par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 19 novembre 2014, 13-13405
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
19 novembre 2014, 13-13.405

Cette décision est visée dans la définition :
Europe / Droit communautaire




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique:

Attendu, selon les arrêts attaqués (Colmar, 3 mai 2011 et 31 octobre 2012), qu'estimant que les sociétés Brenneke et Wilhelm Brenneke (les sociétés Brenneke), établies en Allemagne, ayant pour activité la fabrication et l'exploitation de balles et munitions destinées à la chasse, avaient manqué à leurs obligations contractuelles, la société Franco-Badoise, établie à Strasbourg, se prévalant d'un droit de distribution exclusive, sur le territoire français, de balles de chasse à canon lisse de la marque « Brenneke », les a assignées, les 4 juillet et 21 novembre 2007, devant une juridiction française, en résolution du contrat, en paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et en désignation d'un expert aux fins d'évaluation de celui-ci ; que les sociétés Brenneke ont soulevé une exception d'incompétence sur le fondement de l'article 5-1, a), du règlement (CE) n° 44/2001, du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) ;

Attendu que les sociétés Brenneke font grief au second arrêt de rejeter cette exception d'incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ que le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, au sens et pour l'application de l'article 5-1 a) du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000, doit être déterminé en fonction de la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 269, alinéa premier, du code civil allemand, dont les exposantes revendiquaient l'application, que « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette » ; qu'ainsi que le soulignaient les exposantes, selon la jurisprudence des juridictions allemandes relative à cette disposition, en matière d'obligation de ne pas faire, telle l'obligation de respecter une clause d'exclusivité au profit d'un distributeur, invoquée par la société Franco-Badoise à l'appui de sa demande indemnitaire, le lieu de la prestation est fixé au domicile du débiteur, non à l'endroit de commission du manquement contractuel qui lui est imputé ; qu'en jugeant néanmoins, après avoir retenu l'application de l'article 269 du code civil allemand, que les éventuelles infractions à l'obligation d'exclusivité dont se prévalait la société Franco-Badoise ayant été commises sur la zone concédée, c'est-à-dire en France, l'engagement de ne contracter qu'avec cette société devait y être localisé de sorte que les tribunaux français étaient compétents, la cour d'appel a dénaturé l'article 269, alinéa 1er, du code civil allemand, violant ainsi les articles 3 et 1134 du code civil, ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il résulte de l'article 269, alinéa premier, du code civil allemand, dont la cour d'appel a constaté qu'il régissait les relations entre les parties, que « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette » ; que les sociétés Wilhelm Brenneke et Brenneke GmbH faisaient valoir, en se prévalant d'un commentaire de jurisprudence sous les articles 269 et 270 du code civil allemand, qu'elles avaient régulièrement versé aux débats, que l'obligation d'assurer à la société Franco-Badoise l'exclusivité de la distribution sur le territoire français des produits de marque « Brenneke » dont se prévalait la société Franco-Badoise à l'appui de sa demande de dommages-intérêts, s'analysait en droit allemand comme une obligation de ne pas faire (« Unterlassungspflicht ») dont le lieu d'exécution se déterminait non en fonction du lieu de l'infraction, mais du domicile du débiteur, soit en l'espèce le siège social des sociétés Wilhelm Brenneke et Brenneke GmbH, situé en Allemagne ; qu'en se bornant à retenir qu'il résultait de l'article 269 du code civil allemand que « la localisation du lieu d'exécution de la prestation au domicile du débiteur n' avait qu'un caractère subsidiaire, cette règle ne jouant qu'en l'absence de choix par les parties ou de circonstances particulières », et qu'il convenait de tenir compte, pour déterminer le tribunal compétent, du lieu de commission des violations à l'obligation d'exclusivité qu'auraient prétendument commises les sociétés Wilhelm Brenneke et Brenneke GmbH, situées sur le territoire concédé, sans répondre au moyen des exposantes faisant valoir que selon la jurisprudence et la doctrine allemandes relatives à l'article précité, le lieu d'exécution d'une obligation de ne pas faire était situé au domicile du défendeur et non au lieu de commission du manquement contractuel invoqué, ni examiner les pièces produites aux débats pour l'étayer, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande, au sens et pour l'application de l'article 5-1 a) du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; que lorsque la loi en question est une loi étrangère, il incombe au juge français, avec le concours des parties et le cas échéant personnellement, d'en rechercher et d'en analyser le contenu exact ; qu'en l'espèce, après avoir retenu qu'aux termes de l'article 269, alinéa 1er, du code civil allemand, dont elle a constaté qu'il régissait les relations entre les parties, « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette », la cour d'appel a considéré « qu'au regard de cet article, la localisation du lieu d'exécution de la prestation au domicile du débiteur n'a donc qu'un caractère subsidiaire, cette règle ne jouant qu'en l'absence de choix par les parties ou de circonstances particulières », et qu'il convenait de tenir compte, pour déterminer le tribunal compétent, du lieu de commission des éventuelles infractions à l'obligation d'exclusivité reprochées aux sociétés Wilhelm Brenneke et Brenneke GmbH ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer sur quelle source de droit positif allemand elle se fondait pour décider qu'au cas où était alléguée la violation d'une obligation de distribution exclusive, c'était à l'endroit de commission des éventuelles infractions, soit sur le territoire concédé, qu'il convenait de localiser l'obligation en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 5-1 a) du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Mais attendu que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12), la règle de compétence édictée à l'article 5-1, b), second tiret, du règlement Bruxelles I, pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services, est applicable à une action en justice par laquelle le demandeur, établi dans un Etat membre, fait valoir, à l'encontre d'un défendeur établi dans un autre Etat membre, des droits tirés d'un contrat de concession, ce qui implique que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant la distribution par le concessionnaire, choisi par le concédant à la suite d'une sélection, des marchandises vendues par ce dernier ; qu'aux termes de cette jurisprudence, la prestation caractéristique fournie par le concessionnaire consiste à assurer la distribution des produits du concédant et, partant, à participer au développement de leur diffusion ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que les droits invoqués par la société Franco-Badoise sont tirés d'un contrat de distribution conclu à l'issue d'un processus de sélection et comportant des stipulations particulières concernant la distribution, sur le territoire français, des produits de la marque « Brenneke », de sorte que la règle de compétence énoncée à l'article 5-1,b), second tiret, du règlement Bruxelles I, a vocation à s'appliquer, ce qui exclut l'application de celle prévue à l'article 5-1, a), du même règlement, invoquée par les sociétés Brenneke, et à fonder la compétence de la juridiction française saisie, en tant que tribunal du lieu de réalisation de la prestation caractéristique du distributeur ; que, par ces motifs de pur droit, substitués dans les conditions prévues par l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Brenneke et Wilhelm Brenneke aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Franco-Badoise la somme de 3 000 euros et rejette leur demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour les sociétés Brenneke GmbH et Wilhelm Brenneke GmbH & Co KG.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué (Cour d'appel de COLMAR, 31 octobre 2012) D'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés WILHELM BRENNEKE et GmbH & Co KG et BRENNEKE,

AUX MOTIFS QUE « la fourniture des munitions était la prestation caractéristique du contrat de distribution invoqué par la société Franco-Badoise ; que cette obligation a pesé successivement sur la société Wilhelm Brenneke puis sur la société Brenneke dont les sièges sont situés en Allemagne ; que la circonstance que la « confirmation » (Best€tigung) du 6 juin 1952 et le « contrat » (Vertrag) du 26 avril 1958, que l'appelante présente comme un avenant, aient été conclus à Berlin et que ces documents contractuels, et plus généralement d'ailleurs les principales correspondances échangées, aient été rédigés en langue allemande, confirme que le contrat avait les liens les plus étroits avec l'Allemagne ; que dans ces conditions, il convient de soumettre le contrat à la loi allemande ;
Que selon la traduction non contestée produites par les intimées, l'article 269 alinéa 1er du Code Civil allemand dispose : « Lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminée ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette » ; Qu'au regard de cet article, la localisation du lieu d'exécution de la prestation au domicile du débiteur n'a donc qu'un caractère subsidiaire, cette règle ne jouant qu'en l'absence de choix par les parties ou de circonstances particulières ; que l'obligation servant de base à la demande de la société Franco-Badoise est l'exclusivité territoriale que lui auraient consentie ses fournisseurs allemands et que ceux-ci auraient méconnue ; que les éventuelles infractions ayant été commises sur la zone concédée, c'est-à-dire en France, l'engagement de ne contracter qu'avec l'appelante doit y être localisé ; que le tribunal de Strasbourg, tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande devait être exécutée, est compétent pour connaître des prétentions de la société Franco-Badoise en application de l'article 5-1 du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000 ;
que le jugement entrepris doit être infirmé » ;

1°) ALORS, D'UNE PART, QUE le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, au sens et pour l'application de l'article 5-1 a) du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000, doit être déterminé en fonction de la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 269, alinéa premier, du code civil allemand, dont les exposantes revendiquaient l'application, que « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette » ; qu'ainsi que le soulignaient les exposantes, selon la jurisprudence des juridictions allemandes relative à cette disposition, en matière d'obligation de ne pas faire, telle l'obligation de respecter une clause d'exclusivité au profit d'un distributeur, invoquée par la société FRANCO-BADOISE à l'appui de sa demande indemnitaire, le lieu de la prestation est fixé au domicile du débiteur, non à l'endroit de commission du manquement contractuel qui lui est imputé ; qu'en jugeant néanmoins, après avoir retenu l'application de l'article 269 du code civil allemand, que les éventuelles infractions à l'obligation d'exclusivité dont se prévalait la société FRANCO-BADOISE ayant été commises sur la zone concédée, c'est-à-dire en France, l'engagement de ne contracter qu'avec cette société devait y être localisé de sorte que les tribunaux français étaient compétents, la Cour d'appel a dénaturé l'article 269, alinéa 1er, du code civil allemand, violant ainsi les articles 3 et 1134 du code civil, ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU' il résulte de l'article 269, alinéa premier, du code civil allemand, dont la Cour d'appel a constaté qu'il régissait les relations entre les parties, que « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette » ; que les sociétés WILHELM BRENNEKE et BRENNEKE GmbH faisaient valoir, en se prévalant d'un commentaire de jurisprudence sous les articles 269 et 270 du code civil allemand, qu'elles avaient régulièrement versé aux débats, que l'obligation d'assurer à la société FRANCO-BADOISE l'exclusivité de la distribution sur le territoire français des produits de marque « BRENNEKE » dont se prévalait la société FRANCO-BADOISE à l'appui de sa demande de dommages-intérêts, s'analysait en droit allemand comme une obligation de ne pas faire (« Unterlassungspflicht ») dont le lieu d'exécution se déterminait non en fonction du lieu de l'infraction, mais du domicile du débiteur, soit en l'espèce le siège social des sociétés WILHELM BRENNEKE GmbH & Co KG et BRENNEKE GmbH, situé en Allemagne ; qu'en se bornant à retenir qu'il résultait de l'article 269 du code civil allemand que « la localisation du lieu d'exécution de la prestation au domicile du débiteur n' avait qu'un caractère subsidiaire, cette règle ne jouant qu'en l'absence de choix par les parties ou de circonstances particulières », et qu'il convenait de tenir compte, pour déterminer le tribunal compétent, du lieu de commission des violations à l'obligation d'exclusivité qu'auraient prétendument commises les sociétés WILHELM BRENNEKE et BRENNEKE GmbH, situées sur le territoire concédé, sans répondre au moyen des exposantes faisant valoir que selon la jurisprudence et la doctrine allemandes relatives à l'article précité, le lieu d'exécution d'une obligation de ne pas faire était situé au domicile du défendeur et non au lieu de commission du manquement contractuel invoqué, ni examiner les pièces produites aux débats pour l'étayer, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;


3°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande, au sens et pour l'application de l'article 5-1 a) du règlement CE n°44/2001 du 22 dé cembre 2000, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; que lorsque la loi en question est une loi étrangère, il incombe au juge français, avec le concours des parties et le cas échéant personnellement, d'en rechercher et d'en analyser le contenu exact ; qu'en l'espèce, après avoir retenu qu'aux termes de l'article 269, alinéa 1er, du code civil allemand, dont elle a constaté qu'il régissait les relations entre les parties, « lorsque le lieu de la prestation n'est pas déterminé ni susceptible de l'être par ce qui ressort des circonstances et en particulier, de la nature de l'obligation, l'exécution de la prestation doit avoir lieu à l'endroit où le débiteur était domicilié au moment de la naissance de la dette », la Cour d'appel a considéré « qu'au regard de cet article, la localisation du lieu d'exécution de la prestation au domicile du débiteur n'a donc qu'un caractère subsidiaire, cette règle ne jouant qu'en l'absence de choix par les parties ou de circonstances particulières », et qu'il convenait de tenir compte, pour déterminer le tribunal compétent, du lieu de commission des éventuelles infractions à l'obligation d'exclusivité reprochées aux sociétés WILHELM BRENNEKE GmbH &Co KG et BRENNEKE GmbH ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer sur quelle source de droit positif allemand elle se fondait pour décider qu'au cas où était alléguée la violation d'une obligation de distribution exclusive, c'était à l'endroit de commission des éventuelles infractions, soit sur le territoire concédé, qu'il convenait de localiser l'obligation en cause, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 5-1 a) du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.