par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 17 septembre 2015, 14-24534
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
17 septembre 2015, 14-24.534

Cette décision est visée dans la définition :
Droit du Travail




LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 1224-2 du code du travail et L. 452-4 du code de la sécurité sociale ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, excepté lorsque la substitution d'employeurs est intervenue sans convention entre eux ; que, selon le second, l'auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le contrat de Mme X..., salariée de la société Alliance, a été transféré à compter du 1er août 2009, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, à la société Compass Group France, devenue titulaire, aux lieu et place de la précédente, d'un marché de services de restauration collective ; que la salariée, qui a respectivement déclaré les 27 mars 2003, 24 décembre 2004, 4 décembre 2007 et 25 février 2009 des pathologies que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère a prises en charge au titre de la législation professionnelle, a attrait son nouvel employeur devant une juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître une faute inexcusable ;

Attendu que, pour accueillir ce recours, l'arrêt énonce que conformément à l'article L. 1224-2 du code du travail, le nouvel employeur est tenu des obligations contractées envers Mme X... par l'employeur précédent ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la déclaration des pathologies professionnelles préexistait au transfert du contrat de travail et qu'aucune convention n'était intervenue entre les employeurs successifs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;



PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Compass Group France.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que madame X... était fondée à former une demande en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la société COMPASS GROUP FRANCE, son dernier employeur, et en conséquence d'AVOIR dit que la maladie professionnelle déclarée par madame X... le 25 février 2009 était due à la faute inexcusable de son employeur, d'AVOIR fixé au maximum la majoration de la rente, d'AVOIR ordonné une expertise médicale judiciaire aux frais avancés de la CPAM de l'Isère et d'AVOIR condamné la société COMPASS GROUP France à rembourser à la CPAM de l'Isère les sommes dont elle aura fait l'avance en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ; que le transfert du contrat de travail de Madame X... est intervenu en application de l'avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif aux changements de prestataires de services à la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivité, dans sa rédaction issue de l'avenant du 1er décembre 1989 ; que par ailleurs, la société appelante ne conteste pas sérieusement qu'il y a eu transfert d'une entité économique autonome qui a conservé son identité et poursuivi son activité puisque le personnel mais aussi les moyens d'exploitation de l'activité de restauration d'entreprise ont été transférés de la société Alliance à la société Compass Group France ; que dès lors, conformément à l'article L. 1224-2 du code du travail, il s'en déduit que le nouvel employeur est tenu des obligations contractées envers Madame X... par l'employeur précédent ; que la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée par Madame X... à l'encontre de la société Compass Group France est recevable ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il résulte des pièces de la procédure que Madame Anne-Marie X... travaille en qualité d'employée de restauration au sein du restaurant interentreprises H2 du CEA depuis cette date, plusieurs entreprises se sont succédées sur ce marché, la dernière entreprise étant la Société COMPASS GROUP, exploitant le restaurant depuis le 1er août 2009 ; que la Société COMPASS GROUP fait valoir qu'elle ne peut se voir imputer une faute inexcusable dès lors que les quatre maladies professionnelles ont été contractées alors qu'elle n'était pas l'employeur de Madame X... ; qu'aux termes de l'article L. 1226-6 du Code du Travail, les dispositions réglementant la situation des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle survenu ou contracté au service d'un autre employeur ; que toutefois, aux termes de l'article L. 1224-2 du Code du Travail, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification sauf dans les cas suivants : procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ; substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci ; qu'en l'espèce, il existe une convention de branche étendue, organisant le transfert des contrats de travail ; que dans l'avenant du 1er décembre 1989 à l'avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif aux changements de prestataires de services, il était précisé que « la reprise par le nouvel employeur du personnel de statut employé prévue dans l'avenant n °3 s'effectue dans tous les cas, à l'exception des deux situations suivantes appréciées au moment de la passation du marché : remplacement d'un système de production sur place par livraison des repas à partir d'une unité de production ... transfert du lieu d'exploitation entraînant une modification substantielle aux contrats de travail des salariés de cette exploitation » ; qu'en l'espèce, la Société COMPASS GROUP FRANCE ne se trouve dans aucune des deux situations décrites par l'avenant du 1er décembre 1989 ; que dès lors, les obligations incombant à l'ancien employeur sont reprises avec le contrat de travail ; que de plus, en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que le changement de prestataires pour l'exploitation du restaurant interentreprises H2 du site du CEA s'analyse comme un transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité et dont l'activité était poursuivie ; que dès lors, Madame Anne-Marie X... était fondée à saisir le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'un recours aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son dernier employeur, la Société COMPASS GROUP ;

1. ¿ ALORS QUE la société COMPASS GROUP France soutenait qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1224-2-2° du code du travail, faute de convention de cession conclue entre elle et la société AVENANCE, à laquelle elle succédait pour la gestion du service de restauration du site H2 du CEA, elle ne pouvait être tenue aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a jugé au contraire que, conformément à l'article L. 1224-2 du code du travail, la société COMPASS était tenue des obligations de la société AVENANCE envers la salariée ; qu'en ne s'expliquant pas sur l'absence de transfert des dettes au nouvel employeur à défaut de convention entre eux, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-2 du code du travail ;


2. ¿ ALORS QUE le nouvel employeur n'est pas tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification en l'absence de convention entre eux ; qu'une convention de branche organisant le transfert des contrats de travail ne constitue pas une convention liant les employeurs mais un accord collectif ; qu'en écartant implicitement les dispositions de l'article L. 1224-2-2° du code du travail en se référant à la convention de branche des entreprises de restauration de collectivités organisant le transfert des contrats de travail, la Cour d'appel a en toute hypothèse violé l'article L. 1224-2 du code du travail ;

3. ¿ ALORS en tout état de cause QUE, sauf accord exprès contraire entre les parties, les créances de dommages-intérêts sanctionnant une faute de l'ancien employeur ne sont pas transférées au nouvel employeur ; que tel est le cas en particulier des indemnités complémentaires dues à la victime d'un accident du travail pour faute inexcusable de l'ancien employeur ; qu'en mettant à la charge de la société COMPASS GROUP France les conséquences de la faute inexcusable commise par la société AVENANCE à l'encontre de madame X..., la Cour d'appel a violé l'article L. 1224-2 du code du travail ;

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la maladie professionnelle déclarée par madame X... le 25 février 2009 était due à la faute inexcusable de son employeur, d'AVOIR fixé au maximum la majoration de la rente, d'AVOIR ordonné une expertise médicale judiciaire aux frais avancés de la CPAM de l'Isère et d'AVOIR condamné la société COMPASS GROUP France à rembourser à la CPAM de l'Isère les sommes dont elle aura fait l'avance en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'en vertu du contrat de travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que Mme X... produit divers documents, dont un courrier du médecin du travail en date du 12 février 2004 relatant ses constatations relatives aux gestes nocifs qui participent à l'apparition des troubles musculo-squelettiques (TMS), constatés dans l'exécution des tâches des salariés et ses préconisations pour améliorer leurs conditions de travail, et engageant l'employeur à entreprendre une démarche ergonomique, le courrier des délégués du personnel adressé le 10 septembre 2008 au médecin du travail rappelant les alertes envoyées à l'employeur et l'absence de changement au niveau des postes de travail malgré un rapport du CHSCT et le courrier précité du médecin du travail, diverses constatations de l'inspecteur du travail relatées dans un courrier du 22 septembre 2010 ; qu'il résulte de l'ensemble des éléments produits par Mme X... que ses employeurs ont bien été avertis des risques qu'ils faisaient courir aux salariés, notamment en matière de TMS ; que malgré de nombreuses alertes émanant tant des délégués du personnel que du médecin du travail aucune solution satisfaisante n'a été adoptée ; que l'employeur, qui avait nécessairement conscience du danger auquel il exposait la salariée, n'a pas mis en oeuvre les mesures de correction suffisantes pour éviter la poursuite de l'exposition aux risques, ce dont il est résulté la maladie professionnelle dont a été victime Mme X... ; qu'en conséquence la faute inexcusable de la société Compass Group France doit être retenue ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que la simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur ; que toutefois pour caractériser la faute inexcusable, il faut d'une part la conscience du danger qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur et d'autre part l'absence de mesure de prévention et/ou de protection ; qu'en l'espèce, il est constant que Madame Anne-Marie X... a déclaré le 25 février 2009 une maladie professionnelle inscrite au tableau 57, le certificat médical joint à la déclaration mentionnait une épicondylite gauche ; qu'à l'examen des pièces produites par Madame X..., il apparaît que depuis 2001, le prestataire exploitant le restaurant interentreprises H2 du CEA avait été alerté sur les dégradations des conditions de travail ; qu'il est notamment établi que les délégués du personnel ne cessaient depuis octobre 2006 d'attirer l'attention de l'employeur (ELIOR AVENANCE ENTREPRISES) sur les conséquences sociales pouvant résulter de la baisse des effectifs et d'un recours accru à l'emploi précaire, ajoutant dans un courrier du 12 octobre 2007 "les cadences sont devenues intenables et nous craignons pour la santé des salariés" dénonçant également la constante augmentation des maladies professionnelles ; qu'il apparaît que nonobstant les observations qui lui étaient faites, l'employeur n'a pris aucune mesure afin de prévenir les atteintes à la santé de ses salariés notamment en adaptant les installations et équipements de travail ; qu'en ce qui concerne la maladie déclarée le 25 février 2009 par Madame Anne-Marie X..., qui occupait un poste d'employé de restauration, il est établi qu'à la suite d'une nouvelle alerte des délégués du personnel, l'employeur a fait procéder à un audit ergonomique, lequel mettait en lumière le caractère inadapté des équipements et installations de travail ainsi que le défaut d'action de prévention de l'employeur ; qu'il est incontestable que l'employeur, suffisamment alerté par les représentants du personnel, la médecine du travail, l'audit ergonomique et qui avait une obligation générale d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique de ses salariés (article L. 4121-1 du Code du Travail) par la mise en oeuvre des mesures nécessaires (article L. 4121-2 du Code du Travail), n'a ni pris les mesures de protection nécessaires, ni établi en temps utile le document unique permettant d'évaluer les risques ; qu'il est donc établi que l'employeur qui avait nécessairement conscience du danger auquel il exposait sa salariée, n'a pris aucune mesure de prévention pour celle-ci dont il ne pouvait ignorer sa fragilité au niveau des membres supérieurs (trois maladies professionnelles déclarées entre mars 2003 et décembre 2007) ; que dès lors, ce manquement à l'obligation de sécurité de résultat caractérise la faute inexcusable ; qu'il convient de fixer au maximum la majoration de la rente ; qu'il sera fait droit à la demande d'expertise aux fins d'évaluation du préjudice ; qu'il sera de plus alloué à Madame Anne-Marie X... une indemnité provisionnelle de 2.000 euros ;


ALORS QUE les juges sont tenus d'examiner l'ensemble des pièces produites par les parties au soutien de leurs prétentions ; que la société COMPASS GROUP faisait valoir qu'elle avait pris de nombreuses mesures destinés à améliorer les conditions de travail des salariés ; qu'elle exposait qu'elle avait embauché quatre salariés sur le site, mis en place une nouvelle organisation du travail et installé du matériel ergonomiquement plus adapté, ce dont elle justifiait, notamment, par la production d'une attestation des salariés eux-mêmes (pièces produites n° 3, 8, 11) ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas avoir mis en oeuvre des mesures de correction suffisantes pour éviter la poursuite de l'exposition aux risques, sans examiner les pièces de l'employeur justifiant des mesures prises, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;



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Cette décision est visée dans la définition :
Droit du Travail


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.