par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. com., 11 avril 2012, 10-25570
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Cour de cassation, chambre commerciale
11 avril 2012, 10-25.570
Cette décision est visée dans la définition :
Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique du 2 novembre 2011 renvoyant au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution de l'article L. 624-6 du code de commerce posée par Mme X..., épouse Y..., à l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 29 juin 2010 ;
Vu l'article 62 de la Constitution ;
Attendu que l'arrêt attaqué, sur le fondement exclusif de l'article L. 624-6 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, alinéa 1er, du même code, a accueilli la demande du liquidateur judiciaire de M. Y... tendant à réunir à l'actif de la procédure collective un immeuble acquis par l'épouse de celui-ci ;
Attendu que, par décision n° 2011-212 Q. P. C. du 20 janvier 2012, publiée au journal officiel le 21 janvier 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 624-6 précité et a précisé que l'abrogation de ce texte prendra effet à compter de la publication de la décision et sera applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date ;
Attendu que l'arrêt se trouve ainsi privé de fondement juridique ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
Annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de la SCP Isabelle Goic, en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. Y..., tendant à réunir à l'actif de la procédure collective l'immeuble acquis par Mme X..., épouse Y..., le 29 mars 2002, situé à Orgères (Ille-et-Vilaine), lieudit " ... " et figurant au cadastre section ZC, n° 218, 223, 224, 226 et 227 ;
Condamne la SCP Isabelle Goic, ès qualités, aux dépens exposés devant les juges du fond et la Cour de cassation ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le conseiller doyen faisant fonction de président à l'audience publique du onze avril deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour Mme X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le bien immobilier acquis par Mme Khadija X..., épouse Y..., le 29 mars 2002, par acte authentique au rapport de Maître Z..., notaire à RENNES, dont la désignation est ORGERES (ILLE et VILAINE, 35230 « ... », consistant en une maison d'habitation de style longère à rénover, comprenant deux-pièces au rez-de-chaussée, un garage et un grenier au premier étage, serait réuni à l'actif de la liquidation judiciaire engagée à l'encontre de M. Malick Y... ;
AUX MOTIFS QUE faute de preuve par l'époux du débiteur de ce qu'il possédait des ressources et capitaux personnels nécessaires au financement du bien litigieux lors de son acquisition, l'article L. 624-6 du Code de commerce trouve à s'appliquer sans qu'il y ait inversion de la charge de la preuve ; que l'appelante prétend que le prix d'acquisition de l'immeuble d'un montant de 60. 979, 61 a été financé par un apport personnel de l'ordre de 20. 000 ainsi que par un prêt personnel de 40. 000 ; que toutefois, lors de la signature du compromis de vente en date du 29 mars 2002, Madame Y... ne disposait pas d'un apport personnel de 20. 000 ; qu'à la suite du jugement du Conseil de Prud'hommes de RENNES, l'employeur n'a pas réglé le montant des condamnations prononcées, la décision n'étant pas assortie de l'exécution provisoire pour le tout, mais seulement une somme d'environ 3. 800 ;
que l'appelante a perçu les dommages et intérêts constituant son apport personnel, qu'après le prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel de RENNES en date du 13 mai 2003 seulement, à savoir plus de dix mois après l'acte définitif d'acquisition de la maison et non, comme elle l'affirme, le 29 mars 2002, date de signature du compromis de vente ; que l'appelante ne justifie pas avoir obtenu un prêt personnel pour le solde d'un montant de 38. 976, 61 ; qu'elle ne fournit aucun élément de preuve à cet égard ; que l'acte authentique de vente ne mentionne nullement l'existence d'un quelconque prêt destiné au financement partiel de l'acquisition, mais se contente de mentionner que le paiement a eu lieu comptant ; que les emprunts dont fait état l'appelante sont bien postérieurs à l'acquisition de la maison, comme datant des mois de mars et novembre 2004 ; qu'en mars 2002, à l'époque du compromis de vente, il résulte des pièces du dossier que l'appelante se trouvait au chômage depuis deux ans à la suite d'un licenciement pour faute grave et ne touchait qu'un revenu légèrement supérieur à 1. 000 (avis d'imposition des revenus de 2002) ; qu'ainsi, Madame Y... ne pouvait financer seule l'acquisition en cause, alors que Monsieur Y..., son époux, était en capacité de le faire, comme déclarant un revenu annuel de 131. 394 en 2002 ; que Madame Y... ne produit aucun relevé bancaire antérieur au mois de décembre 2003 et que Monsieur Y... ne verse aux débats nul relevé pour la période antérieure au mois de juillet 2002 ; que le liquidateur a pu seulement se procurer les justificatifs des mouvements bancaires postérieurs à l'acquisition de la maison en cause, malgré ses demandes ; que toutefois les comptes fournis démontrent que du 14 novembre 2003 au 5 avril 2006 603. 623 ont été transférés du compte professionnel de Monsieur Y... au compte personnel intitulé « Monsieur Y... », puis devenu « Monsieur et Madame Y... » à compter du 1er janvier 2005 ; que du 17 février 2004 au 28 octobre 2005, une somme de 26. 974, 20 a été virée du compte de Monsieur Y... au compte personnel de son épouse ; que durant la période allant du 16 avril au 28 octobre 2005, Mme Y... a bénéficié d'une somme complémentaire de 20. 300 , le total de ces différents transferts se montant à 110. 897, 20 ; que si l'appelante prétend qu'il y aurait eu « trois régularisations » concernant une somme de 33. 174, 20 , il n'en demeure pas moins qu'elle ne donne pas d'explication sur les 77. 722, 80 restant, lesquels n'ayant fait l'objet d'aucune régularisation, lui ont directement profité ; que les comptes des époux Y... ne sont pas transparents et que leur confusion porte sur des sommes non négligeables ; qu'au demeurant, de l'année 2002 à aujourd'hui, Madame Y... s'est constitué un actif tandis que Monsieur Y... s'est appauvri sans cesse, ce qui ne correspond absolument pas avec les revenus respectifs du couple durant la période concernée ;
que Madame Y... ne justifie nullement de l'origine du financement de la maison d'ORGERES ; qu'enfin, l'appelante fait remarquer que l'action du liquidateur n'aurait pas d'intérêt en présence des deux hypothèques inscrites sur la maison par le CREDIT AGRICOLE et la SOCIETE GENERALE en garantie de deux prêts de 120. 000 et 250. 000 ; que toutefois Madame Y... est in bonis, sa défaillance ne pouvant être présumée ; que par ailleurs il résulte du prêt souscrit auprès de la SOCIETE GENERALE, que celui-ci était d'une durée de deux ans et qu'il était échu le 2 juillet 2009 ; que le relevé d'hypothèques produit par l'appelante ne prouve pas que restent dues des sommes à la SOCIETE GENERALE ; qu'ainsi, la réunion du bien immobilier à l'actif de la liquidation ne profitera qu'à des créanciers inscrits, dont le CREDIT AGRICOLE ; qu'il convient de confirmer, par adoption de motifs, le jugement déféré et de débouter l'appelante de toutes ses demandes, ne la condamnant aux dépens du fait de sa succombance ;
1) ALORS QUE l'article L. 624-6 du Code de commerce, en ce qu'il prévoit que le mandataire judiciaire ou l'administrateur peut, seulement en prouvant par tous les moyens que les biens acquis par le conjoint du débiteur l'ont été avec des valeurs fournies par celui-ci, demander que les acquisitions ainsi faites soient réunies à l'actif, est contraire au droit de propriété, garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi, protégé par l'article 6 de cette même déclaration ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, qui a intégré l'immeuble acquis par Mme Y... dans l'actif de la liquidation judiciaire engagée contre son époux, se trouvera privé de base légale au regard des articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;
2) ALORS QU'en toute hypothèse l'époux du débiteur ne saurait être privé de son droit de propriété au seul motif qu'il a acquis son bien grâce à des valeurs fournies par le débiteur, sans qu'il soit établi que cette acquisition a été réalisée en fraude des droits des créanciers ; qu'en jugeant néanmoins que le bien acquis par Mme Y... devait être intégré dans l'actif de la liquidation judiciaire engagée contre son époux, sans rechercher si cette acquisition, réalisée le 29 mars 2002, soit plusieurs années avant l'ouverture d'une procédure collective contre M. Y... (jugement du Tribunal de commerce de RENNES du 24 mai 2006), avait pour objet de porter atteinte aux droits de ses créanciers en dissimulant une partie de son patrimoine, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1er du Premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
3) ALORS QU'en toute hypothèse il incombe au mandataire judiciaire ou à l'administrateur de prouver, par tous les moyens, que les biens acquis par le conjoint du débiteur l'auraient été avec des valeurs fournies par celui-ci, afin de justifier de sa demande de réintégration de ces biens à l'actif du débiteur ; qu'en jugeant que la charge de la preuve incombait à l'époux du débiteur et que Mme Y... ne démontrait pas avoir eu un revenu suffisant pour financer l'acquisition de l'immeuble d'ORGERES, quand il lui appartenait de rechercher si la preuve était rapportée, par le liquidateur, que l'immeuble avait été acquis grâce aux deniers de M. Y..., ultérieurement placé en liquidation judiciaire, la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a ainsi violé les articles 1315 du Code civil et L. 624-6 du Code de commerce ;
4) ALORS QU'en toute hypothèse le mandataire judiciaire ou l'administrateur peut demander que les biens acquis par le conjoint du débiteur soient réunis à l'actif de ce dernier à la condition qu'il établisse que les acquisitions ont été réalisées grâce à des valeurs fournies par le débiteur ; qu'en jugeant que le bien acquis par Mme Y... devait être réuni à l'actif de son époux aux motifs inopérants que ce dernier, du 14 novembre 2003 au 5 avril 2006, avait transféré de son compte professionnel à son compte personnel, devenu le compte de M. et Mme Y... à compter du 1er janvier 2005, la somme de 603. 623 , sans établir que cette somme, ou à tout le moins une partie de celle-ci, aurait été utilisée pour financer l'acquisition, la Cour d'appel a violé l'article L. 624-6 du Code de commerce ;
5) ALORS QU'en toute hypothèse le mandataire judiciaire ou l'administrateur peut demander que les biens acquis par le conjoint du débiteur soient réunis à l'actif de ce dernier à la condition qu'il établisse que les acquisitions ont été réalisées grâce aux valeurs fournies par le débiteur et que le versement de deniers ne peut avoir d'autre cause que ce financement ; qu'en relevant que du 14 novembre 2003 au 5 avril 2006 des sommes avaient été transférées du compte professionnel de M. Y... à son compte personnel, devenu celui de « Monsieur et Madame », à compter du 1er janvier 2005 et que M. Y... avait réalisé des opérations au profit de son épouse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (voir les conclusions d'appel de Mme Y..., p. 12, point 2), si l'époux n'avait pas réalisé ces virements afin de s'acquitter de son obligation de contribution aux charges du mariage, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-6 du Code de commerce, ensemble l'article 214 du Code civil.
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Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.