par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 1, 25 mars 2015, 13-24796
Dictionnaire Juridique
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
25 mars 2015, 13-24.796
Cette décision est visée dans la définition :
Compétence
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 (Bruxelles I) ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par un premier contrat, conclu, le 11 mai 2006, entre les sociétés Platinium Controls Ltd (le fabricant-fournisseur) et Recovco Ltd (l'acquéreur), établies au Royaume-Uni, la première s'est engagée à fournir à la seconde deux fours rotatifs et à les construire à Compiègne sur le site de la société Recovco Affimet, sa filiale à 100 %, établie en France ; que, par un second contrat, conclu, le 10 août 2006, entre l'acquéreur et la société Rocovco Affimet (le sous-acquéreur), le premier les a vendus à la seconde ; qu'à la suite de la revente, par le fabricant-fournisseur, à un tiers, de ces marchandises, qui faisaient l'objet d'une clause de réserve de propriété, M. X..., en sa qualité de liquidateur judiciaire du sous-acquéreur, l'a assigné, le 18 août 2010, devant une juridiction française, en restitution des sommes déjà versées à titre de paiement de celles-ci ; que le fabricant-fournisseur a soulevé une exception d'incompétence en se prévalant de la clause attributive de compétence, figurant au premier contrat, en faveur des juridictions anglaises ;
Attendu que, pour décliner la compétence de la juridiction française, l'arrêt relève que, si les deux premières factures ont été payées par l'acquéreur, toutes les factures ultérieures ont été libellées par le fabricant-fournisseur exclusivement à l'ordre du sous-acquéreur, lequel les a réglées jusqu'à l'interruption de tout paiement; qu'il en déduit que le fabricant-fournisseur a accepté la délégation du sous-acquéreur qui avait été faite par l'acquéreur et que, dès lors, à défaut de volonté expresse contraire des parties, il convient de faire application, dans les relations entre le fabricant-fournisseur et le sous-acquéreur, de la clause attributive de compétence stipulée par le contrat originaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C-543/10) qu'une clause attributive de compétence, convenue dans un contrat conclu entre le fabricant-fournisseur d'un bien et l'acquéreur de celui-ci, ne peut être opposée au tiers sous-acquéreur qui, au terme d'une succession de contrats translatifs de propriété conclus entre des parties établies dans différents Etats membres, a acquis ce bien et veut engager à l'encontre du fabricant-fournisseur une action en remboursement des sommes versées à titre de paiement du prix de la marchandise, sauf s'il est établi que ce tiers a donné son consentement effectif à l'égard de cette clause dans les conditions du texte susvisé, la cour d'appel l'a violé ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Platinium Controls Ltd aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour la société MJA mandataires judiciaires associés, ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté le contredit formé par la selafa MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société RECOVCO AFFIMET LIMITED, et d'avoir confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 novembre 2011 ayant accueilli l'exception d'incompétence invoquée par la société PLATINUM CONTROLS LIMITED ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE par un contrat conclu le 11 mai 2006, entre la société de droit anglais RECOVCO LIMITED (LIMITED) et PLATINUM, cette dernière s'est engagée à construire deux fours rotatifs à Compiègne sur le site d'AFFIMET, filiale à 100 % de LIMITED ; que par un contrat du 10 août 2006, LIMITED a vendu ces fours à sa filiale ; que les deux premières factures, datées de mars 2008 ont été payée par LIMITED et que les factures ultérieures ont été émises par PLATINUM au nom d'AFFIMET et réglées par cette dernière jusqu'à celles de juillet et d'octobre 2008 demeurées impayées ; que LIMITED a été mise en faillite à Londres et qu'AFFIMET a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 14 septembre 2009 ; que les fours, qui n'étaient pas achevés, faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété, ont été cédés par PLATINUM à un tiers ; que le 18 août 2010, le liquidateur judiciaire d'AFFIMET a assigné PLATINUM devant le Tribunal de commerce de Paris en restitution des sommes versées ; que ce tribunal s'est déclaré incompétent par le jugement dont contredit ; que le litige opposant une société de droit français à une société de droit anglais est régi par le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; qu'en premier lieu, si l'article 1er de ce règlement exclut de son champ d'application les "faillites, concordats et autres procédures analogues", cette exclusion ne concerne que les actions qui dérivent directement de la faillite et s'insèrent étroitement dans le cadre de la procédure collective ; que tel n'est pas le cas d'une action exercée par une société en liquidation judiciaire qui tend à la restitution d'acomptes ; qu'en second lieu, l'article 23 du règlement précité reconnaît une compétence exclusive aux juridictions désignées par une clause d'élection de for ; que le contrat conclu le 11 mai 2006 entre PLATINUM et LIMITED et partiellement exécuté par AFFIMET stipule la compétence des juridictions anglaises et l'application de la loi anglaise ; que le contrat conclu le 11 mai 2006 entre PLATINUM et LIMITED et partiellement exécuté par AFFIMET stipule la compétence des juridictions anglaises et l'application de la loi anglaise ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que si les deux premières factures ont été payées par LIMITED, toutes les factures ultérieures ont été libellées par PLATINUM exclusivement à l'ordre d'AFFIMET, laquelle les a réglées jusqu'à l'interruption de tout paiement ; qu'il résulte de ces circonstances que PLATINUM a accepté la délégation d'AFFIMET qui avait été faite par LIMITED ; que, dès lors, à défaut de volonté expresse contraire des parties, il convient de faire application dans les relations de PLATINUM et d'AFFIMET de la clause attributive de juridiction stipulée par le contrat originaire ; que c'est donc à bon droit que le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à se mieux pourvoir (arrêt attaqué pp. 2-3) ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE sur l'application du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2001 : l'article 1er de ce règlement prévoit que les personnes domiciliées dans un Etat contractant sont attraites devant les juridictions de cet Etat ; que l'article 5 dispose qu'en matière contractuelle elles peuvent l'être devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que les parties peuvent également convenir d'une clause de juridiction ; que si les tribunaux britanniques sont à l'évidence compétents, la compétence concurrente des tribunaux français ne peut s'apprécier qu'après avoir déterminé si PLATINUM et AFFIMET ont des relations contractuelles et lesquelles ; qu'en conséquence, le problème de compétence ne peut se résoudre qu'après avoir déterminé la nature de la relation contractuelle ; que les deux parties s'entendent sur le fait qu'il existe un contrat entre elles ; que pour PLATINUM, AFFIMET a repris le contrat de fabrication conclu avec LIMITED et serait donc liée par la clause donnant juridiction aux tribunaux anglais ; que pour AFFIMET, il s'agit d'un contrat tacite aux termes duquel PLATINUM remplit les obligations qu'il avait vis-à-vis de LIMITED en fabriquant et en livrant les fours, AFFIMET remplissant les obligations de LIMITED en réglant les factures qui lui sont adressées ; que pour AFFIMET, ce contrat tacite ne saurait contenir une clause de juridiction qui doit être explicite ; qu'en droit français, s'il était applicable, le paiement par AFFIMET et PLATINUM des sommes dues par LIMITED au titre du contrat de fabrication a la forme d'une délégation de paiement, imparfaite car LIMITED n'a pas expressément déchargé AFFIMET de ses obligations à son égard ; que cette délégation imparfaite n'entraîne pas novation et les deux contrats de fabrication et de fourniture subsistent ; qu'il n'existerait ainsi aucun contrat entre PLATINUM et AFFIMET, ni le contrat tacite invoqué par AFFIMET, ni celui de fabrication invoqué par PLATINUM ; que le tribunal considère cependant que la facturation directe d'AFFIMET par PLATINUM et l'absence de toute facturation de LIMITED exclut l'hypothèse d'une simple délégation de paiement qui supposerait que les factures émises correspondent à une dette de LIMITED ce que ne revendique pas PLATINUM ; que la fourniture d'un ensemble complexe comme les fours objets des contrats ne peut se concevoir sans que soient prévues le prix, les conditions de règlement, les délais de livraison et les garanties données ; qu'accepter l'hypothèse d'un contrat tacite entre PLATINUM et AFFINMET revient à laisser indéterminés les éléments précédents ce qui mettrait AFFIMET dans une piètre position pour revendiquer un droit quelconque vis-à-vis de PLATINUM, en particulier pour demander dans le présente instance le remboursement des sommes payées ; que pendant plusieurs mois, il a existé des relations commerciales directes entre PLATINUM et AFFIMET court-circuitant complètement LIMITED ; que PLATINUM a poursuivi ses fabrications et AFFIMET a réglé les factures qui lui étaient adressées, factures établies en conformité avec le contrat de fabrication ; que ceci constitue une novation du contrat de fabrication par substitution de parties ; qu'AFFIMET étant une filiale entièrement contrôlée par LIMITED, elle n'était d'ailleurs pas réellement en mesure de s'opposer au transfert à sa charge des obligations de LIMITED ; que son intérêt évident était d'obtenir que PLATINUM exécute ses obligations en lui livrant les fours qu'elle avait commandés à LIMITED par le contrat de fourniture ; que les difficultés financières de LIMITED qui ont abouti à sa faillite en 2008 risquaient de compromettre cette livraison ; qu'AFFIMET bénéficiait en outre des clauses du contrat de fabrication objectivement plus avantageuses tant au point de vue du prix que des conditions de paiement que celles prévues par le contrat de fourniture, la quasi-totalité des autres clauses étant identiques dans leur contenu et leur formulation ; qu'en conséquence de ce qui précède, le tribunal considère que PLATINUM et AFFIMET sont liées par le contrat de fabrication du 11 mai 2008, AFFIMET étant substituée à LIMITED dans ses droits et obligations ; que parmi les droits et obligations de LIMITED figurant au contrat de fabrication, la clause 19 donne compétence aux juridictions britanniques ; que le tribunal se dira donc incompétent et invitera AFFIMET à se mieux pourvoir ; que le tribunal remarque, accessoirement, que suivant l'avis de Me BARLETTE, sollicitor qualifié en droit anglais et gallois, présenté par PLATINUM et non critiqué par AFFIMET, compte tenu des circonstances de la cause, la facturation et le règlement direct doivent d'interpréter, en droit britannique, comme le transfert du contrat de fabrication de LIMITED à AFFIMET (jugement pp. 4-5-6) ;
ALORS, d'une part, QUE selon l'article 23 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une clause attributive de juridiction convenue dans le contrat conclu entre le fabricant d'un bien et l'acquéreur de celui-ci ne peut pas être opposée au tiers sous-acquéreur, sauf s'il est établi que ce tiers a donné son consentement effectif à l'égard de ladite clause dans les conditions énoncées à cet article ; qu'il est acquis en l'espèce que la vente de fours à livrer sur le site de Compiègne a fait l'objet de deux contrats successifs, l'un conclu entre la société PLATINUM CONTROLS et la société RECOVCO LIMITED (contrat "de fabrication") et l'autre conclu entre la société RECOVCO LIMITED et la société RECOVCO AFFIMET (contrat "de fourniture") ; qu'en estimant qu'à "défaut de volonté expresse contraire des parties", la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat conclu entre la société PLATINUM CONTROLS et la société RECOVCO LIMITED était opposable à la société RECOVCO AFFIMET, tiers à cette convention, cependant que, pour être opposable à la société RECOVCO AFFIMET, cette clause aurait dû faire l'objet d'un consentement effectif de cette dernière, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
ALORS, d'autre part, QUE la novation par changement de débiteur suppose un accord certain et clair de volonté entre le nouveau débiteur et le créancier ; qu'en se fondant sur l'existence d'une novation par changement de débiteur au terme de laquelle la société RECOVCO AFFIMET serait venue aux droits de la société RECOVCO LIMITED dans ses rapports avec la société PLATINUM CONTROLS, de sorte que la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat conclu entre la société PLATINUM CONTROLS et la société RECOVCO LIMITED serait opposable à la société RECOVCO AFFIMET, sans caractériser l'existence d'une volonté claire et certaine des parties de procéder à une telle novation, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1271 et 1273 du Code civil ;
ALORS, de troisième part, et subsidiairement, QUE la novation crée un nouveau rapport d'obligation et entraîne l'extinction de l'obligation ancienne ; qu'en retenant l'existence d'une novation par changement de débiteur, tout en s'abstenant de rechercher si la clause attributive de juridiction insérée dans le rapport d'obligation initial avait survécu à la création du nouveau rapport d'obligation, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1271 et 1273 du Code civil ;
ALORS, de quatrième part, et en toute hypothèse, QU'en faisant concurremment application, par motifs propres, du droit français et, par motifs adoptés du jugement, du droit anglais sans déterminer clairement le droit national applicable aux contrats litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 23 du règlement n° 44-2001 du 22 décembre 2000 et 3 du Code civil ;
ALORS, enfin, QUE le juge français, lorsqu'il doit faire application d'une loi étrangère, a le devoir d'en rechercher la teneur exacte ; qu'en déclarant, par motifs adoptés, faire application de la loi britannique en se bornant à se fonder sur le seul "avis" d'un avocat pratiquant en Angleterre et proposant une "interprétation" des mécanismes juridiques en cause, la cour d'appel a, quant à la teneur de la loi étrangère, entaché sa décision d'un défaut de motifs, violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile.
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Compétence
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.