par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, 15-25526
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
25 janvier 2017, 15-25.526

Cette décision est visée dans la définition :
Compétence




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 28 juillet 2015), qu'après la réalisation d'une étude d'impact et d'une enquête publique, puis l'obtention d'un permis de construire, la société La Compagnie du vent a fait édifier, sur des terrains qui lui ont été donnés en location, respectivement, par M. X... et MM. Y... et Z..., deux parcs éoliens constitués, chacun, de cinq aérogénérateurs ayant une hauteur supérieure à 50 mètres ; que la mise en service de ces éoliennes a eu lieu en juillet 2007 ; qu'invoquant les nuisances visuelles, esthétiques et sonores résultant de leur implantation à proximité du château de Flers, ainsi que la dépréciation de ce bien immobilier, dont elle est propriétaire depuis 1996, la SCI Freka (la SCI) et ses associés, M. et Mme A..., ont saisi la juridiction judiciaire, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, pour obtenir l'enlèvement des installations litigieuses et le paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que la SCI et M. et Mme A... font grief à l'arrêt de déclarer d'office la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de leur demande tendant à obtenir le démontage et l'enlèvement des éoliennes et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir de ce chef, alors, selon le moyen, que si l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'enlèvement d'une éolienne régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, relève en principe de la compétence du juge administratif, le juge judiciaire reste compétent pour connaître des demandes tendant à la cessation des nuisances liées à un tel engin, qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, pour les motifs autres que ceux visés par la police spéciale de l'énergie et de l'environnement ; qu'en se déclarant incompétente pour connaître de la demande d'enlèvement d'éoliennes formulée par la SCI et M. et Mme A..., au motif d'une immixtion dans la police spéciale en matière de production d'énergie, quand ces derniers avaient sollicité l'enlèvement des éoliennes litigieuses en raison des nuisances qu'elles leur causaient, pour des motifs étrangers aux impératifs généraux de santé, salubrité publiques et de protection de l'environnement, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 553-1 du code de l'environnement que les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ayant fait l'objet de l'étude d'impact et de l'enquête publique prévues à l'article L. 553-2, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à la publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, et bénéficiant d'un permis de construire, sont soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement institué par les articles L. 511-1 et suivants du même code ; que, dès lors, les tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d'une telle installation classée que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l'avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient ; que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose, en effet, à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter ces installations, soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que la demande tendant à obtenir l'enlèvement des éoliennes litigieuses, au motif que leur implantation et leur fonctionnement seraient à l'origine d'un préjudice visuel et esthétique et de nuisances sonores, impliquait une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice de cette police administrative spéciale et qu'elle a, en conséquence, relevé d'office, en application de l'article 92 du code de procédure civile, l'incompétence de la juridiction judiciaire pour en connaître ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur le second moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCI Freka et M. et Mme A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme A... et la société Freka

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, ayant constaté que l'action portée devant le juge judiciaire par des propriétaires (les époux A... et la SCI Freka), en ce qu'elle tendait à obtenir le démontage et l'enlèvement d'éoliennes (installées sur l'initiative et au profit de la Compagnie du Vent, sur des terrains appartenant à MM. Y..., Z... et X...), impliquait une immixtion dans l'exercice d'une police administrative spéciale en matière de production énergétique, infirmé le jugement entrepris, déclaré d'office l'incompétence de la cour d'appel et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction administrative ;

AUX MOTIFS QU'il s'évinçait des articles 7 et 47 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, comme de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, que l'autorisation d'exploiter est délivrée par le ministre chargé de l'énergie, tandis que toute personne qui produit ou transporte de l'électricité doit adresser au ministre de l'énergie toutes les données relatives à son activité ; que, désormais, les objectifs de la politique énergétique se trouvent définis par le code de l'énergie ; que, de même, avec le concours et sous le contrôle de la Commission de régulation de l'énergie, dans le cas d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, notamment implantées par terre, les entreprises locales de distribution d'électricité chargées de la fourniture d'énergie ont l'obligation de conclure un contrat pour l'achat d'électricité ainsi produite sur le territoire national, en application des dispositions de l'article L. 314-1 du code de l'énergie ; que l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité est délivrée selon des critères définis à l'article L. 311-5 du code de l'énergie ; qu'il était tout aussi constant que tant le parc éolien « Les Tambours », que le parc éolien « Les Campagnes » ont fait l'objet d'une étude d'impact sur l'environnement, sur la santé et sur les mesures de préservation des milieux ; qu'il en était de même des enquêtes publiques diligentées entre les 10 juin et 10 juillet 2003 ; que, contrairement à ce que soutenaient les intimés, il importait peu que les parcs éoliens n'aient qu'une puissance ne dépassant pas au total 20 mW, dès lors que la législation de l'environnement était bien applicable ; qu'il n'était pas discuté que les installations litigieuses avaient fait l'objet d'une étude d'impact, d'une enquête publique et avaient donné lieu à la délivrance de permis de construire pour chacun des parcs éoliens, au demeurant non contestés en leur temps, encore moins que la hauteur des mâts des éoliennes dépassait 50 m, atteignant en l'occurrence celle de 107 m, de sorte que lesdites installations relevaient bien de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'au surplus, la cour observait que la demande de permis de construire imposait à l'autorité préfectorale le respect notamment de la sécurité et de la salubrité publiques et la préservation du caractère et de l'intérêt des lieux avoisinants ; qu'ainsi le législateur avait organisé une police administrative spéciale des installations de production d'électricité, utilisant entre autres l'énergie du vent, par application de l'article L 311-5 du code de l'énergie, ainsi qu'une police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement, conformément aux articles combinés L. 551-1 et L. 553-1 du code de l'environnement ; qu'il s'agit pour l'Etat de développer une politique énergétique et d'en assurer l'efficacité, tout en prenant en compte les risques et inconvénients pouvant impacter le voisinage, au titre de la santé, la sécurité et la salubrité publiques ; que, dans ces conditions, l'action portée devant le juge judiciaire par les intimés, en ce qu'elle tendait à obtenir le démontage et l'enlèvement des éoliennes, et non pas seulement à solliciter des dommages-intérêts sur le fondement de la théorie du trouble de voisinage, impliquait une immixtion de ce juge dans l'exercice d'une police administrative spéciale en matière de production d'énergie, en l'amenant à substituer sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative aurait déjà portée sur les risques et dangers que présenteraient lesdites installations, voire à priver d'effet les autorisations que cette autorité aurait délivrées ; que la cour d'appel devait ainsi relever d'office son incompétence et les parties devaient être renvoyées à mieux se pourvoir ; qu'il n'était pas contesté que la cour demeurait saisie pour connaître de la demande relative au trouble de voisinage, ainsi que sur les demandes d'indemnisation ; qu'il y avait cependant lieu de surseoir sur ce chef de demande, dans l'attente de la décision du juge administratif qui était de nature à influer sur celle du juge judiciaire, ainsi que sur toutes les demandes tendant à indemnisation ;

1° ALORS QUE si l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'enlèvement d'une éolienne régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, relève en principe de la compétence du juge administratif, le juge judiciaire reste compétent pour connaître des demandes tendant à la cessation des nuisances liées à un tel engin, qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, pour des motifs autres que ceux visés par la police spéciale de l'énergie et de l'environnement ; qu'en se déclarant incompétente pour connaître de la demande d'enlèvement d'éoliennes formulée par la SCI Freka et les époux A..., au motif d'une immixtion dans la police spéciale en matière de production d'énergie, quand les exposants avaient sollicité l'enlèvement des éoliennes litigieuses en raison des nuisances qu'elles leur causaient, pour des motifs étrangers aux impératifs généraux de santé, salubrité publiques et de protection de l'environnement, la cour d'appel a violé la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs ;

2° ALORS QUE la police administrative spéciale en matière d'éoliennes ne s'applique pas aux inconvénients minorés par les auteurs de l'étude d'impact ; qu'en se déclarant d'office incompétente pour connaître de la demande d'enlèvement d'éoliennes formulée par les époux A... et la SCI Freka, sans prendre en considération le fait que les nuisances produites par ces engins avaient été minorées par l'administration et que les exposants n'avaient pu s'en convaincre qu'après leur mise en service, la cour d'appel a violé la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, ayant relevé d'office l'incompétence du juge judiciaire, dans la mesure où l'action portée devant le juge judiciaire par des propriétaires (les époux A... et la SCI Freka), en ce qu'elle tendait à obtenir le démontage et l'enlèvement d'éoliennes (installées sur l'initiative et au profit de la Compagnie du Vent, sur des terrains appartenant à MM. Y..., Z... et X...), impliquait une immixtion dans l'exercice d'une police administrative spéciale en matière de production énergétique, prononcé le sursis à statuer sur l'indemnisation du trouble de voisinage dénoncé ;

AUX MOTIFS QU'il n'était pas contesté que la cour demeurait saisie et compétente pour connaître de la demande relative au trouble anormal de voisinage invoqué par les intimés, ainsi que des demandes d'indemnisation ; qu'il y avait cependant lieu de surseoir sur ces chefs de demande, dans l'attente de la décision du juge administratif, dès lors que la solution donnée par celui-ci à la demande de démontage et d'enlèvement des éoliennes était de nature à influer directement sur la demande tendant à la cessation de ce trouble, ainsi que sur l'indemnisation revendiquée ;

ALORS QUE la question du démontage d'éoliennes régulièrement implantées n'est pas de nature à influer sur l'issue d'une demande d'indemnisation présentée par des propriétaires, sur le fondement d'un trouble anormal de voisinage déjà constitué ; qu'en prononçant le sursis à statuer sur toutes les demandes d'indemnisation présentées par les époux A... et la SCI Freka, y compris sur la demande qu'ils avaient formulée au titre des nuisances qu'ils avaient d'ores et déjà subies, la cour d'appel a violé les articles 49 du code de procédure civile, 544 et 1382 du code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Compétence


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.