par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, 16-19740
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
18 octobre 2017, 16-19.740

Cette décision est visée dans la définition :
Vie privée




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 1er avril et 27 mai 2016), que, soutenant que la notice relative à leur nom de famille figurant dans l'ouvrage intitulé " Le simili-nobiliaire français " faisait état du caractère adoptif de la filiation de M. Jean X... et invoquant l'atteinte ainsi portée à leur vie privée, celui-ci et son fils, M. Christophe X..., ont assigné M. Y..., l'auteur de cet ouvrage, et la société Sedopols, qui l'a édité, aux fins d'obtenir la suppression de toute mention de leur nom dans les éditions ultérieures, ainsi que la réparation de leur préjudice ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. Y... et la société Sedopols font grief à l'arrêt du 1er avril 2016 de dire qu'ils ont porté atteinte à la vie privée de M. Jean X... et de les condamner à payer à ce dernier des dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que l'état civil d'une personne ne fait plus partie de la sphère de la vie privée protégée par l'article 9 du code civil lorsqu'il devient accessible au public ; qu'en l'espèce, pour estimer que la divulgation, dans un ouvrage destiné au public, de la filiation adoptive de M. Jean X... portait atteinte à la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a considéré que la filiation adoptive de celui-ci appartient à son histoire personnelle et à l'intimité de sa famille ; qu'en statuant ainsi, tout en admettant que, conformément à l'article 17 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, M. Y... avait pu consulter et obtenir une copie intégrale de l'acte de naissance de M. Jean X..., ce dont il résulte que ces éléments ne relevaient plus, à ce stade, de la sphère de la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 9 du code civil, ensemble l'article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juillet 2008 ;

Mais attendu que, s'il résulte de l'article L. 213-2, I, 4°, e), du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, que les registres de naissance de l'état civil constituent, à l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans à compter de leur clôture, des archives publiques communicables de plein droit à toute personne qui en fait la demande, certaines des informations qu'ils contiennent et, notamment, celles portant sur les modalités d'établissement de la filiation, relèvent de la sphère de la vie privée et bénéficient, comme telles, de la protection édictée par les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que, quand bien même l'acte de naissance de M. Jean X..., portant mention de son adoption, avait pu être consulté par M. Y... en application de l'article 17 de la loi, précitée, du 15 juillet 2008, cet acte ayant été dressé depuis plus de soixante-quinze ans, la divulgation, dans un ouvrage destiné au public, de la filiation adoptive de l'intéressé, sans son consentement, portait atteinte à sa vie privée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième branches du même moyen, ci-après annexé :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. Y... et la société Sedopols font grief à l'arrêt du 27 mai 2016 de rejeter leur requête en rectification de l'erreur matérielle affectant les mentions du dispositif les ayant condamnés à payer à M. Jean X... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le juge qui estime que la décision qui lui est déférée est affectée d'une erreur matérielle résultant de la discordance existant entre les motifs et le dispositif de ladite décision doit la rectifier selon ce que la raison commande, ce qui implique de rechercher dans les termes sans équivoque des motifs l'expression de la volonté des juges puisque, dans le cheminement du raisonnement, c'est l'exposé des motifs qui précède la décision ; qu'en l'espèce, il est constant que les motifs de l'arrêt du 1er avril 2016 ont expressément énoncé « il y a lieu d'accorder à M. Jean X... la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts », tandis que le dispositif du même arrêt a condamné M. Y... et la société Sedopols, de ce chef, à régler une somme de 5 000 euros ; qu'en estimant, dès lors, pour rejeter la requête en rectification, que la cour d'appel avait « entendu fixer le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 000 € ainsi qu'il ressort du dispositif », quand cette somme apparaît incompatible avec l'expression de la volonté des juges, telle qu'elle résulte des termes sans équivoque des motifs de l'arrêt, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la contrariété entre les motifs et le dispositif observée dans l'arrêt du 1er avril 2016 sur le montant des dommages-intérêts mis à la charge de M. Y... et de la société Sedopols résultait manifestement d'une erreur matérielle, la cour d'appel a pu s'en tenir à ce que le dossier révélait pour en déduire que cet arrêt avait entendu fixer le montant des dommages-intérêts à la somme de 5 000 euros ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... et la société Sedopols aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. Y... et la Société d'édition et de documentation politiques et sociales (Sedopols)

Premier moyen de cassation

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, en date du 1er avril 2016, d'AVOIR dit que M. Pierre-Marie Y... et la société Editions Sedopols ont porté atteinte à la vie privée de M. Jean X..., et de les AVOIR condamnés, sur ces bases, à payer à ce dernier des dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS QUE les consorts X... fondent leur action sur les articles 9 du code civil et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ; ils soutiennent que certaines informations contenues dans la notice figurant page 176 de l'ouvrage intitulé « le simili nobiliaire français » écrit par M. Pierre-Marie Y... aux éditions Sedopols portent atteinte à leur vie privée ; ils font aussi valoir que l'inscription de leur famille dans cet ouvrage entraîne implicitement un dénigrement en laissant supposer qu'ils tentent de s'arroger un statut qui ne serait pas le leur, notamment du fait de l'adoption et non pas d'une filiation par le sang ; la précision dans la notice litigieuse de la filiation de M. Jean X... à l'égard de Marthe X... née le 8 avril 1902 à Caudeval, décédée le 4 février 1986 à Perpignan, épouse en 1948 du général Pierre Z..., après avoir indiqué que « les actuels X... forment un rameau adoptif de la famille » et que « ce rameau est issu de Jean Antonin A... ... » permet au lecteur d'apprendre que M. Jean X... dispose d'une filiation adoptive à l'égard de Marthe X... et que cette filiation lui a permis de porter le nom de X... ; quand bien même l'acte de naissance de M. Jean X... portant mention de son adoption a pu être consulté par l'auteur de l'ouvrage, M. Y..., en toute légalité en application de l'article 17 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, cet acte ayant été dressé depuis plus de 75 ans, la divulgation dans un ouvrage destiné au public de cette filiation adoptive porte atteinte à la vie privée de M. Jean X..., cette filiation appartenant à son histoire personnelle et à l'intimité de sa famille ; la circonstance qu'il y ait eu ou non accord de M. Christophe X... pour que cette filiation adoptive apparaisse dans le livre intitulé « Etat de la noblesse subsistante » écrit par MM. B... et C... n'a pas d'incidence sur l'existence même de l'atteinte à la vie privée commise par M. Y... dans son ouvrage, une telle atteinte pouvant être retenue alors même qu'antérieurement, la publication de la même information a pu être autorisée ; au demeurant, il est allégué d'une autorisation donnée par Christophe X..., lequel ne pouvait disposer d'un droit personnel de son père ; il appartient aux consorts X... de rapporter la preuve des préjudices par eux subis du fait de cette publication ; M. Christophe X... dont le nom ne figure pas dans la publication litigieuse n'allègue aucun dommage qui lui serait personnel et qui serait en lien avec l'atteinte à la vie privée commise par M. Y... et la société Editions Sedopols ; M. Jean X... se plaint principalement de l'existence même de la notice portant sur son nom patronymique publiée dans un ouvrage dont le titre est dédaigneux, l'adjectif « simili » désignant toute matière qui serait l'imitation d'une autre, qui prétend bien dévoiler les imitateurs de la noblesse française et qui fait apparaître son nom au côté de celui de certaines familles considérées par l'auteur comme des escrocs ou des mythomanes ; force est de constater que le préjudice invoqué est sans lien direct avec l'atteinte à la vie privée laquelle n'est caractérisée que par l'indication de sa filiation adoptive à l'égard de Marthe X... ; de plus, il n'est pas établi que la notice à laquelle on aurait ôté toute référence à une filiation adoptive n'aurait pas pu de ce fait être publiée dans l'ouvrage ; notamment, l'affirmation selon laquelle « la famille de ce nom (...) est éteinte dans les mâles » pourrait figurer dans la notice, s'agissant d'une opinion formulée par l'auteur s'appuyant sur les règles gouvernant les titres nobiliaires et qui n'est pas sérieusement contredite par les consorts X... ; dans ces conditions, après avoir rappelé que l'atteinte à la vie privée constitue en soi un préjudice et compte tenu des circonstances de la cause, notamment le très faible tirage de l'ouvrage « le simili nobiliaire français », il y a lieu d'accorder à M. Jean X... la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts ; la demande de suppression de toute mention au nom et à la famille X... dans la prochaine édition sera rejetée, s'agissant d'un préjudice éventuel, étant observé que M. Y... et son éditeur ont pris connaissance par le présent arrêt de l'atteinte à la vie privée qu'ils ont commise et savent dès lors qu'ils s'exposent à de nouvelles poursuites si la notice est reproduite à l'identique dans une nouvelle édition de l'ouvrage (arrêt, pages 5 et 6) ;

1°/ Alors que l'état civil d'une personne ne fait plus partie de la sphère de la vie privée protégée par l'article 9 du code civil, lorsqu'il devient accessible au public ;

Qu'en l'espèce, pour estimer que la divulgation, dans un ouvrage destiné au public, de la filiation adoptive de M. Jean X... portait atteinte à la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a considéré que la filiation adoptive de celui-ci appartient à son histoire personnelle et à l'intimité de sa famille ;

Qu'en statuant ainsi, tout en admettant que, conformément à l'article 17 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, l'exposant avait pu consulter et obtenir une copie intégrale de l'acte de naissance de M. Jean X..., ce dont il résulte que ces éléments ne relevaient plus, à ce stade, de la sphère de la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 9 du code civil, ensemble l'article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juillet 2008 ;

2°/ Alors, subsidiairement, que le caractère anodin d'une information rattachable objectivement à un élément de la vie privée est de nature à exclure l'existence d'une atteinte au respect dû à la vie privée et, partant, à exclure toute indemnisation de ce chef ;

Qu'en l'espèce, il est constant que l'ouvrage litigieux a pour finalité essentielle d'établir la généalogie de familles relevant de la noblesse française, ce qui implique de faire état des filiations des personnes concernées ; de même, il est acquis au débat que ce n'est pas tant la mention de l'existence même de sa propre filiation qui est querellée par M. X..., mais uniquement le fait qu'il soit fait mention dans l'ouvrage litigieux du fait que celle-ci résulte d'une adoption, tandis que la notice incriminée, relative à la famille X..., n'évoque ce fait que de manière anodine et que les informations essentielles de cette notice sont relatives à la généalogie de cette famille, au titre de ses membres et aux origines de cette famille ;

Que, dès lors, en se bornant à énoncer que la filiation adoptive de M. Jean X... appartient à son histoire personnelle et à l'intimité de sa famille, pour en déduire que le fait d'avoir, dans un ouvrage destiné au public, divulgué cette filiation adoptive porte atteinte à la vie privée de l'intéressé, sans rechercher si le caractère adoptif de cette filiation n'était pas mentionné de manière anodine au regard de l'ensemble des indications de la notice litigieuse, la cour d'appel privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil ;

3°/ Alors que le respect dû à la vie privée devant se concilier avec la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient au juge, invité à vérifier si une publication porte atteinte au respect dû à la vie privée, d'examiner celle-ci dans son ensemble et notamment d'apprécier, dans ce contexte, la portée des informations qui seraient susceptibles d'être relatives à la vie privée d'une personne ;

Que, dès lors, en se bornant, en l'espèce, à énoncer que la filiation adoptive de M. Jean X... appartient à son histoire personnelle et à l'intimité de sa famille, pour en déduire que le fait d'avoir, dans un ouvrage destiné au public, divulgué cette filiation adoptive porte atteinte à la vie privée de l'intéressé, et partant en se bornant à considérer que les informations relatives à la filiation de l'appelant relevaient-isolément-de la sphère de la vie privé de l'intéressé, sans examiner la notice litigieuse dans son ensemble ni, au regard de l'objet principal de celle-ci, prendre en compte l'intérêt que pouvait revêtir, pour le public, l'information principale de la notice et de l'ouvrage, relative aux origines des familles de la noblesse française, par delà la mention, s'agissant de l'appelant, d'une filiation adoptive, la cour d'appel privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil et méconnu les exigences de l'article 10 de la convention susvisée.

Second moyen de cassation

Il est fait grief à l'arrêt rectificatif attaqué en date du 27 mai 2016 d'AVOIR rejeté la requête des exposants en rectification de l'erreur matérielle affectant les mentions du dispositif ayant condamné les intimés à payer à M. Jean X... la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs ou omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ; que toutefois, le juge ne peut, sous couvert d'une rectification, modifier les droits et obligations des parties tels qu'il résultent de la décision et se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de la cause ; qu'au vu des éléments du dossier, la contrariété observée dans l'arrêt sur le montant des dommages-intérêts mis à la charge de M. Pierre-Marie Y... et de la société Editions Sedopols résulte manifestement d'une erreur matérielle, la cour ayant entendu fixer le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 000 €, ainsi qu'il ressort du dispositif (arrêt, page 3) ;

Alors que le juge qui estime que la décision qui lui est déférée est affectée d'une erreur matérielle résultant de la discordance existant entre les motifs et le dispositif de ladite décision doit la rectifier selon ce que la raison commande, ce qui implique de rechercher dans les termes sans équivoque des motifs l'expression de la volonté des juges puisque, dans le cheminement du raisonnement, c'est l'exposé des motifs qui précède la décision ;

Qu'en l'espèce, il est constant que les motifs de l'arrêt du 1er avril 2016 ont expressément énoncé « il y a lieu d'accorder à M. Jean X... la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts », tandis que le dispositif du même arrêt a condamné les exposants, de ce chef, à régler une somme de 5 000 € ;


Qu'en estimant dès lors, pour rejeter la requête en rectification, que la cour avait « entendu fixer le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 000 € ainsi qu'il ressort du dispositif », quand cette somme apparaît incompatible avec l'expression de la volonté des juges, telle qu'elle résulte des termes sans équivoque des motifs de l'arrêt, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Vie privée


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.