par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 12 juin 2001, 99-41571
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Cour de cassation, chambre sociale
12 juin 2001, 99-41.571

Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement




Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Orléans, 21 janvier 1999) que la société Sprague France, filiale de la société Vishay Intertechnology dont le siège est aux Etats-Unis, a procédé a des compressions d'effectifs, et, au mois de juin 1996 a mis en oeuvre une procédure de licenciement économique qui a concerné 225 salariés ; que plusieurs salariés licenciés ont contesté le bien-fondé de leur licenciement ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif d'avoir déclaré les licenciements sans cause réelle et sérieuse, d'avoir proposé leur réintégration à l'employeur avec maintien des avantages acquis, et d'avoir condamné ce dernier à diverses sommes à titre de dommages-intérêts ; alors, selon le moyen :

1° que l'effet relatif des contrats et la personnalité juridique des sociétés autres que les sociétés en participation interdisent en l'absence de circonstances particulières que soient prises en considération, pour apprécier la légitimité de la rupture du contrat conclu entre un salarié et une société, des circonstances propres à un tiers, c'est-à-dire à une personne morale ou physique étrangère au contrat ; qu'en jugeant néanmoins que la réalité des difficultés économiques de la société Sprague France devait être appréciée au regard du secteur d'activité du groupe auquel appartient cette entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil, ensemble les articles 1842 du Code civil et 5 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;

2° alors, d'autre part, qu'à tout le moins, le contrôle de la réalité des difficultés économiques d'une société doit être limité au secteur d'activité du groupe auquel appartient cette entreprise, et dans ce cadre, aux sociétés du groupe ayant leur siège en France et dans les établissements de ce groupe situés sur le sol national ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-4 du Code du travail ;

3° que même à admettre pour les besoins de la discussion que la réalité des difficultés économiques de nature à justifier le licenciement de salariés devrait s'apprécier " dans le secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée " il n'en reste pas moins que selon les termes mêmes de cette définition la réalité des difficultés économiques n'a pas à s'apprécier au regard de l'ensemble des activités du groupe auquel appartient l'entreprise concernée ; qu'il s'évince des pièces de la procédure que l'activité essentielle de la société Sprague France était la production et la commercialisation de condensateurs au tantale, ou d'anodes destinés à être intégrés dans les condensateurs au tantale, de sorte que la commercialisation d'autres produits fabriqués par le groupe Vishay représentait moins de 7 % du chiffre d'affaires de la société ; qu'en se prononçant au regard de l'ensemble des activités du groupe Vishay pour justifier sa décision, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1 du Code du travail ;

4° que dans ses conclusions d'appel, la société Sprague France avait pu établir que ses difficultés économiques étaient consécutives à la baisse importante des prix de vente due à la conjonction de trois phénomènes (un phénomène conjoncturel de déstockage, la baisse des marchés d'applications et un phénomène de substitution pour certaines applications des condensateurs au tantale), renforcée par la baisse de sa part de marché et par un affaiblissement général de ce même marché ; que cet état de fait a été corroboré par les constatations souveraines de l'arrêt attaqué relevant " la réalité de la baisse des prix des produits notamment fabriqués à Tours " (p. 27, 1er paragraphe) ; qu'en décidant néanmoins que cette baisse des prix ne suffisait pas à caractériser l'existence d'un motif économique, sans même préciser son importance ni son impact sur les comptes d'exploitation de la société Sprague France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail ;

5° qu'en toutes hypothèses, une réorganisation de l'entreprise peut constituer une cause économique de suppression ou transformation d'emploi, si elle est décidée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient : qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que l'analyse comparée des coûts de production explicitait la décision de poursuite du transfert de la production de Tours, à Dimona, en Israël ; qu'il se déduit d'une telle constatation que les licenciements avaient été légitimement décidés pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe Vishay ; qu'en jugeant néanmoins que les licenciements étaient illégitimes, la cour d'appel. qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 321-1 du Code du travail ;

6° que dans une telle hypothèse. l'employeur n'a pas à justifier de la " nécessité " de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 321-1 du Code du travail ;

Mais attendu que les difficultés économiques invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ;

Attendu que la cour d'appel, après avoir constaté que la société Sprague France faisait partie du groupe Vishay, de dimension internationale, a estimé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis à son examen, qu'il n'était pas établi, tant au niveau du secteur des composants électroniques dont relève la société Sprague France, qu'à celui plus réduit des seuls condensateurs au tantale, que des difficultés économiques affectaient le groupe Vishay, dont la situation financière était au contraire excellente ;

Et attendu qu'ayant retenu que les lettres de licenciement faisaient état de difficultés économiques dont l'employeur livrait une analyse limitée à la seule société Sprague France, et que la nécessité d'assurer la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité, invoquée également par l'employeur, ne pouvait résulter de la seule réduction des frais fixes sur le site de Tours, elle a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que les licenciements n'avaient pas de cause économique réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités payées aux salariés visés par la décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, alors, selon le moyen, que si l'article L. 122-14-4 du Code du travail précise qu'en cas de licenciement illégitime " le Tribunal ordonne également le remboursement par l'employeur fautif aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le Tribunal, dans la limite de six mois d'indemnité de chômage par salarié concerné ", il résulte aussi des articles L. 322-3 et D. 322-3 du Code du travail, qu'en cas d'adhésion de salariés licenciés pour motif économique à une convention de conversion, l'employeur doit verser à l'ASSEDIC les deux mois de préavis que le salarié n'a pas perçu du fait de son adhésion à la convention de conversion, diminué de 6 jours de carence qui sont à la charge de l'Etat ; que dans ses conclusions d'appel, la société Sprague France avait donc soutenu (p. 46, deux derniers paragraphes) " que dans l'hypothèse où la cour d'appel maintiendrait le principe du remboursement des allocations de chômage à l'ASSEDIC, elle devra préciser que les sommes versées par Sprague au titre des conventions de conversion s'imputent sur ces versements " ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel d'Orléans a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et violé les articles 1134 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la sanction de l'article L. 122-14-4, alinéa 2, du Code du travail, instituant dans la limite du plafond légal, une peine privée accessoire, la cour d'appel a pu, sans encourir les griefs du moyen, statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.



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Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement


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