactériologiques pulmonaires réalisés après le transfert de Nadine Y... à l'hôpital de Montélimar, c'était par une analyse exacte du dossier que le tribunal avait constaté l'absence de preuve d'une faute commise par le médecin urgentiste ; et aux motifs adoptés du tribunal que si l'absence de prise en considération du taux de CRP anormalement élevé et discordant avec la scène d'hygroma avait été considéré par l'expert judiciaire comme un dysfonctionnement, le docteur D... avait pris soin de préciser qu'il s'agissait d'un dysfonctionnement qui avait pu engendrer une perte de chance de guérison de la patiente ; qu'ainsi, le lien entre la perte de chance de guérison et l'absence d'examens complémentaires n'était pas formellement et certainement reconnu par l'expert judiciaire ;

Alors que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude sur l'évolution de la pathologie ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aigüe ayant entraîné le décès ne sont de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute du médecin ayant eu pour effet de retarder la prise en charge de la victime et la perte d'une chance de survie pour cette dernière ; qu'en déboutant les consorts X... de leurs demandes contre le docteur Z..., après avoir constaté que selon l'expert judiciaire, la discordance entre l'amélioration clinique du coude et un taux anormalement élevé de protéines C réactives aurait dû déclencher un bilan clinique élargi et que l'anomalie biologique annonçait peut-être déjà l'infection pulmonaire débutante, ce dont il résultait que l'absence d'examens complémentaires imputable au docteur Z... était à l'origine d'une perte de chance de guérison pour la patiente, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de leurs demandes dirigées contre le laboratoire d'analyses médicales A...-B... ;

Aux motifs que l'expert judiciaire avait noté que l'examen biologique réalisé par le laboratoire le 27 mai 2008 n'avait été édité et transmis que le 29 mai 2008 et qu'il avait mis en évidence un syndrome inflammatoire important avec une CRP à 218 mg/ l et une numération et formule sanguine très perturbée avec 13 700 leucocytes/ mm3 dont 76 % de polynucléaires neutrophiles ; qu'il indiquait que ces résultats traduisaient une inflammation sérieuse probablement bactérienne ; que le laboratoire, dans son dire à l'expert, reconnaissait qu'il ressortait du bilan sanguin réalisé le 27 mai 2008 en début d'après-midi que la CRP apparaissait stable par rapport aux résultats du 2 mai précédent, mais très élevée et que les résultats de l'analyse, notamment l'élévation des GB avec augmentation des neutrophiles déclenchaient, au vu des critères d'alerte du laboratoire, la signalisation de ces résultats par les techniciens au biologiste pour que ce dernier mette ce bilan dans les dossiers à téléphoner, précisant que, dans ce cas, la procédure prévoyait de téléphoner au médecin prescripteur, s'il n'était pas joignable à l'infirmière et en dernier recours, au patient ; que le caractère alarmant des résultats était confirmé par l'expert judiciaire qui notait une forte élévation de la CRP et une polynucléose anormalement élevée constituant une véritable sonnette d'alarme ; que le laboratoire affirmait avoir téléphoné le 27 mai 2008 au docteur C... qui avait pris connaissance des résultats de Mme Y... par voie téléphonique, ce qu'elle contestait en indiquant s'être fréquemment absentée du cabinet pour effectuer des visites à domicile, étant observé que le 27 mai était un mardi ; que contrairement à ce qu'avait retenu le tribunal, il ne pouvait être considéré que le laboratoire avait effectué la transmission des résultats au médecin conformément à ses procédures de qualité, alors qu'aux termes de ces procédures, la transmission des résultats par fax ou téléphone était enregistrée dans le système informatique et que n'était produit aucun relevé informatique en ce sens ; que le laboratoire avait donc failli à son obligation de diligence ; que l'expert judiciaire avait relevé que le retard dans les différentes transmissions avait pu pénaliser l'évolution clinique de la patiente ; qu'il estimait que le retard de trois jours dans la prise de connaissance des résultats avait été péjoratif pour la patiente et qu'il ne pouvait pas écarter une perte de chance dans l'évolution fatale de la maladie, sans toutefois donner d'éléments permettant de quantifier la perte de chance de guérison induite par le retard, alors même qu'il avait retenu que l'anomalie biologique constituée par le taux anormalement élevé de CRP n'était pas spécifique et que le début de la pneumopathie était difficile à préciser ; qu'au regard de cet avis très hypothétique, il convenait d'observer que même si le laboratoire avait immédiatement transmis les résultats, le 27 mai, ces derniers ne permettaient pas d'identifier le germe à l'origine de l'infection et qu'il y avait lieu de procéder à de plus amples investigations ; qu'il n'existait aucune certitude ou du moins une très faible probabilité qu'en l'état de la fulgurance de l'histoire pulmonaire relevée par l'expert ayant noté l'évolution « vraisemblablement très fulgurante entre le 27 et le 30 mai » liée à la nature du germe mis en évidence, « responsable de pneumonies particulières parfois abcédées dont le pronostic pouvait être redoutable et parfois mortel », les investigations qui auraient été menées à compter du 27 mai auraient permis d'identifier le germe dans un délai suffisamment court pour la mise en place d'un traitement efficace ; que dès lors, la perte de chance de guérison en lien avec le retard de transmission des résultats n'était pas caractérisée et le jugement devait être confirmé en ce qu'il avait débouté les consorts X... de leurs demandes ;

Alors que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition de la possibilité d'un événement favorable ; qu'en déboutant les consorts X... de leurs demandes contre le laboratoire d'analyses A...et B..., après avoir constaté qu'il avait failli à son obligation de diligence et qu'il existait une probabilité, même très faible, que les investigations menées à compter du 27 mai 2008 aient permis d'identifier le germe dans un délai suffisamment court pour la mise en place d'un traitement efficace, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de leur demande contre le docteur C... ;


Aux motifs que l'expert judiciaire avait noté que la démarche clinique du docteur C... s'était faite selon les bonnes pratiques en médecine générale, avec un examen sérieux de la patiente, un suivi et la proposition d'examen biologiques adaptés ; qu'il avait relevé que lorsque le docteur C... avait revu la patiente le 30 mai 2008, elle avait réalisé un examen clinique complet et fait le diagnostic de pleuro-pneumopathie selon les règles de l'art médical ; que Nadine X... Y... avait été dirigée à juste titre sur la clinique Kennedy pour des investigations complémentaires ; qu'il avait conclu que la mise en évidence tardive des signes cliniques pulmonaires n'était pas imputable à un défaut dans la démarche initiale du docteur C... ;

Alors que le médecin doit agir avec promptitude ; qu'à défaut d'avoir recherché, comme elle y était invitée, si Mme Nadine X... Y... n'avait pas dû prendre l'initiative de recontacter elle-même le docteur C... le 30 mai 2008, celle-ci n'ayant tenté qu'une seule fois selon ses dires de la recontacter, le 29 mai 2008, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.



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Cette décision est visée dans la définition :
Débours


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.