par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, 11-13161
Dictionnaire Juridique

site réalisé avec
Baumann Avocats Droit informatique

Cour de cassation, 1ère chambre civile
12 juillet 2012, 11-13.161

Cette décision est visée dans la définition :
Majeurs protégés




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 473 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte notarié du 21 décembre 2005, la société Record Bank (la banque) a consenti à la société Immobilière La Tuilerie un prêt d'un montant de 330 000 euros garanti par une hypothèque ; que l'emprunteur ayant été défaillant, la banque lui a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière ;

Attendu que pour déclarer recevable l'appel formé contre la décision du juge de l'exécution par M. Z..., agissant en qualité de mandataire spécial de Mme X... placée sous sauvegarde de justice par décision du 1er octobre 2009, elle-même prise en qualité de gérante de la société Immobilière La Tuilerie, la cour d'appel a retenu que si en raison du placement sous tutelle de Mme X... M. Z... ne pouvait plus intervenir en qualité de mandataire spécial dès lors qu'à la date de la déclaration d'appel il avait été régulièrement désigné en qualité de tuteur par une décision du 15 février 2010, l'erreur sur sa qualité ne constitue ni un défaut de capacité ni un défaut de pouvoir ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors que le tuteur d'une personne protégée à laquelle a été dévolue la fonction de gérant d'une société n'est pas investi du pouvoir de représenter celle-ci, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 décembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Immobilière La Tuilerie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la société Record Bank, demanderesse au pourvoi principal

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré recevable l'appel que la société Immobilière la Tuilerie (sci), représentée par sa gérante, Mme Zoé X..., elle-même représentée par M. Clotaire Z..., son mandataire spécial, interjetait contre le jugement que la juridiction de l'exécution du tribunal de grande instance de Versailles a rendu, le 26 mai 2010, au profit de la société Record bank ;

AUX MOTIFS QUE la société Record bank soulève la nullité de la déclaration d'appel du 9 juin 2010, au visa de l'article 117 du code de procédure civile, pour irrégularité de fond, relevant, à ce effet, que M. Z... n'avait pas qualité pour représenter Zoé X..., veuve Y..., en qualité de mandataire spécial, au jour de cette déclaration ; qu'elle ajoute que les deux déclarations d'appel, effectuées après l'expiration du délai de recours, sont tardives, de telle sorte que l'irrégularité dont est entachée la première déclaration ne peut être couverte » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 3e considérant) ; « que la sci la Tuilerie réplique à juste titre que, dès lors que la personne morale existe et que son identification est certaine, l'erreur sur la désignation de son représentant légal constitue un vice de forme ; qu'en l'espèce, si, en raison du placement de la gérante de la sci sous le régime de la tutelle, M. Clotaire Z... ne pouvait poursuivre l'instance en qualité de mandataire spécial, l'erreur sur sa qualité ne constitue ni un défaut de capacité, ni un défaut de pouvoir, alors qu'à la date de la déclaration d'appel, il était régulièrement désigné en qualité de tuteur par jugement du juge des tutelles du 15 février 2010 » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 4e considérant) ; « que la société Record bank ne justifie, ni même n'allègue que cette irrégularité formelle lui a causé un grief, aucune ambiguïté n'existant sur l'identité de la sci la Tuilerie et les biens lui appartenant, objet de la saisie immobilière » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 5e considérant) ; « que l'exception de nullité sera donc rejetée, et, par voie de conséquence, l'appel sera déclaré recevable » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 6e considérant) ;

1. ALORS QUE, si le tuteur agit seul en justice pour faire valoir les droits patrimoniaux de la personne protégée, il ne le peut pas, lorsqu'il fait valoir les droits patrimoniaux d'une autre personne que la personne protégée parce que la personne protégée se trouve être le représentant légal de cette autre personne ; qu'en énonçant que M. Clotaire Z..., tuteur de Mme Zoé X..., elle-même gérante de la société Immobilière la Tuilerie, avait le pouvoir d'interjeter appel au nom de cette société, quand elle ne justifie pas qu'il était pourvu, à cet effet, de l'autorisation nécessaire, la cour d'appel a violé les articles 474, 475, 504 et 505 du code civil ;

2. ALORS QUE le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice, constitue le vice de fond ; que la nullité consécutive au vice de fond n'est pas subordonnée à la condition du grief ; qu'en exigeant de la société Record bank qu'elle prouve que l'irrégularité de la déclaration d'appel de la société Immobilière la Tuilerie lui a causé un grief, quand M. Clotaire Z..., qui est l'auteur de cette déclaration, ne pouvait, ainsi qu'il est montré à l'élément de moyen qui précède, y représenter sans autorisation Mme Zoé X..., incapable majeure, elle-même gérante de la société Immobilière la Tuilerie, la cour d'appel a violé les articles 117 et 119 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné la société Record bank à payer à la société Immobilière la Tuilerie une indemnité de 100 000 € ;

AUX MOTIFS QUE « le banquier est dispensé de son obligation de mise en garde s'il établit que son client a la qualité d'emprunteur averti » (cf. arrêt attaqué, p. 7, 6e considérant) ; « que la sci la Tuilerie avait pour objet essentiel la mise en valeur, l'administration et l'exploitation de la propriété sise à Behoust, qui constituait son unique bien immobilier ; que Zoé Y..., son associée unique et sa gérante, sans autre activité professionnelle, était représentée par son époux lors de la conclusion des cinq contrats de prêt souscrits auprès de la société Record bank et ne disposait d'aucune expérience dans le domaine immobilier et d'aucune compétence pour apprécier l'opportunité et la portée de l'opération du crédit immobilier ; que la sci doit donc être qualifiée d'emprunteuse profane ; que la présence aux côtés de la gérante d'une personne avertie, son époux, agent commercial, ne dispense pas la banque de son obligation de mise en garde » (cf. arrêt attaqué, p. 7, 7e considérant, lequel s'achève p. 8) ; « qu'à la date de signature du prêt litigieux, la sci la Tuilerie avant encore la charge du remboursement d'un prêt d'un montant de 30 535 € conclu avec le même établissement financier, le 17 juin 2000, qui arrivait à échéance le 5 juillet 2011 ; que les affirmations de l'appelante selon lesquelles aucun des quatre prêts consentis par la société Record bank n'a été remboursé aux échéances contractuelles, sans incident, ne sont pas contredites par celle-ci ; que la société Record bank ne pouvait, sans méconnaître son devoir de mise en garde, consentir un nouveau crédit à la sci, au vu des seules garanties hypothécaires, alors qu'elle ne justifie, ni même n'allègue, s'être renseignée sur les capacités financières de la sci et les avoir vérifiées ; que, si le contrat de prêt incriminé prévoyait " qu'il ne sera dû que les intérêts durant les trois premières années ", le remboursement de la somme de 4 537 € 50 correspondant aux intérêts excédait les capacités contributives de la société, dont les revenus étaient inexistants ; qu'en outre, la gérante, Zoé Y..., âgée de soixante et onze ans à la date de la conclusion du prêt, disposait de revenus mensuels composés d'une pension de retraite de l'ordre de 330 € » (cf. arrêt attaqué, p. 1er considérant) ; « que la société Record bank, qui ne démontre pas avoir informé et mis en garde la gérante de la sci la Tuilerie sur les risques d'endettement nés de l'octroi du prêt en cause ; a engagé sa responsabilité contractuelle » (cf. arrêt attaqué, p. 2e considérant) ; « que le préjudice né du manquement par la société Record bank à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter le prêt litigieux qui sera entièrement indemnisé par l'allocation d'une indemnité de 100 000 € » (cf. arrêt attaqué, p. 8, 3e considérant) ;

1. ALORS QUE le banquier prêteur n'est pas tenu d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur qui dispose de ressources en patrimoine ou en revenus lui permettant de faire face à l'engagement qu'il souscrit ; qu'en énonçant que la société Record bank était tenue d'une obligation de mise en garde envers la société immobilière la Tuilerie et qu'elle ne pouvait, sans méconnaître cette obligation, consentir un nouveau crédit à cette société, au vu des seules garanties hypothécaires qu'elle fournissait, la cour d'appel, qui ne s'interroge pas sur l'adéquation de ces garanties hypothécaires à l'engagement pris, a violé l'article 1147 du code civil ;

2. ALORS QUE la société Record bank faisait valoir, dans sa signification du 3 septembre 2010, p. 17, 5e alinéa, que l'opération qu'elle a conclue avec la société Immobilière la Tuilerie consistait dans un prêt relais, lequel devait permettre à l'emprunteuse, d'une part, de faire l'acquisition d'un immeuble en Corse, et, d'autre part, de vendre l'important bien-fonds dont elle était propriétaire à Behoust, raison pour laquelle le remboursement du capital emprunté était différé pendant trois ans ; qu'elle soutenait donc que l'engagement de la société Immobilière la Tuilerie n'excédait pas le montant de ses ressources en capital, lesquelles, comme dans tout crédit relais, devait lui permettre d'éteindre rapidement l'obligation dont elle se constituait débitrice ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3. ALORS QUE l'indemnité allouée à la victime du dommage résultant de la perte d'une chance est obligatoirement inférieure à celle que justifierait la réparation du préjudice final que cette victime subit en effet ; qu'en liquidant à 100 000 € l'indemnité qu'elle accorde à la société Immobilière la Tuilerie pour réparer le préjudice qu'elle a subi et qui résulte, comme elle le constate, de la perte d'une chance, sans indiquer le montant de l'indemnité qui serait nécessaire pour réparer le préjudice que cette société a finalement subi, la cour d'appel, qui ne permet à la cour de cassation d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale sous le rapport de l'article 11447 du code civil.

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société Immobilière La Tuilerie, demanderesse au pourvoi incident éventuel

LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR, confirmant le jugement entrepris, débouté la SCI IMMOBILIERE LA TUILERIE de sa demande de nullité du prêt ;

AUX MOTIFS QU'« il ressort de l'acte notarié que le prêt litigieux a été conclu entre la société Record Bank et la SCI La Tuilerie, représentée par Zoé X... épouse Y... et qu'il a été signé par Gérard Y..., agissant au nom et pour le compte de Madame Y..., associée unique de la SCI, en vertu des pouvoirs qu'elle lui a conférés aux termes d'une délibération de l'associé unique en date du 19 décembre 2005, annexée à l'acte ; que, s'agissant d'un acte authentique, il n'appartenait pas à la société Record Bank de vérifier l'authenticité de la signature apposée sur le procès-verbal d'assemblée générale de la SCI La Tuilerie du 19 décembre 2005, donnant pouvoir à Gérard Y... de conclure le contrat de prêt et de donner en garantie la propriété dénommée La Tuilerie, alors que les pièces produites aux débats établissent que dès 2001, celui-ci représentait son épouse dans les actes de gestion de la propriété La Tuilerie, notamment devant un notaire, lors de la conclusion d'un contrat de prêt précédent entre la banque et la SCI La Tuilerie, le 9 février 2002 » ;

1°/ ALORS, d'une part, QUE, seule la signature apposée sur l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux ; que la preuve peut donc être librement apportée de la fausseté de la signature apposée à un pouvoir annexé à l'acte authentique, si ce pouvoir n'a pas lui-même été reçu en la forme authentique ; que, pour refuser de prononcer la nullité de l'acte de prêt, la Cour d'appel a retenu que, s'agissant d'un acte authentique, il n'appartenait pas à la société RECORD BANK de vérifier l'authenticité de la signature apposée sur le procès-verbal d'assemblée générale de la SCI LA TUILERIE du 19 décembre 2005 ; qu'en statuant ainsi, déduisant un motif inopérant pris de la force probante attachée à l'acte authentique, la Cour d'appel a violé l'article 1319 du Code civil ;

2°/ ALORS, d'autre part, QU'aux termes de l'article 1540 du Code civil, quand l'un des époux prend en main la gestion des biens de l'autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration et de gérance, mais non les actes de disposition ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 31), la SCI IMMOBILIERE LA TUILERIE avait fait valoir l'exclusion d'un mandat tacite relativement à la prise d'une hypothèque, acte de disposition ; qu'en retenant cependant que les pièces produites aux débats établissent que dès 2001, Monsieur Gérard Y... représentait son épouse dans les actes de gestion de la propriété LA TUILERIE, notamment devant un notaire, lors de la conclusion d'un contrat de prêt précédent, entre la banque et la SCI LE TUILERIE, le 9 février 2002, sans se prononcer, comme il le lui était demandé, sur l'absence d'un mandat exprès couvrant la prise d'une hypothèque, la Cour d'appel a violé l'article 1540 du Code civil ;

3°/ ALORS, encore, QUE, si une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent, c'est à la condition que la croyance du tiers au pouvoir du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; que la Cour d'appel a retenu que s'agissant d'un acte authentique, il n'appartenait pas à la société Record Bank de vérifier l'authenticité de la signature apposée sur le procès-verbal d'assemblée générale de la SCI La Tuilerie du 19 décembre 2005, donnant pouvoir à Gérard Y... de conclure le contrat de prêt et de donner en garantie la propriété dénommée La Tuilerie, alors que les pièces produites aux débats établissent que dès 2001, celui-ci représentait son épouse dans les actes de gestion de la propriété La Tuilerie, notamment devant un notaire, lors de la conclusion d'un contrat de prêt précédent entre la banque et la SCI La Tuilerie, le 9 février 2002 ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, en l'état de la qualité de professionnel averti revêtue par la société RECORD BANK, les circonstances l'autorisant à ne pas vérifier les pouvoirs de Monsieur Gérard Y..., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1998 du Code civil ;

4°/ ALORS, enfin, QUE, dans ses écritures d'appel (concl., p. 14), la SCI IMMOBILIERE LA TUILERIE a soutenu que les mentions procès-verbal daté du 19 décembre 2005 « Bon pour acceptation de pouvoir, Paris le 19. 12. 05 » et « Bon pour pouvoir, Paris le 19. 12. 05 » ne sont signés que d'une seule et même personne et que la banque RECORD aurait très facilement pu s'apercevoir de l'imitation tant le graphisme entre les deux mentions était ressemblant ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces éléments de nature à établir la faute de la société RECORD BANK lui interdisant de se prévaloir d'un mandat apparent, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.



site réalisé avec
Baumann Avocats Contrats informatiques

Cette décision est visée dans la définition :
Majeurs protégés


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.