par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 26 novembre 1990, 90-11749
Dictionnaire Juridique

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Cour de cassation, 2ème chambre civile
26 novembre 1990, 90-11.749

Cette décision est visée dans la définition :
Échevinage




Sur la requête présentée le 6 décembre 1989 par M. le procureur général général prés la Cour de Cassation ainsi conçue :

Le procureur général près la Cour de Cassation a l'honneur d'exposer :

Lors de l'audience de départage du 17 mai 1988 de la section industrie (3e chambre) du conseil de prud'hommes de Paris saisi d'un liitige opposant M. J. C. Gobert, demandeur, aux sociétés Colas, SAE et Saintrapt et Brice, les conseils des sociétés Colas et SAE ont formé une demande de récusation de M. X..., conseiller prud'homme; ils soutenaient que, désigné le 28 octobre 1986 comme conseiller rapporteur par le bureau de jugement, et ayant, le 9 juillet 1987, déposé un rapport, il ne pouvait, dès lors, faire partie de la formation de jugement ;

M. X..., par lettre du 31 mai 1988, a fait connaître qu'il s'opposait à la récusation, exposant qu'il était " parfaitement légal " qu'un conseiller rappporteur puisse siéger lors de l'ouverture du rapport, dont la valeur n'est qu'indicative ;

En exécution des articles 349 et 350 du nouveau Code de procédure civile, le secrétaire-greffier a communiqué, le 2 juin 1988, au premier président de la cour d'appel la demande de récusation accompagnée de la réponse du juge ;

La cour d'appel, sur conclusions conformes du ministère public, s'est déclarée, par arrêt du 12 juillet 1988, incompétente pour statuer, considérant que dans sa formation de départage, du 17 mai 1988, présidée par un magistrat professionnel, le conseil de prud'hommes était devenu une juridiction échevinale. Il appartenait en conséquence au juge départiteur de se prononcer ;

M. X... a formé, le 10 octobre 1988, un pourvoi contre cette décision ;

Par arrêt du 21 juin 1989, ce pourvoi a été déclaré irrecevable par la 2e chambre civile de la Cour de Cassation au motif que le conseiller récusé ne pouvait être considéré comme partie à l'instance ;

Le requérant entend former un pourvoi dans l'intérêt de la loi dont l'objet est l'annulation de la décision par laquelle la cour d'appel de Paris s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de récusation d'un conseiller prud'homal accompagnée de sa réponse, au motif que le conseil de prud'hommes est " une juridiction échevinale " ;

En effet, selon les termes de l'article 349 du nouveau Code de procédure civile, " si le juge s'oppose à la récusation ou ne répond pas, la demande de récusation est jugée sans délai par la cour d'appel ou, si elle est dirigée contre un assesseur d'une juridiction échevinale, par le président de cette juridiction qui se prononce sans appel " ;

On observera en premier lieu que ce pourvoi ne soulève aucun problème de recevabilité : en effet, ainsi que l'exige la loi n° 67-523 du 3 juillet 1968 en son article 17, " aucune des parties n'a réclamé dans le délai fixé ". Par ailleurs, la décision est passée en force de chose jugée par le prononcé d'un arrêt d'irrecevabilité sur le pourvoi formé par M. X... ;

Quant à la question de fond, posée à votre juridiction, elle consiste en la contestation qu'entend faire le présent pourvoi sur la modification de la nature de la juridiction prud'homale qui, selon la cour d'appel de Paris, serait entraînée par la participation au conseil de prud'hommes d'un magistrat professionnel, appelé en départage en application de l'article 515-3 du Code du travail ;

Trois raisons, en effet, viennent à l'appui de cette contestation :

En premier lieu, dans une juridiction dite " échevinale " (cour d'assises, tribunal pour enfants, tribunal de première instance de sécurité sociale), le juge professionnel doit faire appel, pour que fonctionne la juridiction, à des éléments étrangers (le jury dans le premier cas, les assesseurs dans les autres) et temporaires ;

Tel n'est pas le cas du conseil de prud'hommes qui, au contraire, est composé de juges permanents non professionnels, élus pour 5 ans et rééligibles ;

Ces juges réunissent leur assemblée générale, élisent leur président et, à l'inverse des juridictions citées plus haut, ont la faculté de faire appel à un magistrat professionnel ;

Pour quoi, dès lors, la participation occasionnelle du juge départiteur aux travaux d'une formation du conseil en modifierait-elle la nature ?

En second lieu, il existe un argument de texte, non moins déterminant, qui tient à la rédaction de l'article 515-3 du Code du travail qui précise : " en cas de partage, l'affaire est renvoyée devant le même bureau de conciliation, le même bureau de jugement ou la même formation de référé présidée par un juge du tribunal d'instance... " ;

Cette rédaction confère, à l'évidence, aux conseillers qui la composent, les attributs d'une juridiction dépourvue de tout caractère " mixte ". L'arrêt de la cour d'appel de Paris, au contraire, par le seul motif du départage effectué, dans certains cas, par un juge professionnel, les transforme en échevins ;

En effet, il apparaîtrait fort illogique que le législateur ait pu envisager la coexistence de deux procédures distinctes de récusation concernant un même conseiller prud'homme, entraînant une compétence alternative : en effet, selon qu'il serait récusé dans l'exercice de ses fonctions au sein d'une formation présidée par l'un de ses pairs, ou au sein d'une formation présidée par la juge départiteur, il ne devrait pas en résulter un recours différent ;

Ainsi est justifié au fond le pourvoi dans l'intérêt de la loi contre l'arrêt rendu le 12 juillet 1988 par la cour d'appel de Paris ;

PAR CES MOTIFS :

Vu l'article 17 de la loi du 3 juillet 1967 relative à la Cour de Cassation ;

Requiert qu'il plaise à la Cour de Cassation, 2e chambre ;

Casser et annuler, sans renvoi et dans le seul intérêt de la loi, l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 12 juillet 1988 qui s'est déclarée incompétente pour se prononcer sur la demande de récusation, accompagnée de la réponse du juge

SUR QUOI, LA COUR

Sur le moyen unique :

Vu l'article 349 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les articles L. 512-1 et L. 515-3 du Code du travail ;

Attendu que la demande de récusation d'un magistrat est jugée par la cour d'appel ou, si elle est dirigée contre un assesseur d'une juridiction échevinale, par le président de cette juridiction qui se prononce sans appel ; que les conseils de prud'hommes étant composés d'un nombre égal de salariés et d'employeurs ne constituent pas une juridiction échevinale ; qu'en cas de partage l'affaire est renvoyée devant le même bureau de conciliation, le même bureau de jugement ou la même formation de référé présidé par un juge d'instance ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à l'audience de départage d'un conseil de prud'hommes, une requête en récusation d'un des conseillers ayant été présentée et ce conseiller ayant fait connaître qu'il s'opposait à la demande, celle-ci a été transmise au premier président de la cour d'appel ;

Attendu que pour se déclarer incompétente et renvoyer l'affaire au président de la formation de départage, la cour d'appel retient qu'en siégeant au complet en formation de départage présidée par un magistrat professionnel, le conseil de prud'hommes était devenu une juridiction échevinale ;

Qu'en se déterminant par de tels motifs, alors que la formation de départage n'est qu'une formation de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement dans l'intérêt de la loi sans que les parties puissent s'en prévaloir, l'arrêt rendu le 12 juillet 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Paris



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Cette décision est visée dans la définition :
Échevinage


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 12/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.