par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 6 juillet 2016, 15-21811
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
6 juillet 2016, 15-21.811

Cette décision est visée dans la définition :
Arbitrage




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2015), que le ministre de l'économie a assigné la société Apple distribution international et la société Apple France (les sociétés Apple) devant la justice consulaire sur le fondement de l'article L. 442-6, III, du code de commerce pour faire prononcer la nullité de certaines clauses du contrat de distribution conclu entre la société Apple distribution international et la société Orange ; que les sociétés Apple ont soulevé l'incompétence de la juridiction étatique sur le fondement de la clause compromissoire stipulée au contrat de distribution ;

Attendu que les sociétés Apple font grief à l'arrêt de rejeter le contredit et leur exception d'incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge saisi d'un litige relatif à un contrat comportant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, par priorité, sur sa compétence, sauf nullité manifeste ou inapplicabilité manifeste de la clause ; qu'une telle inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage à un litige ne saurait se déduire de la seule qualité de tiers au contrat du demandeur à l'action ; qu'en énonçant, pour rejeter le contredit, que « la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution conclu entre Orange et Apple distribution international ne s'applique qu'aux parties ; que le ministre chargé de l'économie est tiers à ce contrat », et que le principe compétence-compétence ne pouvait « s'appliquer qu'à des engagements souscrits entre des parties à un ou plusieurs contrats », la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;

2°/ que les articles L. 442-6, III, et D. 442-3 du code de commerce ne consacrent pas un privilège de juridiction, à raison de la nationalité des personnes visées à l'article L. 442-6, III, alinéa 1er, pour saisir les juridictions étatiques françaises, à l'exclusion de toute autre juridiction ; qu'en énonçant dès lors, pour écarter la priorité reconnue à l'arbitre pour statuer sur sa propre compétence, que l'action engagée par le ministre était, au regard de sa nature et de son objet, « de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques », la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, III, et D. 442-3 du code de commerce, ensemble le principe compétence-compétence et les principes du droit international privé ;

3°/ que le juge saisi d'un litige relatif à un contrat comportant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, en premier, sur sa compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifestes de la clause ; qu'en déduisant du caractère « autonome » de l'action engagée par le ministre contre la société Apple, le caractère manifestement inapplicable de la clause d'arbitrage, pour trancher ainsi elle-même immédiatement la question de compétence, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser le caractère manifestement inapplicable de la clause d'arbitrage au litige et violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;

4°/ subsidiairement que le seul fait que l'action du ministre soit potentiellement fondée sur des considérations d'ordre public n'est pas de nature à rendre la clause d'arbitrage manifestement inapplicable ; qu'en retenant cependant en l'espèce que l'action engagée par le ministre contre la société Apple distribution international, en présence de la société Orange, était une action reposant, par principe, sur des considérations d'ordre public visant à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, là où les demandes effectivement présentées visaient, en réalité, la remise en cause de l'économie d'un contrat international conclu entre personnes privées, ce qui était de nature à exclure toute inapplicabilité « manifeste » de la clause d'arbitrage stipulée dans ce contrat, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser une telle inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire et violé l'article L. 442-6, III, du code de commerce et des articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;

5°/ très subsidiairement que le juge saisi d'un litige relatif à un contrat portant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, par priorité, sur sa compétence, sauf inapplicabilité manifeste de cette clause ; que le caractère « manifestement » inapplicable d'une clause d'arbitrage est exclusif de toute incertitude ou de tout doute quant à l'inapplicabilité de cette clause ; qu'en tranchant en l'espèce elle-même immédiatement la question de compétence, cependant qu'un doute ou une incertitude pouvait à tout le moins exister quant à l'applicabilité de la clause d'arbitrage, dès lors que des prétentions effectivement formulées par le demandeur visaient directement le contrat international comportant cette clause et compte-tenu des liens réels ou apparents pouvant exister entre les parties en cause, la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence et l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que l'article L. 442-6, III, du code de commerce réserve au ministre chargé de l'économie la faculté de saisir le juge pour faire cesser des pratiques illicites et prononcer des amendes civiles, l'arrêt énonce, à bon droit, que l'action ainsi attribuée au titre d'une mission de gardien de l'ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet ; que, le ministre n'agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la cour d'appel a caractérisé l'inapplicabilité manifeste au litige de la convention d'arbitrage du contrat de distribution ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Apple distribution international et Apple France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique la somme de 3 000 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Apple distribution international et la société Apple France.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le contredit, d'avoir débouté la société de droit irlandais Apple Distribution International et la société de droit français Apple France de leur exception d'incompétence et de les avoir condamnées aux frais du contredit et au paiement au ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique d'une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article L. 442-6 du code de commerce réserve au ministère public, au ministre chargé de l'Economie et au président du Conseil de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l'article D. 442-3 du code de commerce, aux fins de voir obtenir la cessation de pratiques illicites et l'application d'amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants ; que l'action qui a été attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l'ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés est une action autonome dont l'exercice n'est d'ailleurs pas soumis à l'accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi mais seulement à leur information ; que la circonstance que l'autorité qui poursuit la cessation de pratiques discriminatoires puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu, n'est pas de nature à modifier le caractère de cette action distincte par son objet de défense de l'intérêt général de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel ; que par suite, l'action du Ministre étant, au regard de sa nature et de son objet, de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, la clause compromissoire stipulée dans le contrat liant Apple et Orange en ce qu'elle est manifestement inapplicable, ne peut lui être opposée ce qui rend inopérants les moyens tirés tant des dispositions de l'article 1448 du Code civil que de ce que la clause compromissoire ne figure pas au nombre de celles dont le Ministre poursuit l'annulation ; que c'est, dès lors, à bon droit, que les premiers juges dont la décision doit être confirmée, ont retenu leur compétence ; Considérant qu'il n'y a pas lieu d'évoquer le fond du litige, les parties devant être renvoyées pour ce faire devant le tribunal ; Considérant qu'il est sans objet de donner acte à la société Apple France de ce qu'elle se réserve de solliciter sa mise hors de cause devant la juridiction compétente, une telle demande qui ne vise qu'à voir formuler une constatation, n'étant pas susceptible de conférer un droit à la partie qui a sollicité ce donné acte ; Considérant que les sociétés Apple qui succombent doivent supporter les frais du contredit et ne peuvent prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile; qu'elles seront, sur ce même fondement, condamnées au paiement d'une somme de 10.000 euros ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE l'article L. 442-6 III du code de commerce prévoit que l'action en responsabilité pour déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est introduite notamment par le ministre chargé de l'économie : que l'action du ministre s'inscrit dans le cadre de sa mission de gardien de l'ordre public économique aux fins de rétablissement de celui-ci ; Attendu que la clause compromissoire contenue dans le Contrat de Distribution conclu entre Orange et Apple Distribution [International] ne s'applique qu'aux parties ; que le ministre chargé de l'économie est tiers à ce contrat ; Attendu que le principe « compétence compétence » ne peut s'appliquer qu'à des engagements souscrits entre des parties à un ou plusieurs contrats ; Attendu que l'action du ministre de l'économie sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce est dès lors une action [autonome] et non une action en substitution d'Orange ; Attendu qu'en vertu du Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000, le lieu du fait dommageable reproché est le territoire français ; le tribunal déboutera Apple de son exception d'incompétence, se déclarera compétent et renverra l'affaire à l'audience du 13 mars 2015 pour conclusions au fond ;

1°) ALORS QUE le juge saisi d'un litige relatif à un contrat comportant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, par priorité, sur sa compétence, sauf nullité manifeste ou inapplicabilité manifeste de la clause ; qu'une telle inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage à un litige ne saurait se déduire de la seule qualité de tiers au contrat du demandeur à l'action ; qu'en énonçant, pour rejeter le contredit, que « la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution conclu entre Orange et Apple Distribution ne s'applique qu'aux parties ; que le ministre chargé de l'économie est tiers à ce contrat » (jugement, p.4), et que le principe compétence-compétence ne pouvait « s'appliquer qu'à des engagements souscrits entre des parties à un ou plusieurs contrats », (jugement, p.5), la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;

2°) ALORS QUE les articles L. 442-6 III et D. 442-3 du code de commerce ne consacrent pas un privilège de juridiction, à raison de la nationalité des personnes visées à l'article L. 442-6 III, alinéa 1er, pour saisir les juridictions étatiques françaises, à l'exclusion de toute autre juridiction ; qu'en énonçant dès lors, pour écarter la priorité reconnue à l'arbitre pour statuer sur sa propre compétence, que l'action engagée par le ministre était, au regard de sa nature et de son objet, « de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques », la cour d'appel a violé les articles L. 442-6 III et D. 442-3 du code de commerce, ensemble le principe compétence-compétence et les principes du droit international privé ;

3°) ALORS QUE le juge saisi d'un litige relatif à un contrat comportant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, en premier, sur sa compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifestes de la clause ; qu'en déduisant du caractère « autonome » de l'action engagée par le ministre contre la société Apple, le caractère manifestement inapplicable de la clause d'arbitrage, pour trancher ainsi elle-même immédiatement la question de compétence, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser le caractère manifestement inapplicable de la clause d'arbitrage au litige et violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence compétence ;

4°) ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le seul fait que l'action du ministre soit potentiellement fondée sur des considérations d'ordre public n'est pas de nature à rendre la clause d'arbitrage manifestement inapplicable ; qu'en retenant cependant en l'espèce que l'action engagée par le ministre contre la société Apple Distribution International, en présence de la société Orange, était une action reposant, par principe, sur des considérations d'ordre public visant à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, là où les demandes effectivement présentées visaient, en réalité, la remise en cause de l'économie d'un contrat international conclu entre personnes privées, ce qui était de nature à exclure toute inapplicabilité « manifeste » de la clause d'arbitrage stipulée dans ce contrat, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser une telle inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire et violé l'article L. 442-6 III du code de commerce et des articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;


5°) ALORS TRÈS SUBSIDIAIREMENT QUE le juge saisi d'un litige relatif à un contrat portant une clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l'arbitre statue, par priorité, sur sa compétence, sauf inapplicabilité manifeste de cette clause ; que le caractère « manifestement » inapplicable d'une clause d'arbitrage est exclusif de toute incertitude ou de tout doute quant à l'inapplicabilité de cette clause ; qu'en tranchant en l'espèce elle-même immédiatement la question de compétence, cependant qu'un doute ou une incertitude pouvait à tout le moins exister quant à l'applicabilité de la clause d'arbitrage, dès lors que des prétentions effectivement formulées par le demandeur visaient directement le contrat international comportant cette clause et compte-tenu des liens réels ou apparents pouvant exister entre les parties en cause, la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence et l'article 6 §.1 de la convention européenne des droits de l'homme.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.