par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 23 juin 2011, 10-15811
Dictionnaire Juridique

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Cour de cassation, 1ère chambre civile
23 juin 2011, 10-15.811

Cette décision est visée dans la définition :
Force majeure




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu qu'Eric X..., passager d'un train, ayant été mortellement blessé de plusieurs coups de couteau par M. Y..., sa mère Mme Z... a assigné ce dernier ainsi que la SNCF en réparation de son préjudice moral ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 janvier 2010) d'avoir rejeté sa demande dirigée contre la SNCF alors, selon le moyen :

1°/ que le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat de les conduire sains et saufs à destination, ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en apportant la preuve d'un cas de force majeure, à savoir de circonstances imprévisibles et irrésistibles ; que les agressions de voyageurs dans un train sont prévisibles ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait décider que l'agression mortelle de Eric X... dans le train Grenoble-Lyon par un voyageur, au demeurant démuni de titre de transport, était imprévisible, au motif inopérant du trouble de comportement de l'agresseur, sans violer l'article 1148 du code civil ;

2°/ que d'autre part, l'agression de Eric X... étant survenue au moment de la coupe du monde de football de 1998 dans une région où se déroulaient des matches, l'afflux de population et de supporters qui devaient alors emprunter les transports imposait à la SNCF de prendre des mesures exceptionnelles de précaution, notamment en renforçant son personnel de contrôle et de surveillance ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la SNCF n'avait pris aucune mesure particulière pour la protection des voyageurs lors du parcours ferroviaire vers Saint-Etienne où devait se dérouler un match de football et que l'agresseur, anglais, monté dans le train sans titre de transport n'avait pas été contrôlé ; qu'ainsi faute de déduire de ces constatations qu'en l'absence de toute preuve ou allégation de quelconques mesures de prévention, il y avait lieu d'écarter l'existence d'un cas de force majeure faute d'irrésistibilité de l'agression, la cour d'appel a derechef violé l'article 1148 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que M. Y... s'était soudainement approché d'Éric X... et l'avait poignardé sans avoir fait précéder son geste de la moindre parole ou de la manifestation d'une agitation anormale, la cour d'appel a estimé qu'un tel geste, en raison de son caractère irrationnel, n'eût pu être empêché ni par un contrôle à bord du train des titres de transport, faute pour les contrôleurs d'être investis du pouvoir d'exclure du train un voyageur dépourvu de titre de transport, ni par la présence permanente d'un contrôleur dans la voiture, non plus que par une quelconque autre mesure à bord du train ; qu'elle en a déduit à bon droit que l'agression commise par M. Y... présentait pour la SNCF un caractère imprévisible et irrésistible ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Z... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour Mme Z...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé à Madame Jeanine Z... la réparation par la SNCF de la mort subie par Monsieur Eric X..., son fils, au cours d'une agression dans un train ;

Aux motifs que « Attendu que l'exécution du contrat de transport par rail met à la charge de la SNCF une obligation de résultat de conduire le voyageur sain et sauf à destination, obligation dont il ne peut s'exonérer qu'en rapportant la preuve qu'il a été empêché par une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure ; que pour être exonératoire, l'événement invoqué doit remplir la double condition d'irrésistibilité et d'imprévisibilité. Sur le caractère imprévisible : attendu que la présence dans un train d'un individu atteint d'un trouble du comportement le rendant dangereux pour les autres passagers est théoriquement concevable comme elle l'est en tout lieu public ou privé et à tout moment ; que la surveillance d'une crise de démence au cours du trajet est cependant concrètement exceptionnelle ; qu'il y a lieu de rechercher s'il existait, dans les circonstances de lieu et de temps de l'agression dont Monsieur Eric X... a été victime, des éléments permettant de considérer comme prévisible un tel événement ; que la mise en place à l'époque d'un plan de lutte contre les attentats, si elle traduisait l'aggravation générale d'un risque, s'accompagnait de mesures de précaution supplémentaires, dont il n'est pas prétendu qu'elles n'ont pas été appliquées dans toute leur rigueur par le SNCF ; que la circonstance du déroulement de la coupe du monde sur divers sites de France, si elle augmentait la présence dans les trains de fanatiques, ne renforçait le risque des voyageurs déséquilibrés que proportionnellement à la fréquentation ; que le cas présent, la SNCF n'était pas confrontée à une affluence particulière, le train et plus spécialement la voiture dans laquelle s'est déroulé le drame n'étant pas complète ; que Monsieur Paul Y... n'a pas attiré l'attention des autres voyageurs ou du personnel de la SNCF sur lui par son attitude ou son comportement ; qu'il n'a manifesté aucune agitation au cours de la première partie du trajet et aucune contrariété lors de l'arrêt technique du train ; que même lorsqu'il s'est dirigé vers Monsieur Eric X..., les passagers n'ont pas ressenti d'inquiétude, que le couteau qu'il détenait n'était pas apparent et que son agressivité n'a été visible qu'au moment précis où il a porté les coups fatals à sa victime ; qu'il en résulte qu'aucun élément ne permettait aux agents de la SNCF d'envisager que ce passager du train était susceptible d'attenter à la sécurité d'un autre voyageur sous l'emprise subite d'un trouble comportemental ; qu'un tel événement, dont la probabilité générale qu'il survienne est infime et que les circonstances de la cause ne permettaient pas de craindre, peut être qualifié d'imprévisible ; Sur le caractère irrésistible : attendu que présente le caractère d'irrésistibilité, l'événement insurmontable dont on pouvait éviter les effets par des mesures appropriées ; qu'il y a eu lieu, pour l'évaluer, d'apprécier concrètement le comportement de l'auteur de l'agression et les mesures de sécurité mise en place par la SNCF ; que les passagers ont relaté la soudaineté avec laquelle Monsieur Paul Y... s'est approché de Monsieur Eric X... et l'a poignardé sans avoir fait précéder son geste de la moindre parole ou de la manifestation d'une agitation anormale ; qu'il n'existait naturellement aucune animosité entre Monsieur Paul Y... et Monsieur Eric X..., qui ne se connaissaient pas ; qu'il est établi par les déclarations des passagers que l'effet de surprise a été total ; que le caractère irrationnel d'un tel geste au regard du lieu et du moment ainsi que la soudaineté ne leur ont permis aucune réaction et les ont laissés impuissants ; que la victime, ceinture noire de karaté, n'a pas même eu le temps de réaliser qu'il faisait l'objet d'une agression ; que le comportement de Monsieur Paul Y... pendant le début du voyage n'était pas anormal, qu'il n'avait pas attiré l'attention des autres passagers et n'avait pas été de nature de permettre au contrôleur de déceler l'existence d'un risque lors de son premier passage dans la voiture ; que ne pouvant prévoir l'existence d'une menace pour la sécurité des voyageurs, il n'était pas en mesure d'envisager un moyen de nature à prévenir la survenance ou à en conjurer les effets ; attendu qu'il n'a pas été relevé aucun manquement aux règles de sécurité imposées par la SNCF ; que la présence des deux contrôleurs pour cinq voitures est suffisante ; que dans les circonstances de la cause, le contrôle préalable des titres de transport n'apparaît pas comme une précaution habile à combattre le risque de passage à l'acte ou à en éviter les conséquences dommageables ; qu'en l'état de la loi applicable au jour des faits, le contrôle n'était pas susceptible d'aboutir à l'exclusion du train de l'auteur, les agents de la SNCF n'ayant pas ce pouvoir ; que rien ne permet de penser que le relevé de l'identité de Monsieur Paul Y... ni même la présence permanente d'un contrôleur dans la voiture aurait pu avoir un effet dissuasif sur l'auteur, dont il a été reconnu qu'il était dénué de toute raison au moment de l'accomplissement de son geste ; que pas plus que les autres passagers, un contrôleur n'aurait eu le temps ou le moyen de s'opposer physiquement à l'agression eu égard à la promptitude et la violence de celle-ci ; attendu qu'eu égard aux circonstances de la commission du meurtre de Monsieur Eric X... par Monsieur Paul Y..., il apparaît qu'en présence d'un geste imprévisible, toutes les précautions possibles pour éviter un tel évènement étaient vouées à l'échec et que toute intervention était impuissante face à l'événement, qui ne pouvait être conjuré ; qu'un tel événement, statistiquement non évaluable et si rare qu'il ne peut justifier la contrainte du transporteur à le prendre en considération pour mettre en oeuvre des mesures disproportionnées si tant est qu'il en existe d'efficaces, peut être qualifié d'imprévisible et irrésistible ; que la SNCF établit que les caractères de la force majeure sont réunis » (arrêt p. 4 à p. 6) ;


1°) Alors que, d'une part, le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat de les conduire sains et saufs à destination, ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en apportant la preuve d'un cas de force majeure, à savoir de circonstances imprévisibles et irrésistibles ; que les agressions de voyageurs dans un train sont prévisibles ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait décider que l'agression mortelle de Monsieur X... dans le train Grenoble-Lyon par un voyageur, au demeurant démuni de titre de transport, était imprévisible, au motif inopérant du trouble de comportement de l'agresseur, sans violer l'article 1148 du code civil ;

2°) Alors que, d'autre part, l'agression de Monsieur X... étant survenue au moment de la coupe du monde de football de 1998 dans une région où se déroulaient des matches, l'afflux de population et de supporters qui devaient alors emprunter les transports imposait à la SNCF de prendre des mesures exceptionnelles de précaution, notamment en renforçant son personnel de contrôle et de surveillance ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la SNCF n'avait pris aucune mesure particulière pour la protection des voyageurs lors du parcours ferroviaire vers Saint-Etienne où devait se dérouler un match de football et que l'agresseur, anglais, monté dans le train sans titre de transport n'avait pas été contrôlé ; qu'ainsi faute de déduire de ces constatations qu'en l'absence de toute preuve ou allégation de quelconques mesures de prévention, il y avait lieu d'écarter l'existence d'un cas de force majeure faute d'irrésistibilité de l'agression, la cour d'appel a derechef violé l'article 1148 du code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Force majeure


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.