par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 26 novembre 2014, 13-18819
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
26 novembre 2014, 13-18.819

Cette décision est visée dans la définition :
Responsabilité civile




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Donne acte à la société Ceramtec de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en tant que dirigé contre Mme X..., l'établissement Groupe Hopale et la CPAM de l'Artois ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 14 janvier 2003, Mme X... a subi l'implantation d'une prothèse de hanche réalisée par la société Wright Medical France, dont la tête en céramique, fabriquée par la société Ceramtec, s'est brisée le 24 octobre suivant ; qu'assignée en responsabilité par Mme X..., la société Wright Medical France a appelé la société Ceramtec en garantie ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la société Ceramtec fait grief à l'arrêt de juger qu'elle est tenue de garantir entièrement la société Wright Medical France des condamnations prononcées solidairement contre elles, alors, selon le moyen, que si le producteur de la partie composante du produit est admis à s'exonérer de sa responsabilité dans les conditions de l'article 1386-11 du code civil, aucune disposition légale n'offre une telle possibilité au producteur du produit fini, qui ne peut donc échapper à sa responsabilité solidaire avec le producteur de la partie composante, alors que celle-ci a été établie à l'égard de la victime ; qu'ainsi, une fois démontré le caractère défectueux du produit fini pris dans sa globalité, le producteur de celui-ci ne peut plus prouver, même dans ses rapports avec le producteur de la partie composante, que le défaut s'attacherait en réalité exclusivement à la partie composante, à laquelle seule le dommage serait imputable ; que le producteur du produit fini ne peut par conséquent prétendre, dans le cadre de son droit au recours contre le producteur de la partie composante, échapper à sa responsabilité de plein droit en invoquant une responsabilité exclusive de ce dernier ; qu'en décidant cependant en l'espèce que la société Wright Medical France était recevable à démontrer que la partie composante fabriquée par la société Ceramtec aurait eu un rôle exclusif dans la réalisation du dommage afin d'échapper à sa responsabilité de plein droit, la cour d'appel a violé l'article 1386-11 du code civil, ensemble l'article 7 de la directive CE 85/374 du 25 juillet 1985 ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 1386-8 du code civil, qui transpose en droit interne l'article 5 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables ; que, selon l'article 5 précité, la solidarité dont est assortie la responsabilité de plusieurs personnes dans la survenance d'un même dommage est sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours ; qu'il résulte de la combinaison de ces règles que le producteur du produit fini et celui de la partie composante sont solidairement responsables à l'égard de la victime, mais que, dans leurs rapports entre eux, la détermination de leur contribution respective à la dette ne relève pas du champ d'application de la directive et, notamment, des dispositions de l'article 1386-11 du code civil, qui transpose en droit interne l'article 7 de la même directive ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 5 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, ensemble l'article 1386-8 du code civil ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours ; qu'en droit interne, la contribution à la dette, en l'absence de faute, se répartit à parts égales entre les coobligés ;

Attendu que, pour décider que la société Ceramtec était tenue de garantir entièrement la société Wright Medical France des condamnations prononcées solidairement contre elles, l'arrêt retient que la cause exclusive du dommage est la rupture inexpliquée de la tête fémorale en céramique de la prothèse, sous-composant fabriqué par la société Ceramtec ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Ceramtec est tenue de garantir entièrement la société Wright Medical France des condamnations prononcées solidairement contre elles, l'arrêt rendu le 14 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne la société Wright Medical France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Ceramtec GMBH.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que dans leurs rapports, les sociétés WRIGHT MEDICAL FRANCE et CERAMTEC seraient tenues chacune pour moitié du montant des condamnations prononcées et statuant à nouveau, d'avoir dit que la société CERAMTEC est tenue de garantir entièrement la société WRIGHT MEDICAL FRANCE des condamnations prononcées solidairement à leur encontre au profit de Madame X... et de la CPAM de l'ARTOIS ;

AUX MOTIFS QUE « sur la garantie de la société WRIGHT MEDICAL FRANCE par la société CERAMTEC, qu'il appartient à la société WRIGHT MEDICAL FRANCE qui demande à être entièrement garantie par la société CERAMTEC de démontrer que la défectuosité de la tête fémorale que cette dernière a fabriquée a eu un rôle causal exclusif dans la réalisation du dommage ; que le compte-rendu opératoire du 23 octobre 2003 mentionne que tous les composants de la prothèse ont dû faire l'objet d'une ablation, en raison des rayures provoquées sur le col de la queue fémorale et de l'insert cotyloïdien par les fragments de céramique ; que le Docteur Y... n'a relevé aucune autre anomalie que la fragmentation de la sphère fémorale ; que l'expert n'a pas détecté d'éléments susceptibles d'expliquer la rupture de la sphère fémorale ; que la cause exclusive du dommage est donc bien la rupture inexpliquée de ce sous-composant fabriqué par la société CERAMTEC ; que cette dernière ne peut s'exonérer de sa propre responsabilité, dans ses rapports avec le producteur ayant réalisé l'incorporation du sous-composant défectueux, qu'en démontrant le vice de conception de la prothèse ou la défectuosité de l'assemblage ; qu'elle se contente d'émettre des hypothèses sur ces défauts qui seraient imputables à la société WRIGHT MEDICAL FRANCE sans en rapporter la moindre preuve ; qu'en conséquence, la société CERAMTEC sera donc tenue de garantir entièrement la société WRIGHT MEDICAL des condamnations prononcées solidairement à leur encontre du fait de la défectuosité de la prothèse » ;

ALORS QUE, D'UNE PART, si le producteur de la partie composante du produit est admis à s'exonérer de sa responsabilité dans les conditions de l'article 1386-11 du Code civil, aucune disposition légale n'offre une telle possibilité au producteur du produit fini, qui ne peut donc échapper à sa responsabilité solidaire avec le producteur de la partie composante, alors que celle-ci a été établie à l'égard de la victime ; qu'ainsi, une fois démontré le caractère défectueux du produit fini pris dans sa globalité, le producteur de celui-ci ne peut plus prouver, même dans ses rapports avec le producteur de la partie composante, que le défaut s'attacherait en réalité exclusivement à la partie composante, à laquelle seule le dommage serait imputable ; que le producteur du produit fini ne peut par conséquent prétendre, dans le cadre de son droit au recours contre le producteur de la partie composante, échapper à sa responsabilité de plein droit en invoquant une responsabilité exclusive de ce dernier ; qu'en décidant cependant en l'espèce que la société WRIGHT MEDICAL FRANCE était recevable à démontrer que la partie composante fabriquée par la société CERAMTEC aurait eu un rôle exclusif dans la réalisation du dommage afin d'échapper à sa responsabilité de plein droit, la Cour d'appel a violé l'article 1386-11 du Code civil, ensemble l'article 7 de la directive CE 85/374 du 25 juillet 1985 ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'article 5 de la directive CE 85/374 du 25 juillet 1985 prévoit que « si, en application de la présente directive, plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours » ; qu'il résulte des règles de la responsabilité civile prévalant en droit national français que la contribution à la dette entre coresponsables d'un même dommage a lieu à proportion de leurs fautes respectives et qu'en l'absence de faute prouvée à la charge des responsables, la contribution se fait alors à parts égales entre eux ; que la responsabilité du fait des produits défectueux constitue un régime de responsabilité sans faute, subordonné à la seule preuve d'un défaut du produit, d'un dommage et d'un lien de causalité entre les deux ; qu'en conséquence, dans le cas où le producteur du produit fini et celui d'une partie composante engagent solidairement leur responsabilité à l'égard de la victime à raison du défaut affectant globalement le produit, leur contribution à la dette doit s'opérer par parts égales, aucune faute n'étant établie à la charge de l'un d'eux ; qu'en décidant cependant en l'espèce que la société WRIGHT MEDICAL FRANCE était recevable à démontrer que la partie composante fabriquée par la société CERAMTEC aurait eu un rôle exclusif dans la réalisation du dommage afin d'échapper à sa responsabilité de plein droit, la Cour d'appel a violé les articles 1386-8 et 1386-9 du Code civil, ensemble l'article 5 de la directive CE 83/374 du 25 juillet 1985 ;

ALORS QU'EN OUTRE, subsidiairement, la contribution à la dette entre coresponsables d'un même dommage ne peut en tout état de cause se faire de façon inégale qu'en cas de faute prouvée à la charge de l'un d'eux ; qu'en décidant en l'espèce que la société CERAMTEC devait être tenue de garantir entièrement la société WRIGHT MEDICAL FRANCE des condamnations prononcées solidairement à leur encontre, sans constater l'existence d'une faute prouvée à la charge de la société exposante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-8 et 1386-9 du Code civil, ensemble l'article 5 de la directive CE 83/374 du 25 juillet 1985 ;

ALORS QU'ENFIN, subsidiairement, l'action du producteur du produit fini contre celui de la partie composante tendant à faire peser sur ce dernier l'entière contribution à la dette suppose en tout état de cause qu'il démontre à tout le moins que le dommage subi par la victime est imputable au seul défaut de la partie composante ; que cette imputabilité exclusive ne saurait être présumée, et en particulier déduite de la rupture inexpliquée de cette partie composante, laquelle ne permet pas d'établir le lien de causalité exclusif entre le défaut de la partie composante et le dommage ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que « l'AFSSAPS a fait connaître à l'expert que sur les 156 têtes de ce lot qui ont été implantées, aucun autre cas de rupture n'a été rapporté et l'analyse des données de production du lot n'a mis en évidence aucune non-conformité quant aux dimensions et à la matière utilisée », que « l'expert n'a pas détecté d'éléments susceptibles d'expliquer la rupture de la sphère fémorale » et que « les causes de la rupture de la tête fémorale (...) ne sont établies ni par l'expertise, ni par la moindre pièce » ; qu'en retenant cependant, pour décider que la société CERAMTEC devait être tenue de garantir entièrement la société WRIGHT MEDICAL FRANCE des condamnations prononcées solidairement à leur encontre, que « la cause exclusive du dommage est donc bien la rupture inexpliquée de ce sous-composant fabriqué par la société CERAMTEC », la Cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1386-8 du Code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Responsabilité civile


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.