par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, 05-10727
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Cour de cassation, chambre mixte
8 juin 2007, 05-10.727

Cette décision est visée dans la définition :
Usufruit




LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par le directeur général des impôts, domicilié ministère de l'économie, des finances et de l'industrie,139 rue de Bercy,75012 Paris, représentant le directeur des services fiscaux de la Côte-d'Or,16 rue Jean Renaud,21000 Dijon,

contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2004 par la cour d'appel de Dijon (chambre civile A), dans le litige l'opposant à Mme Jacqueline X..., épouse Y...,

défenderesse à la cassation ;

Par arrêt du 23 janvier 2007, la chambre commerciale, financière et économique a renvoyé le pourvoi devant une chambre mixte. Le président de chambre le plus ancien faisant fonction de premier président a, par ordonnances des 18 et 23 mai 2007, indiqué que cette chambre mixte sera composée des première, deuxième, troisième chambres civiles et de la chambre commerciale, financière et économique ;

Le demandeur invoque, devant la chambre mixte, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouin-Palat, avocat du directeur général des impôts ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat de Mme Y...;

Le rapport écrit de M. Rivière, conseiller, et l'avis écrit de M. Legoux, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siégeant en chambre mixte, en l'audience publique du 1er juin 2007, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, MM. Weber, Ancel, Tricot, Mme Favre, présidents, M. Rivière, conseiller rapporteur, MM. Thavaud, Peyrat, Mme Lardet, MM. Bargue, Mazars, Mme Lardennois, M. Assié, Mmes Pinot, Betch, MM. Gallet, Breillat, conseillers, M. Legoux, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;

Sur le rapport de M. Rivière, conseiller, assisté de M. Naudin, greffier en chef au service de documentation et d'études, les observations de la SCP Thouin-Palat, de la SCP Bachellier et Potier de La Varde, l'avis de M. Legoux, avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte notarié du 21 septembre 1992, Roland Y...et Mme Jacqueline X..., son épouse, ont fait donation entre vifs à leurs cinq enfants de la nue-propriété d'un immeuble appartenant en propre au mari et en faisant réserve expresse à leur profit et au profit du survivant d'entre eux, pour en jouir pendant leur vie, sans réduction au décès du prémourant, de l'usufruit du bien donné ; qu'après le décès de Roland Y..., survenu le 26 mars 1998, ses héritiers ont renoncé à sa succession ; que l'administration fiscale, estimant que Mme Y...avait procédé à certains actes, au nombre desquels elle incluait l'exercice de l'usufruit, rendant cette renonciation inopérante, lui a notifié un redressement de droits de mutation à titre gratuit ; qu'après le rejet de sa réclamation, Mme Y...a assigné l'administration devant le tribunal pour obtenir la décharge des droits réclamés ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le directeur général des impôts fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande alors, selon le moyen, que conformément aux articles 1168 et 1185 du code civil, à la différence du terme qui est lié à un événement futur dont la réalisation est certaine mais dont seul est inconnu le moment auquel l'événement se produira, la condition porte sur un événement futur dont la réalisation est nécessairement incertaine ; que la modalité introduisant dans un contrat la circonstance de la survie d'une personne à une autre constitue un événement dont la réalisation est nécessairement incertaine et qui s'analyse en une condition et non un terme ; qu'il s'ensuit qu'en cas d'usufruits successifs, le deuxième usufruit est soumis à la condition suspensive de la survie du second bénéficiaire ; qu'en considérant que la clause de réversion d'usufruit s'analyse en une donation à terme de biens présents, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1168 et 1185 du code civil ;

Mais attendu que la clause qui stipule la réserve de l'usufruit au profit des donateurs et du survivant d'entre eux, avec donation éventuelle réciproque, s'analysant en une donation à terme de biens présents, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l'acte, la cour d'appel a exactement retenu que l'exercice de ce droit, différé au jour du décès du donateur, ne constituait pas la manifestation de la volonté de son bénéficiaire d'accepter la succession du défunt ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que pour prononcer la décharge des impositions, la cour d'appel a retenu que l'administration fiscale, qui se bornait à indiquer dans les motifs de ses conclusions que " si la cour venait à considérer que Mme Y...a effectivement renoncé à la succession, il y aurait lieu toutefois d'imposer aux droits de mutation la réversion d'usufruit ", ne demandait pas une nouvelle liquidation des droits ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions, l'administration indiquait : " si la cour venait à considérer que Mme Y...a effectivement renoncé à la succession, il y aurait lieu, toutefois, d'imposer aux droits de mutation la réversion d'usufruit, qu'on la considère comme une donation sous condition suspensive, comme l'a fait la Cour de cassation dans son arrêt du 2 décembre 1997, ou comme une donation pour cause de mort. Dans les deux cas en effet, l'impôt est liquidé sur la valeur des biens et selon le régime fiscal applicable au jour du décès en vertu de l'article 676 du code général des impôts...L'impôt sera alors liquidé comme suit... ", et précisait les modalités de calcul de celui-ci ainsi que les dégrèvements en résultant, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il n'a pas procédé à une nouvelle liquidation des droits dus par Mme Y..., l'arrêt rendu le 4 novembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du huit juin deux mille sept.


MOYENS ANNEXES :

Moyens produits par la SCP Thouin-Palat, avocat aux Conseils pour le directeur général des impôts

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé en toutes ces dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Dijon, ayant écarté la demande d'annulation de la décision de rejet contentieux de la réclamation de Mme Y...;

AUX MOTIFS QUE s'agissant de l'exercice de l'usufruit, qu'il est justifié que par acte notarié du 21 septembre 1992, M. Roland Y...et Mme Jacqueline X..., son épouse, ont fait donation entre vifs à leurs cinq enfants majeurs de la nue-propriété d'un ensemble immobilier en précisant : " La propriété est transmise ce jour. La jouissance aura lieu au décès du survivant des donateurs. En effet, les donateurs font réserve expresse à leur profit et au profit du survivant d'entre eux, pour en jouir pendant leur vie, sans réduction au décès du prémourant, de l'usufruit de tous les biens compris aux présentes. Les donateurs se font réciproquement donation éventuelle, ce que chacun accepte expressément, de l'usufruit ainsi réservé, afin qu'au décès du prémourant cet usufruit soit entièrement réversible sur la tête et au profit du survivant qui continuera d'en jouir dans les mêmes conditions " ; que cette clause de réversion d'usufruit s'analyse en une donation à terme de biens présents, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour du décès de l'acte ; que l'exercice de ce droit, différé au jour du décès du donateur, n'est donc pas révélateur de la volonté de son bénéficiaire d'accepter la succession du défunt ;

ALORS QUE conformément aux articles 1168 et 1185 du code civil, à la différence du terme qui est lié à un événement futur dont la réalisation est certaine mais dont seul est inconnu le moment auquel l'événement se produira, la condition porte sur un événement futur dont la réalisation est nécessairement incertaine ; que la modalité introduisant dans un contrat la circonstance de la survie d'une personne à une autre constitue un événement dont la réalisation est nécessairement incertaine et qui s'analyse en une condition et non un terme ; qu'il s'ensuit qu'en cas d'usufruits successifs, le deuxième usufruit est soumis à la condition suspensive de la survie du second bénéficiaire ; qu'en considérant que la clause de réversion d'usufruit s'analyse en une donation à terme de biens présents, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1168 et 1185 du code civil ;

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Dijon, ayant écarté la demande d'annulation de la décision de rejet contentieux de la réclamation de Mme Y...;


AUX MOTIFS QUE l'administration fiscale, qui se borne à indiquer dans les motifs de ses conclusions " si la cour venait à considérer que Mme Y...a effectivement renoncé à la succession, il y aurait toutefois lieu d'imposer aux droits de mutation la réversion d'usufruit ", ne demande pas à la cour de procéder à une nouvelle liquidation des droits ; qu'il y a lieu de prononcer la décharge sollicitée par Mme Y...;

ALORS QUE l'administration est en droit conformément aux articles L. 199 et L. 199 C du livre des procédures fiscales de présenter jusqu'à la clôture de l'instruction et dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, tout moyen nouveau de nature à justifier le maintien de l'imposition ; qu'au cas particulier l'administration a développé dans ses conclusions responsives et récapitulatives, un moyen subsidiaire soutenant qu'indépendamment de sa qualité d'héritière acceptante ou renonçante, Mme Y...était tenue sur la clause de réversion d'usufruit au paiement des droits de mutation ; que le service procédait en outre à la liquidation des droits exigibles ; que pour prononcer la décharge des droits litigieux, la cour d'appel retient que l'administration ne demande pas à la cour de procéder à une nouvelle liquidation des droits ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant en cela les dispositions combinées des articles 4 du nouveau code de procédure civile, L. 199 et L. 199 C du livre des procédures fiscales ;



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Cette décision est visée dans la définition :
Usufruit


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.