par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 25 septembre 2013, 12-12110
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Cour de cassation, chambre sociale
25 septembre 2013, 12-12.110

Cette décision est visée dans la définition :
Fonds d'indemnisation des victimes de l'Amiante




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 18 novembre 2011), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241 à 09-42.257), que M. X... et seize autres salariés de la société Ahlstrom Label Pack ont cessé leur activité professionnelle et présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) en application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'ils ont ultérieurement saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de leur ancien employeur à leur verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de leur exposition à l'amiante ;

Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes d'indemnisation du bouleversement de leurs conditions d'existence, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge ne peut modifier les termes du litige ; que les salariés faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel que non seulement ils doivent appréhender une situation de désocialisation à la suite d'un départ à la retraite anticipé qu'ils n'ont pas souhaité et dont ils souffrent mais aussi que la perte de l'espérance de vie aboutit pour les salariés à leur imposer un nouveau projet de vie en renonçant à investir affectivement et matériellement sur le long terme ; qu'en se bornant à retenir que, s'agissant de la demande au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, sous cette dénomination, les intimés invoquent une diminution substantielle et immédiate de leurs revenus faussement compensée par une inactivité non souhaitée par eux, source pour eux de désocialisation, la cour d'appel a modifié les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'elle a ce faisant, à tout le moins dénaturé les conclusions des demandeurs et violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; que l'exposition à l'amiante, même en l'absence de survenance d'une maladie, correspond au fait générateur de la responsabilité et justifie nécessairement la réparation d'un préjudice spécifique de contamination lié au bouleversement dans les conditions d'existence et distinct du dispositif légal ; qu'en affirmant qu'une relation causale certaine entre le préjudice subsidiairement allégué et les manquements imputés à l'employeur ne peut être retenue, la diminution des moyens financiers et la modification de la position sociale des salariés ne résultant que de la mise en oeuvre du dispositif légal, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4221-1 du code du travail et l'article 1147 du code civil ;

4°/ que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que la cour d'appel s'est bornée à relever, s'agissant de la demande de réparation du préjudice au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, qu'une relation causale entre le préjudice allégué et les manquements imputés à l'employeur ne peut être retenue dès lors que le préjudice allégué trouve sa source dans l'option prise par le salarié de solliciter le bénéfice du dispositif ACAATA ; qu'en omettant de rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice subi des salariés en raison du bouleversement dans leurs conditions d'existence n'était pas directement lié à la contamination et par conséquent de rechercher si le préjudice préexistait au choix pour les salariés d'opter ou pas pour l'entrée dans le dispositif ACAATA, la cour d'appel a privé sa décision légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4221-1 du code du travail et l'article 1147 du code civil ;

5°/ qu'à tout le moins, elle a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, en ne répondant pas aux conclusions d'appel des salariés ;

Mais attendu que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que la cour d'appel en a déduit à bon droit que le trouble lié au bouleversement dans les conditions d'existence et au changement de situation sociale, par suite de la cessation d'activité intervenue en application de la loi du 23 décembre 1998, n'ouvrait pas droit à une indemnisation distincte de celle accordée en réparation du préjudice d'anxiété ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X... et les seize autres demandeurs

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les salariés de leurs demandes d'indemnités en réparation du bouleversement dans les conditions d'existence.

AUX MOTIFS QUE la loi n° 98-1194 de financement de la sécurité sociale pour 1999 du 23 décembre 1998 a institué en son article 41 en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante (sans être atteints d'une maladie professionnelle consécutive à cette exposition) un mécanisme de départ anticipé à la retraite ainsi conçu : - sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle et à la condition de travailler ou d'avoir travaillé dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, les salariés ou anciens salariés d'un tel établissement, peuvent, à partir de l'âge de 50 ans, bénéficier d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), - le montant de l'allocation est égal à 65% du salaire dans la limite du plafond de la sécurité sociale et de 50% de celuici pour la limite comprise entre une et deux fois de ce même plafond, sans pouvoir être inférieur au montant journalier de l'allocation d'assurance-chômage, ni excéder 85% du salaire de référence. Elle cesse d'être versée quand le bénéficiaire remplit les conditions pour bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein. - le salarié qui est admis au bénéfice de l'ACAATA présente sa démission à son employeur. Le contrat de travail cesse de s'exécuter dans les conditions prévues par l'article L. 122-6 du code du travail. Cette rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié ouvre droit, au bénéfice du salarié, au versement par l'employeur d'une indemnité de cessation d'activité d'un montant égal à celui de l'indemnité de départ en retraite. La demande d'admission au bénéfice de l'ACAATA ne prive pas le salarié de son droit à être indemnisé au titre de la législation sur les maladies professionnelles si une pathologie se révèle, pas plus que d'invoquer, dans ce cas, les conséquences d'une faute inexcusable à l'origine de cette pathologie. Par arrêté du 19 mars 2001, l'usine de ROTTERSAC qui est aujourd'hui exploitée par la société AHLSTROM LABEL PACK a été inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice des dispositions précitées de la loi de 1998 et dès lors, au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée pour les salariés ayant travaillé, dans cet établissement, de 1956 à 1997. En cet état, les salariés intimés ont, en application de l'article susvisé, donné leur démission et ont été admis au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité. Ils sollicitent, désormais, une indemnisation complémentaire fondée sur le droit commun de la responsabilité de l'employeur sollicitant : -à titre principal, la réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de leur perte de revenu consécutive à l'exécution fautive par l'employeur du contrat de travail à l'origine de la rupture et correspondant au différentiel entre le salaire qu'ils auraient perçu s'ils n'avaient pas été contraints de partir en pré retraite amiante et l'allocation qui leur est servie par la CRAM, -à titre subsidiaire, la réparation du préjudice qu'ils considèrent avoir subi en raison du bouleversement dans leurs conditions d'existence correspondant à des choix qu'ils ont dû opérer, dont aucun n'était souhaité par eux et dont la cause indiscutable est, selon eux, le grave manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, l'admission au bénéfice de l'ACCATA se traduisant par une diminution substantielle et immédiate de leurs revenus faussement compensée par une inactivité non souhaitée par eux et qui est, en réalité, source de désocialisation précoce, le nouveau projet de vie qui s'impose à eux correspondant à une durée de vie réduite et à des moyens matériels restreints. Il appartient à celui qui invoque la responsabilité d'autrui et demande réparation de prouver l'existence d'une faute commise par celui dont la responsabilité est recherchée, l'existence d'un préjudice chiffrable ainsi que le lien de causalité directe qui existe entre le fait générateur invoqué et le dommage allégué. S'agissant du fait générateur, il ne peut être que rappelé que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés notamment pour tous les produits fabriqués ou utilisés par lui, cette obligation pesant sur lui, même en l'absence d'atteinte à l'intégrité corporelle ou de survenance d'une maladie, le seul fait pour l'employeur de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité des travailleurs suffisant à caractériser le manquement à l'obligation de sécurité de résultat. En outre, il est admis par la communauté scientifique qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières d'amiante peut se révéler au bout de plusieurs années, peu important dès lors que les salariés dont il s'agit, n'aient pas, à ce jour, développé une maladie liée à l'amiante. Il est constant que les poussières d'amiante ont été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès 1945 et 1950, par l'inscription de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles et que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle apportent la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1976 des dangers de l'amiante. Or, l'usine de ROTTERSAC a utilisé jusqu'en 1996 de manière constante et importante l'amiante notamment pour l'isolation des sources de chaleur, en particulier, la chaudière isolée à l'aide de tresses et de joints en amiante et pour la conception des rouleaux des calendres utilisés lors de la finition du papier et ce, alors que les salariés ne bénéficiaient pas de moyens de protection individuelle ( masques) ou collective ( système de captation des poussières efficace) et que l'opération de calendrage était réalisée au coeur même de l'usine. Enfin, il ne peut être que relevé qu'au cours de l'été 1990, l'employeur bien qu'ayant été expressément avisé, en juillet, par son fournisseur allemand des papiers de calendre contenant de l'amiante, de la nouvelle réglementation interdisant, à compter du 30 septembre 1990, une telle fourniture, a sciemment obtenu, de celui ci, l'importation, au mois d'août, de 24 tonnes de papier amiante pour le regarnissage des rouleaux de calendre, exposant, ainsi, délibérément ses salariés, encore plus longtemps, au risque de l'amiante. Tous les salariés qui sont partie à la présente procédure ont travaillé à l'usine de ROTTERSAC, établissement mentionné à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. Le fait générateur invoqué par les salariés n'est, donc, pas contestable. Il convient, dès lors, de rechercher s'il existe une relation causale entre ce fait générateur de responsabilité et le préjudice allégué par les salariés : à titre principal perte de revenus et subsidiairement, bouleversement des conditions d'existence. - s'agissant de la demande au titre de la perte de revenus. La mise en oeuvre du dispositif spécifique créée par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaitre des salariés en raison de leur exposition à l'amiante est subordonnée à la réalisation de certaines conditions dont la cessation pour le salarié de toute activité professionnelle, ce dernier devant présenter sa démission à l'employeur. Le salarié, en présence de l'aléa qui résulte du risque pour lui de développer ou non une pathologie professionnelle liée à l'amiante pouvant entraîner une réduction de son espérance de vie, a le choix entre les deux branches de l'option qui lui est, ainsi, ouverte par la loi à savoir, soit poursuivre sa carrière jusqu'à son terme et percevoir l'intégralité de sa rémunération, soit opter pour un départ anticipé avec une diminution de ses revenus mais en bénéficiant immédiatement d'une pré retraite, le choix d'une option excluant nécessairement l'autre. Dès lors, le préjudice allégué trouve indéniablement sa source dans l'option prise par le salarié de solliciter le bénéfice des dispositions légales lui permettant de percevoir l'ACAATA tout en étant dispensé de fournir une prestation de travail. En outre, la démission qui est une condition sine qua non déterminée par la loi pour permettre aux salariés en activité de pouvoir prétendre au bénéfice du dispositif prévu à l'article 41 susvisé et qui suppose, en tant que telle, une rupture du contrat de travail à l'initiative des salariés n'est pas remise en cause par les intimés. Par conséquent, elle ne peut être imputée à l'employeur qui ne peut être rendu responsable d'une perte de revenus liée, dans de telles conditions, à la rupture anticipée du contrat de travail. Il s'ensuit que les salariés intimés qui ont fait le choix délibéré de demander le bénéfice de l'allocation de cessation d'activité ne sont pas fondés à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal et alors même que la relation causale entre le préjudice allégué et les manquements imputés à l'employeur n'est en rien établie. - s'agissant de la demande au titre du bouleversement dans les conditions d'existence : Sous cette dénomination, les intimés invoquent une diminution substantielle et immédiate de leurs revenus faussement compensée par une inactivité non souhaitée par eux, source pour eux de désocialisation précoce. Cependant, tout comme pour la perte de revenus précédemment évoquée, il ne peut être que relevé que la cessation d'activité dont ils font, ainsi, état est imposée par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sous la forme d'une démission et ce, afin de leur permettre précisément de bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité et du dispositif légal dans le cadre d'une pré retraite auquel les salariés ont fait le libre choix d'adhérer. Dès lors et pour les mêmes motifs que précédemment, une relation causale certaine entre le préjudice subsidiairement allégué et les manquements imputés à l'employeur ne peut être retenue, la diminution des moyens financiers et la modification de la position sociale des salariés ne résultant que de la mise en oeuvre du dispositif légal. Par conséquent, les salariés intimés doivent, également, être déboutés de ce chef de demande

ALORS QUE le juge ne peut modifier les termes du litige ; que les salariés faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel (p.43) que non seulement ils doivent appréhender une situation de désocialisation à la suite d'un départ à la retraite anticipé qu'ils n'ont pas souhaité et dont ils souffrent mais aussi que la perte de l'espérance de vie aboutit pour les salariés à leur imposer un nouveau projet de vie en renonçant à investir affectivement et matériellement sur le long terme ; qu'en se bornant à retenir que, s'agissant de la demande au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, sous cette dénomination, les intimés invoquent une diminution substantielle et immédiate de leurs revenus faussement compensée par une inactivité non souhaitée par eux, source pour eux de désocialisation, la Cour d'appel a modifié les termes du litige en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;

QU'elle a ce faisant, à tout le moins dénaturé les conclusions des demandeurs et violé l'article 1134 du Code civil

ET ALORS QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; que l'exposition à l'amiante, même en l'absence de survenance d'une maladie, correspond au fait générateur de la responsabilité et justifie nécessairement la réparation d'un préjudice spécifique de contamination lié au bouleversement dans les conditions d'existence et distinct du dispositif légal ; qu'en affirmant qu'une relation causale certaine entre le préjudice subsidiairement allégué et les manquements imputés à l'employeur ne peut être retenue, la diminution des moyens financiers et la modification de la position sociale des salariés ne résultant que de la mise en oeuvre du dispositif légal (arrêt attaqué p.13), la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 4121-1 et L.4221-1 du Code du travail et l'article 1147 du Code civil.

ET ALORS QUE l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que la Cour d'appel s'est bornée à relever, s'agissant de la demande de réparation du préjudice au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, qu'une relation causale entre le préjudice allégué et les manquements imputés à l'employeur ne peut être retenue dès lors que le préjudice allégué trouve sa source dans l'option prise par le salarié de solliciter le bénéfice du dispositif ACAATA ; qu'en omettant de rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice subi des salariés en raison du bouleversement dans leurs conditions d'existence n'était pas directement lié à la contamination et par conséquent de rechercher si le préjudice préexistait au choix pour les salarié d'opter ou pas pour l'entrée dans le dispositif ACAATA, la Cour d'appel a privé sa décision légale au regard des articles L. 4121-1 et L.4221-1 du Code du travail et l'article 1147 du Code civil.


Qu'à tout le moins, elle a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, en ne répondant pas aux conclusions d'appel des salariés (p.38-43)



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Cette décision est visée dans la définition :
Fonds d'indemnisation des victimes de l'Amiante


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.