par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 22 mars 2011, 09-72323
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Cour de cassation, chambre sociale
22 mars 2011, 09-72.323

Cette décision est visée dans la définition :
Aveu judiciaire




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 octobre 2009), qu'engagé en 1998 en qualité de directeur de branche par la société Connecteurs électriques Deutsch (la société), et exerçant en dernier lieu les fonctions de directeur de la division DBM (Deutsch Bus Microware), M. X... a été licencié le 18 mai 2006 avec dispense d'effectuer son préavis ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de "déclarer illégitime le licenciement de M. X... et de la condamner à lui payer une somme de 42 000 euros à titre de dommages et intérêts", alors, selon le moyen :

1°/ que l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice une partie ; qu'en l'espèce, le conseil de prud'hommes a expressément constaté "que M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus. M. X... a indiqué sans qu'il ne le contredise que ce n'était pas du chantage mais un moyen de défense" ; que dès lors en déclarant que cette constatation ne valait pas aveu judiciaire du salarié, la cour d'appel a violé l'article 1356 du code civil ;

2°/ que le conseil de prud'hommes a expressément énoncé que : "M. X... a été licencié pour un motif unique, avoir fait pression sur Mme Y... lors d'un appel téléphonique du 18 avril 2006 afin d'obtenir son intervention en sa faveur dans le but d'éviter une sanction ; qu'il apparaît de façon claire que M. X... a tenté d'utiliser l'existence d'une relation privée et intime pour obtenir une intervention en sa faveur ; que M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus ; que M. X... a indiqué sans qu'il ne se contredise que ce n'était pas du chantage mais un moyen de défense" ; que les premiers juges ont donc clairement constaté que M. X... avait reconnu les faits de chantage et de pression ; que dès lors en déclarant "que la formule utilisée ne permet pas de déterminer s'ils (les premiers juges) considéraient qu'il avait reconnu un chantage et des pressions ou seulement le fait d'avoir téléphoné à la Responsable des ressources humaines" (arrêt, p. 8, 2e al.), la cour d'appel a dénaturé les énonciations claires et précises du conseil de prud'hommes et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ qu'en déclarant que "le compte-rendu de l'entretien du 15 mai 2006 ne comporte aucune mention ni signature relative à son rédacteur de sorte qu'il ne constitue pas une preuve de ce que les dires qu'il contient ont existé", la cour d'appel a dénaturé le compte rendu signé de Yannick Z..., délégué du personnel de l'entreprise, qui a ajouté "remis à M. X... Eric le 31 mai 2006 en mains propres", et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;

4°/ qu'en constatant que M. X... avait déclaré : "j'ai estimé que si Deutsch n'était pas correct avec moi, je me servirai d'éléments privés", et en énonçant que cette déclaration n'était pas de nature à établir l'existence de chantage et de pressions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé l'article L. 1235-1 du code du travail ;

5°/ qu'enfin l'entretien préalable est destiné à éclairer l'employeur sur les faits reprochés afin de lui permettre de prendre une décision ; qu'il en résulte qu'il peut y appeler les protagonistes des faits ; que dès lors en écartant le témoignage de Mme Y... sur laquelle le salarié avait tenté de faire pression en raison de sa seule présence lors de l'entretien préalable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1232-4 du code du travail ;

Mais attendu que, selon l'article 1356 du code civil, l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie; qu'il fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être divisé contre lui ; que, dès lors, la cour d'appel a exactement décidé que la seule mention figurant dans les motifs du jugement, selon laquelle "le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits", alors qu'aucune note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n'était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire ;

Que le moyen, en ses trois dernières branches qui, sous couvert de griefs de dénaturation, de défaut de base légale et de violation de l'article L. 1235-1 du code du travail, tend à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine des juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Connecteurs électriques Deutsch aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Connecteurs électriques Deutsch.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré illégitime le licenciement de M. X... et d'avoir condamné la société Connecteurs Electriques DEUTSCH à payer au salarié une somme de 42.000 € à titre de dommages et intérêts et à rembourser à Pôle Emploi les sommes versées au salarié à titre d'indemnités de chômage dans la limite de six mois ;

Aux motifs que « le seul motif retenu par l'employeur pour prononcer le licenciement de M. X... est l'exercice d'un chantage et de pressions, le 18 avril 2006, après 20 heures, sur la responsable des ressources humaines, en la menaçant de révéler des faits relevant de sa vie privée pour tenter d'orienter en sa faveur la décision qui serait prise par la direction à la suite d'un entretien du 13 avril 2006, comportement contraire aux règles d'éthique, ne permettant pas de conserver la confiance requise pour l'exercice de la mission ; que M. X... ne conteste pas devant la Cour avoir passé un appel téléphonique après 20 heures à la responsable des ressources humaines de l'entreprise qu'il connaissait personnellement pour l'avoir fréquentée en dehors du travail mais nie avoir à cette occasion tenu de quelconques propos pouvant être assimilés à du chantage ou des pressions ; que le Conseil de prud'hommes a mentionné : « M. X... a été licencié pour un motif unique, avoir fait pression sur Mme Y... lors d'un appel téléphonique du 18 avril 2006 afin d'obtenir son intervention en sa faveur dans le but d'éviter une sanction. Il apparaît de façon parfaitement claire et évidente que M. X... a tenté d'utiliser l'existence d'une relation privée et intime pour obtenir une intervention en sa faveur. M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus. M. X... a indiqué, sans qu'il ne le contredise, que ce n'était pas du chantage, mais un moyen de défense » ;
que ces mentions ne figurent cependant pas dans le rappel des prétentions et moyens des parties mais dans la discussion et relèvent donc non de la constatation par les juges des dires ou demandes qui leur sont adressés mais du raisonnement qui les a conduits à prendre la décision critiquée ; qu'il n'existe pas au dossier de la procédure et il n'est pas produit de note d'audience reprenant les déclarations de M. X... ou de son conseil sur ce point ; que la formulation utilisée ne permet par ailleurs pas de déterminer s'ils considéraient qu'il avait reconnu un chantage et des pressions ou seulement le fait d'avoir téléphoné à la responsable des ressources humaines le 18 avril 2006 ; qu'il ne peut ainsi être considéré que M. X... aurait passé un aveu judiciaire concernant les faits de chantage et de pressions reprochés ; que les énonciations de la lettre de licenciement selon laquelle le salarié aurait reconnu un chantage et des pressions lors de deux entretiens ne peuvent servir à établir le fit reproché ; que le « compte rendu de l'entretien du 15 mai 2006 » n'est pas signé par les participants et il ne peut avoir valeur d'une déclaration de leur part ; il ne comporte non plus aucune mention ni signature relative à son rédacteur ; il ne constitue ainsi pas la preuve que les dires qu'il contient ont existé ; que par ailleurs les déclarations imputées à M. X... « je n'ai pas exercé de chantage ni menacé de divulguer ces informations à la direction générale. Les relations que j'ai eues avec la DRH m'ont déstabilisé d'un point de vue personnel et professionnel… j'ai été déstabilisé par les actions menées par Isabelle. J'ai estimé que si DEUTSCH n'était pas correct avec moi, je me servirai d'éléments privés » ne sont pas de nature à établir, à les supposer exactes, l'existence de chantage et de pressions ; que selon l'attestation rédigée par Mme Y... : « Le 18 avril 2006 après 20 heures, étant à mon domicile, j'ai reçu un appel téléphonique de M. Eric X..., alors collègue. Ce dernier m'a déclaré : Bonsoir Isabelle, je suppose que tu es au courant de l'entretien que j'ai eu avec Gilles, voilà, je voulais te faire savoir que je vais utiliser tout ce que je peux pour me défendre ; étant donné ta position de responsable ressources humaines, tu as de l'écoute auprès de Gilles, tu peux faire en sorte que Gilles change d'avis sur la sanction qu'il veut me donner. Dans le cas contraire, je n'hésiterais pas à divulguer notre petite histoire à la Direction Générale. Tu vois ce que je veux dire. Voilà, je n'ai rien d'autre à te dire ». Il a raccroché. Etant très choquée de ces propos, un quart d'heure plus tard, j'ai pris la décision de contacter par téléphone Gilles A... afin de lui faire part de cet appel et de sa teneur » ; que M. A... a quant à lui attesté de ce qu'elle l'avait effectivement appelé, perturbée peu de temps après avoir reçu l'appel de M. X... ; que le fait que des attestants soient salariés de l'employeur qui a prononcé le licenciement n'est pas, d'une manière générale, de nature à faire douter de la sincérité de leurs écrits ; que cependant, en l'espèce, M. A... est le directeur signataire de la lettre de licenciement, que Mme Y..., responsable des ressources humaines, a participé à la procédure, en étant notamment présente lors de l'entretien préalable au licenciement ; les attestations qu'ils ont versé ne peuvent donc servir à établir les faits reprochés ; que les autres reproches invoqués par l'employeur au cours de la procédure ne figuraient pas dans la lettre de licenciement et que leur commission, à la supposer réelle, ne serait pas de nature à établir la réalité des faits reprochés, elle ne peut être considérée comme établie, et la décision entreprise sera réformée en ce qu'elle a estimé que le licenciement de M. X... avait une cause réelle et sérieuse ; que M. X... ne communique pas d'éléments particuliers quant à l'importance du préjudice qu'il a subi du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse hors ceux relatifs aux ressources qu'il tirait de son activité et de son ancienneté, de l'effectif de l'entreprise, et des circonstances du licenciement ; il lui sera alloué, dans ces conditions, à titre de dommages et intérêts, la somme de 42.000 € » ;

Alors d'une part que l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice une partie ; qu'en l'espèce, le Conseil de prud'hommes a expressément constaté « que M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus. M. X... a indiqué sans qu'il ne le contredise que ce n'était pas du chantage mais un moyen de défense » ; que dès lors en déclarant que cette constatation ne valait pas aveu judiciaire du salarié, la Cour d'appel a violé l'article 1356 du Code civil ;

Alors d'autre part que le Conseil de prud'hommes a expressément énoncé que : « M. X... a été licencié pour un motif unique, avoir fait pression sur Mme Y... lors d'un appel téléphonique du 18 avril 2006 afin d'obtenir son intervention en sa faveur dans le but d'éviter une sanction ; qu'il apparaît de façon claire que M. X... a tenté d'utiliser l'existence d'une relation privée et intime pour obtenir une intervention en sa faveur ; que M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus ; que M. X... a indiqué sans qu'il ne se contredise que ce n'était pas du chantage mais un moyen de défense » ; que les premiers juges ont donc clairement constaté que M. X... avait reconnu les faits de chantage et de pression ; que dès lors en déclarant « que la formule utilisée ne permet pas de déterminer s'ils (les premiers juges) considéraient qu'il avait reconnu un chantage et des pressions ou seulement le fait d'avoir téléphoné à la Responsable des ressources humaines » (arrêt, p. 8, 2ème al.), la Cour d'appel a dénaturé les énonciations claires et précises du Conseil de prud'hommes et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;

Alors en outre qu'en déclarant que « le compte rendu de l'entretien du 15 mai 2006 ne comporte aucune mention ni signature relative à son rédacteur de sorte qu'il ne constitue pas une preuve de ce que les dires qu'il contient ont existé », la Cour d'appel a dénaturé le compte rendu signé de Yannick Z..., délégué du personnel de l'entreprise, qui a ajouté « remis à M. X... Eric le 31/05/2006 en mains propres », et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;

Alors au surplus qu'en constatant que M. X... avait déclaré : « j'ai estimé que si DEUTSCH n'était pas correct avec moi, je me servirai d'éléments privés », et en énonçant que cette déclaration n'était pas de nature à établir l'existence de chantage et de pressions, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé l'article L. 1235-1 du Code du travail ;


Alors enfin que l'entretien préalable est destiné à éclairer l'employeur sur les faits reprochés afin de lui permettre de prendre une décision ; qu'il en résulte qu'il peut y appeler les protagonistes des faits ; que dès lors en écartant le témoignage de Mme Y... sur laquelle le salarié avait tenté de faire pression en raison de sa seule présence lors de l'entretien préalable, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L.1232-4 du Code du travail.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.