par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 1er juillet 2008, 06-19020
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Cour de cassation, chambre commerciale
1er juillet 2008, 06-19.020

Cette décision est visée dans la définition :
Ordre du jour




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X..., Mme X... et la société Financière de Vrines que sur le pourvoi incident relevé par la société Anett services ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Poitiers, 3 mai 2006) et les productions, que lors de l'assemblée générale de la société anonyme Anett services du 28 septembre 1998, M. Jean- Paul Y... a été mandaté par M. Marcel Y..., pour le représenter à cette assemblée, prendre part à toute discussion et délibération, prendre connaissance de tous documents et émettre tous votes ; qu'au cours de cette assemblée, M. X... a été révoqué de ses fonctions d'administrateur, M. Paul Y... a été nommé administrateur en lieu et place de M. X... et M. Jean- Paul Y... a été nommé président ; que le 18 décembre 1998, la société Anett services, représentée par son président, M. Jean- Paul Y..., a cédé trente parts sociales de la société Anett et compagnie à Mme Catherine Y... et à M. Philippe Y... ; que M. et Mme X... et la société Financière de Vrines (les consorts X...) et, après un changement de dirigeant, la société Anett services, ont assigné les sociétés Anett services et Anett et compagnie, MM. Jean- Paul, Philippe et Paul Y... et Mme Catherine Y... (les consorts Y...) en annulation de l'assemblée générale tenue le 28 septembre 1998, de la délibération ayant révoqué le mandat d'administrateur de M. X... et en nullité des cessions de parts sociales faites par la SA Anett services à Mme et M. Y... ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le premier moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu que les consorts X... et la société Anett services font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale en cours, alors, selon le moyen :

1° / que dans leurs conclusions, les consorts X... demandaient expressément à la cour d'appel à titre principal et en application de l'article 4 du code de procédure pénale, de surseoir à statuer en indiquant que " si le juge pénal retient les délits reprochés aux consorts Y..., les cessions de parts, réalisées au préjudice de la société Anett et compagnie seront des conventions intervenues avec une cause illicite et par fraude ", qu'" en vertu de l'article 1131 du code civil, l'obligation sur cause illicite ne peut avoir aucun effet et doit être annulée et la fraude corrompt tout " et que " les appelants sont donc recevables et bien fondés à demander à la cour... de surseoir à statuer sur l'ensemble de leurs demandes jusqu'à ce qu'il ait été prononcé définitivement sur l'action publique mise en mouvement par leur plainte " ; qu'en énonçant dès lors, pour dire que la procédure pénale était sans influence sur la demande d'annulation des cessions de parts, formée par les consorts X... et, partant, qu'il n'y avait pas lieu à surseoir à statuer, que les moyens qu'ils développent dans la présente instance civile, à l'appui de leur demande d'annulation de ces cessions ne sont relatifs qu'à l'absence de qualité ou de pouvoir de M. Jean- Paul Y... pour procéder à ces cessions, la cour d'appel a dénaturé les conclusions des exposants, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2° / que le sursis à statuer doit être ordonné dès lors que la décision à intervenir sur l'action publique est susceptible d'influer sur celle qui doit être rendue par la juridiction civile ; que, par ailleurs, le caractère illicite ou frauduleux d'un acte juridique est de nature à entraîner la nullité dudit acte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, saisie d'une demande de nullité des cessions de parts litigieuses, a constaté que le jugement à intervenir sur l'action publique mise en mouvement par les consorts A... X... était susceptible d'établir le caractère illicite ou frauduleux des cessions de parts sociales intervenues le 18 novembre 1998 ; qu'en refusant, néanmoins de prononcer le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquence légales de ses propres constatations, en violation de l'article 4 du code de procédure pénale ;

3° / qu'en relevant, pour faire échec à la demande de sursis à statuer présentée par la société Anett services dans l'attente de l'issue du procès pénal pour abus de biens sociaux, que les moyens sur lesquels les consorts X... A...se fondent pour demander l'annulation des cessions sont limités à l'absence de qualité ou de pouvoir de M. Jean- Paul Y... cependant qu'elle était saisie à titre principal de demandes de sursis à statuer fondées sur le caractère illicite et frauduleux de ces cessions qui résulterait de la décision pénale au cas où les délits étaient retenus, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4° / que le juge civil est tenu de surseoir à statuer à toutes les actions exercées devant lui dès lors que la décision pénale à intervenir est susceptible d'exercer une influence sur celle qu'il doit rendre ; que la cour d'appel, saisie d'une demande de nullité des cessions de parts litigieuses, a constaté que le jugement à intervenir sur l'action publique était susceptible d'établir leur caractère illicite ou frauduleux ; qu'en refusant de prononcer le sursis à statuer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure pénale ;

Mais attendu que le ministère public n'a pas formé de pourvoi contre l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Poitiers du 1er février 2007 ayant prononcé la relaxe de Jean- Paul, Catherine et Philippe Y... des chefs d'abus de pouvoirs et de biens sociaux, complicité et recel et que par arrêt du 9 janvier 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les consorts X... et la société Anett services contre le même arrêt qui les avait déboutés de leurs demandes ; que le moyen est devenu sans objet ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le deuxième moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu que les consorts X... et la société Anett services font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande d'annulation des résolutions votées lors de l'assemblée générale de la société Anett services du 28 septembre 1998 et, par voie de conséquence, celle des délibérations prises le même jour par le conseil d'administration, alors, selon le moyen :

1° / que le mandat donné par un actionnaire à un autre actionnaire pour le représenter dans une assemblée générale est un mandat spécial, ce qui impose qu'il ne soit donné que pour une assemblée et au vu de l'ordre du jour de cette assemblée sauf exception expresse ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le mandat confié par M. Marcel Y... à M. Jean- Paul Y..., aux fins de le représenter à l'assemblée générale ordinaire des associés de la société Anett services du 28 septembre 1998, ne contenait aucune indication quant à la question, non portée à l'ordre du jour de l'assemblée, de la révocation d'un administrateur et de son remplacement d'un administrateur ; qu'en déduisant du seul constat, tiré de l'absence d'indication contraire dans les termes du pouvoir confié à M. Jean- Paul Y..., que ce dernier avait mandat de voter, au nom de son grand- père sur toutes demandes en révocation et nomination d'un administrateur, la cour d'appel a violé les articles L. 225-105, L. 225-106 et L. 235-1 du code de commerce, ensemble les articles 1984 et suivants du code civil ;

2° / que dans leurs conclusions devant la cour d'appel, les consorts X... faisaient valoir que la nullité d'un acte réalisé par une société peut toujours être prononcée lorsqu'il y a fraude ou abus de droit ; qu'ils indiquaient, à l'appui de leurs demandes, que la révocation de M. Yves X... était intervenue, par surprise, en suite d'une manoeuvre tenue secrète, alors que toutes les questions inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée, à savoir l'approbation des comptes, le quitus au conseil d'administration et l'affectation des résultats, avaient déjà été votées à l'unanimité et que le procès- verbal d'assemblée, préparé en projet pour les questions inscrites à l'ordre du jour, avait, pour des questions strictement matérielles, déjà été signé par tous les membres de l'assemblée, ce qui avait conduit à la rédaction d'un procès- verbal complémentaire manuscrit ; qu'en se bornant, pour rejeter les demandes des consorts X..., à énoncer que le mandat confié par M. Marcel Y... à son petit- fils autorisait ce dernier à voter la révocation et la nomination d'un administrateur, sans s'expliquer sur le moyen des conclusions des consorts X..., tiré de la fraude et de l'abus de droit commis par M. Jean- Paul Y..., et de nature à justifier la nullité desdites délibérations, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3° / que le mandat spécial de représentation d'un actionnaire, nécessairement donné pour un ordre du jour déterminé, ne peut être étendu à une autre question ; que la cour d'appel a expressément relevé que le pouvoir donné à M. Marcel Y... par M. Jean- Paul Y... de le représenter à l'assemblée générale ordinaire des associés de la société Anett services du 28 septembre 1998 avait été délivré sur la base d'un ordre du jour précis ne comportant pas de demande en révocation et en remplacement d'un administrateur ; qu'en jugeant néanmoins que ce mandat pouvait être étendu à cette question, étrangère à l'ordre du jour, à défaut d'indication contraire dans le mandat, la cour d'appel a violé les articles L. 225-106 du code de commerce et 1984 du code civil ;

4° / que la fraude corrompt tout ; que dans ses écritures délaissées, la société Anett services dénonçait expressément les manoeuvres dolosives de M. Jean- Paul Y... lequel, par surprise, avait obtenu la révocation de M. Yves X... cependant que toutes les questions inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée avaient été définitivement votées à l'unanimité ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 225-105 du code de commerce que si l'assemblée générale ne peut délibérer sur une question qui n'est pas inscrite à l'ordre du jour, elle peut néanmoins, en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs administrateurs ou membre du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ; qu'il se déduit de cette prérogative, dont l'exercice est indépendant de l'ordre du jour, que le mandat donné par un actionnaire pour être représenté à une assemblée générale porte nécessairement, sauf instruction contraire du mandant, sur l'exercice de ce pouvoir de révocation ; que la cour d'appel a fait l'exacte application du texte précité ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que lorsque la révocation du gérant était abusive, le gérant évincé ne pouvait demander sa réintégration, mais seulement l'indemnisation de son préjudice, la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

D'où il suit que le moyen qui ne ne peut être accueilli en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches, réunis :

Attendu que les consorts X... et la société Anett services font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de nullité de la cession de parts, alors, selon le moyen :

1° / que la cassation à intervenir sur le second moyen du pourvoi entraînera, par voie de conséquence, la cassation de ce chef de dispositif de l'arrêt ;

2° / que toute convention intervenant entre une société et l'un de ses administrateurs ou directeurs généraux doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration ; qu'il en est de même des conventions auxquelles un administrateur est indirectement intéressé ou dans lesquelles il traite par personne interposée ; qu'en l'espèce les consorts X... faisaient valoir que la cession consentie par M. Jean- Paul Y... aurait dû être autorisée par le conseil d'administration dans la mesure où M. Jean- Paul Y... était, fût- ce indirectement, intéressé par cette convention, qui assurait à sa famille le contrôle de la SARL Anett et compagnie ; qu'en se bornant, pour débouter les consorts X... de leur demande, à relever, de manière inopérante, que M. Philippe Y... et Mme Catherine Y... n'étaient ni administrateurs ni dirigeants des sociétés concernées sans rechercher, si M. Jean- Paul Y..., président de la société Anett services, n'avait pas un intérêt indirect à la cession de parts sociales de la SARL Anett et compagnie, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, applicable à l'espèce ;

3° / que, si la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, elle s'étend également aux chefs de dispositif indivisibles ou qui sont dans la dépendance nécessaire ; que, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen du pourvoi entraînera par voie de conséquence celle de ce chef de dispositif de l'arrêt ;

4° / que toute convention pour laquelle un administrateur est intéressé, fût- ce indirectement, exige l'autorisation préalable du conseil d'administration ; qu'en se bornant à relever que M. Philippe Y... et Mme Catherine Y... ne sont que des actionnaires des sociétés concernées par la cession et non des administrateurs ou des directeurs généraux sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si M. Jean- Paul Y... n'était pas indirectement intéressé, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu que le rejet du deuxième moyen des pourvois principal et incident rend sans portée la première branche du moyen ;

Et attendu qu'ayant relevé, par motifs adoptés, qu'il n'était pas démontré que la cession de parts sociales au profit de Philippe et Catherine Y... avait été contraire à l'intérêt social de la société Anett services dans la mesure où la participation de cette dernière dans la société Anett et compagnie avait été réduite de 10 à 4 % dès lors que la perte d'économie d'impôt résultant du régime fiscal entre société mère et filiale était négligeable quant à son montant, que les avances en compte courant effectuées antérieurement aux deux cessions de parts ne paraissaient pas pouvoir être remises en cause et que la société Anett services avait bénéficié de fonds de trésorerie qu'elle avait pu réinvestir dans la société Anett 1, la cour d'appel a, par ses seuls motifs, abstraction faite de ceux critiqués par le moyen, justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi incident, pris en sa troisième branche :

Attendu que la société Anett services fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que, dans ses écritures délaissées, la société Anett services soulignait que M. Philippe Y... et Mme Catherine Y... ne pouvaient être considérés comme des tiers par rapport aux sociétés concernées par la cession dès lors qu'ils en étaient des actionnaires ; qu'elle en déduisait exactement la caractérisation de l'intérêt de M. Jean- Paul Y... à cette cession ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel qui a relevé l'absence de conséquences dommageables de la cession litigieuse pour la société Anett services, n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

Condamne M. et Mme X... et les sociétés Financière de Vrines et Anett services aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes, les condamne à payer à Mme Catherine Y... et à MM. Jean- Paul, Philippe et Paul Y... la somme globale de 2 500 euros, condamne M. et Mme X... et la société Financière de Vrines à payer à la société Anett et compagnie la somme globale de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille huit.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.